Dette privée : les non-dits de l’étrange inquiétude des banquiers

Face à la montée en force des levées obligataires, les banquiers se sont plaints, en décembre, auprès de Abdellatif Jouahri, estimant que ce marché génère une concurrence « déloyale » et que les opérations qui s’y déroulent présentent de gros risques financiers. Selon d'autres sources du marché, les motifs évoqués par les banquiers cachent aussi une autre réalité, une sorte de bataille générationnelle qui ne dit pas son nom. Enquête.

Dette privée : les non-dits de l’étrange inquiétude des banquiers

Le 17 janvier 2022 à 11h40

Modifié 17 janvier 2022 à 12h22

Face à la montée en force des levées obligataires, les banquiers se sont plaints, en décembre, auprès de Abdellatif Jouahri, estimant que ce marché génère une concurrence « déloyale » et que les opérations qui s’y déroulent présentent de gros risques financiers. Selon d'autres sources du marché, les motifs évoqués par les banquiers cachent aussi une autre réalité, une sorte de bataille générationnelle qui ne dit pas son nom. Enquête.

Fin décembre, lors de sa conférence habituelle post-Conseil de Bank Al Maghrib, Abdellatif Jouahri a révélé que des banques se sont plaintes, lors d’une réunion tenue avec lui, de certaines pratiques en vigueur sur le marché de la dette privée.

Ces banquiers, comme l’a rapporté le Wali de Bank Al Maghrib, se plaignent tout particulièrement de la mauvaise appréciation du risque, qui aboutit à des taux d’emprunt bien loin des taux que proposent les banques. Autre motif évoqué : les remboursements anticipés des crédits bancaires par des levées de dette privée sur le marché financier.

Grosso modo, les banquiers protestent contre la concurrence que leur font les acteurs du marché des capitaux, qui structurent des levées de dette par le biais du marché de la dette privée, sans passer par les banques. Et s’inquiètent des risques mal appréciés qui sont pris et qui peuvent déboucher, selon eux, sur l’apparition de grosses difficultés financières pour le système.

Cette réaction des banques est-elle justifiée? Car le propre des marchés des capitaux, c’est de proposer un financement désintermédié aux entreprises. Et qui dit absence d’intermédiaire (les banques en l’occurrence), dit coût plus bas, ne serait-ce que grâce à l’absence de ce coût d’intermédiation.

Il se trouve aujourd’hui que les taux obligataires sont à un niveau historiquement bas. Pour plusieurs raisons, dont les baisses successives du taux directeur de Bank Al Maghrib, qui visent justement à faire bouger la machine du financement de l’économie.

Dans un marché qui fonctionne bien, en toute liberté, les entreprises ont le droit de faire des arbitrages entre les différentes alternatives de financement qui se présentent à elles. Et des alternatives, il n’en existe que très peu en réalité : le crédit bancaire, les emprunts obligataires, les augmentations de capital par voie d’introduction en Bourse ou via des levées auprès de fonds de capital-risque.

Contactés par Médias24, plusieurs banquiers disent qu’ils ne sont pas contre le principe d’un fonctionnement normal du marché obligataire.

« Les entreprises sont libres de recourir au marché obligataire, de financer leur besoin. Mais ce que l’on remarque depuis quelques mois, c’est que cela se fait au détriment des banques, avec une certaine concurrence déloyale, puisque les taux proposés sont plus bas que la normale. Il y a certes les conditions avantageuses de taux, mais ce qui est problématique, ce sont les primes de risque qui sont mal appréciées, et ne correspondent à aucune logique financière. La combinaison des deux facteurs fait que les banques font aujourd’hui face à une concurrence déloyale de la part des acteurs du marché de la dette privée. C’est ce que nous dénonçons », nous confie un banquier.

Pour notre source, ainsi que pour tous les banquiers sondés par Médias24, la concurrence doit exister, mais elle doit se jouer dans des conditions raisonnables, « sans dumping ».

Le pire, déplore notre banquier, « c’est que ces levées ne servent pas à financer les entreprises, mais dans plusieurs cas, à rembourser des crédits bancaires qui courent sur 10 ou 15 ans. Ce qui fait baisser le portefeuille des banques et touche de manière directe leur PNB ».

Voilà officiellement le discours tenu par les banquiers. Le même qui a été porté à l’oreille du Wali de Bank Al Maghrib, qui a par ailleurs demandé aux plaignants de le saisir officiellement par écrit et de lui donner des cas concrets de ce type d’opérations de « concurrence déloyale ».

Une bataille entre deux générations de cols blancs

Joints par Médias24, plusieurs acteurs du marché financier affirment que le fond du problème est autre, loin de ce qui a été dit au Wali de Bank Al Maghrib.

Il ne s’agit pas, selon nos sources du marché, d’une question de risque mal calculé ou de concurrence déloyale sur la dette, mais « d’une bataille entre deux générations de banquiers », comme la qualifie l’un de nos interlocuteurs.

« Ce qui agace les banques, ce n’est pas le volume des levées réalisées qui n’a pas progressé de manière anormale, ni les taux qui sont proposés pour les levées réalisées, mais l’entrée de nouveaux acteurs indépendants sur le marché qui commencent à se faire une place et à structurer la quasi-majorité des opérations de levées qui se font », estime un banquier d’affaires

« Les banques ont toutes des filiales dans le corporate finance ; des banques d’affaires qui ont toujours eu une sorte de monopole sur la réalisation de levées pour le compte des émetteurs. Elles voient désormais arriver des banques d’affaires indépendantes qui ont cartonné ces deux dernières années car elles offrent un meilleur service aux entreprises, ainsi que des alternatives très souples par rapport à ce que font les banques classiques sur le crédit ou leurs filiales de corporate finance. C’est cela leur vrai motif d’inquiétude, mais ils ne peuvent pas le dire comme ça… », poursuit-il

Ce discours est tenu par toutes nos sources des banques d’affaires indépendantes du marché. Elles disent que cette bataille ne date pas d’aujourd’hui, mais qu’elle a pris une ampleur importante avec l’émergence de plusieurs boutiques financières ces dernières années qui ont fait preuve, depuis le début de la crise du Covid-19, d’une grande agilité offrant aux entreprises une alternative aux lourdeurs et aux conditions draconiennes imposées par les banques traditionnelles.

Les faits et les chiffres collectés par Médias24 semblent corroborer fortement cette thèse.

D’abord, les levées obligataires n’ont pas connu une explosion anormale par rapport aux dernières années. Selon les données de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), elles sont passées en 2020 de 25,98 à 28,5 milliards de dirhams. Une petite progression de 2,5 milliards… L’année 2020 a connu, en tout et pour tout, 28 opérations contre 25 opérations. La progression est normale. Rien d’extraordinaire.

Idem en 2021, où l’encours des emprunts obligataires est resté sur un trend normal, avec une évolution de 4,9% par rapport à 2020. Il atteint à fin septembre (dernier chiffre disponible chez l’AMMC) un montant de 159,3 milliards de dirhams. Un chiffre qui n’est pas énorme par rapport à l’encours des crédits bancaires donnés aux entreprises (publiques et privées), qui se chiffre, selon les statistiques de Bank Al Maghrib, à plus de 845 milliards de dirhams.

La part de la dette privée représente à peine 18,8% du total des crédits fournis par les banques aux entreprises. Un chiffre qui reste très loin des marchés développés, où la Bourse contribue plus fortement au financement des économies.

Un banquier d’affaires nous précise d’ailleurs que ces 18,8% ne reflètent pas la réalité du financement des entreprises par la dette privée : « Dans l’encours global des dettes obligataires, les banques sont les premiers émetteurs, avec une part d’au moins 60%. S’il l’on veut comparer le financement des entreprises sur le marché de la dette privée par rapport au financement par crédit bancaire, il faut retraiter l’encours des dettes obligataires par les levées astronomiques que réalisent les banques tous les ans », précise-t-il.

Calcul fait par nos soins : les entreprises publiques comme privées ne contribuent qu’à hauteur de 95 milliards de dirhams dans l’encours global de la dette obligataire, soit à peine 11% de l’encours des crédits bancaires aux entreprises non financières.

« Tout le monde sait que l’économie marocaine ne peut décoller – c’est ce que disent le Wali de Bank Al Maghrib, l’AMMC et même le rapport sur le Nouveau modèle de développement – sans un développement du financement désintermédié par la voie du marché des capitaux, que ce soit le compartiment action ou obligataire. Les banques tiennent d’ailleurs le même discours depuis qu’elles sont devenues actionnaires de la Bourse de Casablanca. Ce qui montre que leur vrai motif de plainte n’est pas réellement la supposée explosion des levées obligataires qui se font à des conditions de taux avantageuses par rapport au crédit bancaire… Les banques se mettent d’ailleurs en position de conflit d’intérêt dans cette situation, puisqu’elles sont censées, du fait de leur statut d’actionnaires et d’administrateurs de la Bourse de Casablanca, veiller au développement du marché. Or, on voit là qu’elles essaient de freiner son élan sous prétexte que ce marché leur fait de la concurrence… On comprend mieux maintenant pourquoi notre Bourse ne pourra jamais décoller ! », lance un banquier d’affaires.

Les placements privés, le cauchemar des banquiers classiques

Si l’encours des emprunts obligataires n’a pas connu une évolution anormale, de quoi les banques s’inquiètent-elles alors ? Qu’est-ce qui a changé entre hier et aujourd’hui pour que la dette privée devienne un sujet d’agitation ?

Quand on rentre dans le détail des opérations réalisées depuis 2020, on comprend mieux les choses. Car le seul élément qui semble avoir changé, c’est le type d’opérations et les banques d’affaires qui sont derrière.

En 2019, comme les années précédentes, les levées obligataires se faisaient majoritairement par appel public à l’épargne. Sur les 25 opérations réalisées sur le marché cette année là, 16 sont passées par appel public à l’épargne, la procédure classique qui consiste à préparer une note d’information, avoir le visa de l’AMMC, publier l’offre et attendre les souscriptions des investisseurs. Les neuf autres opérations de l’année ont été effectuées par placement privé, les émetteurs ayant choisi de prendre contact directement avec quelques investisseurs qualifiés et de placer leurs dettes directement sans passer par la procédure de l’appel public de l’épargne.

En 2020, les choses se sont inversées : les placements privés ont pris le dessus sur les appels publics à l’épargne. Sur les 28 opérations réalisées sur l’année, 17 ont été faites par placement privé, contre seulement 11 par appel public à l’épargne. Ce qui représente un phénomène nouveau sur la place casablancaise.

Récapitulant l’activité du marché de la dette sur l’année 2020, l’AMMC note d’ailleurs dans son rapport annuel ce qu’elle appelle une évolution « contrastée », avec une baisse de 33% des emprunts obligataires par appel public à l’épargne, et une hausse importante de 126% du volume d’opérations de placement privé.

Et la quasi-majorité de ces opérations de placement privé ont été arrangées par des banques d’affaires indépendantes comme Valoris, Capital Trust, IRG ou encore CFG, pour le compte de grands émetteurs comme Taqa, le groupe Best Financière et ses filiales Label’Vie et Aradei, l’ANP, Maghreb Steel…

Et cette tendance s’est poursuivie en 2021. Entre le 25 décembre 2020 et le 13 octobre 2021, l’AMMC a donné son accord pour 11 opérations de placement privé pour un montant de 10,7 milliards de dirhams, dont une méga levée garantie par l’État pour un montant de 2,5 milliards…

Pour le gendarme du marché – qui ne signale, il faut le dire, rien d’anormal dans l’activité du marché obligataire –, cette forte progression des émissions obligataires par placement privé s’explique notamment par la récente réforme qu’a subie ce régime.

« D’une part, le nombre d’investisseurs qualifiés pouvant participer à ce genre d’opérations a été porté de neuf à vingt investisseurs. D’autre part, les critères pour bénéficier du statut d’investisseur qualifié ont été élargis dans le cadre de la circulaire n°03/19 de l’AMMC relative aux opérations et informations financières. Cet élargissement a permis d’améliorer l’attractivité de ce mode d’émission pour les émetteurs », explique l’AMMC.

Des acteurs du marché nous expliquent que le recours aux placements privés s’explique aussi par le contexte de la crise sanitaire.

L’exemple le plus parlant est le rythme d’activité du marché obligataire pendant la durée du confinement, décrété en mars 2020 pour une durée de trois mois. Une période durant laquelle le marché de la dette privée a tout sauf chômé : plus de 6,56 milliards de dirhams ont été levés exclusivement par placement privé, dans une sorte d’arrangement direct entre les émetteurs avec les investisseurs institutionnels, qui épargne aux entreprises et à leurs conseillers financiers de passer par la procédure d’appel public à l'épargne.

« Un placement privé, ça se boucle en un mois ou deux au maximum, quand une procédure d’appel public à l’épargne peut prendre jusqu’à 9 mois entre réalisation des due diligences, audits, rédaction de la note d’information, procédure d’obtention du visa des autorités, les allers-retours avec le gendarme du marché, et autres délais de publicité… », explique justement un banquier d’affaires pour justifier la préférence marquée des émetteurs en ces temps de Covid pour les placements privés.

Et ces opérations n’ont pas été réalisées par des entreprises lambda, bien au contraire : Al Mada (3 MMDH), la CTM (600 MDH), Label’Vie (580 MDH), les deux filiales cotées du groupe Akwa, Afriquia Gaz (600 MDH) et Maghreb Oxygène (100 MDH), le groupe Garan (188,9 MDH) ou encore l’entreprise publique ONDA (1,5 MMDH).

Ces deals, négociés entre des émetteurs ayant pignon sur rue, et des investisseurs qualifiés (caisses de retraites, compagnies d’assurances, organismes de prévoyance, sociétés de gestion d’actifs…) arrangent en réalité les deux parties : pour l'entreprise, cela permet de lever rapidement de la dette sans avoir à produire de notes d’informations, obtenir le visa de l’AMMC, faire la publicité de l’opération… Et pour l’investisseur, cela permet de placer ses liquidités dans des dettes privées, mieux rémunératrices que les Bons de Trésor qui se négocient actuellement à des taux historiquement bas.

« Les émetteurs et leurs banques d’affaires préfèrent mille fois passer par un placement privé que de s'aventurer dans un appel public à l’épargne où les procédures sont très lourdes. Surtout quand les besoins en financement sont urgents », explique une source du marché. « Les émetteurs et les investisseurs se connaissent bien. Au lieu de passer des mois dans des procédures administratives, la banque d’affaires et l’émetteur font une présentation de l'opération, exposent les intentions de la souscription et passent aux bulletins de souscription une fois l'accord donné », ajoute notre banquier d’affaires.

Ce qui ne veut pas dire que ces opérations sont louches ou ne sont pas contrôlées. Comme tous les autres types d'opérations financières sur le marché, les placements privés sont régis depuis 2019 par la circulaire n°03/19 du 20 février relative aux opérations et informations financières. Circulaire qui réserve une section entière aux placements privés, dans le cadre des opérations dispensées du régime de l’appel public à l'épargne. Une dispense qui n'équivaut pas à une liberté totale d’agir, puisque l'émetteur doit informer l’AMMC de l’opération et obtenir son feu vert avant de la lancer. Mais contrairement à la procédure du visa d’une note d’information qui, sur le papier, prend deux mois, l’AMMC est tenue, pour un placement privé, de donner sa réponse en dix jours, comme le stipule la circulaire.

« Les banques sont entrées dans une bataille perdue d’avance »

La patronne d’une banque d’affaires indépendante critique la démarche des banques. « Si vous êtes compétitif, les gens vont venir vous voir. C’est aussi simple que ça. C’est la règle du marché. Or, les banques qui avaient le monopole sur ce segment et imposent des conditions très lourdes aux émetteurs voient que le marché est en train de leur échapper. Se plaindre à Bank Al Maghrib sur ça, c’est un peu maladroit comme approche », tonne-t-elle.

« Ce sont des mammouths qui essaient de défendre leurs positions. Mais c’est une bataille perdue d’avance. Là, ils se plaignent alors que le marché dispose de peu d’instruments et d’alternatives de financement. D’autres instruments vont être bientôt mis en place. C’est donc une bataille perdue d’avance. Les banques doivent se remettre en question au lieu d’essayer de freiner la marche normale et nécessaire d’un marché qui essaie de se développer », ajoute-t-elle.

Les banquiers d’affaires indépendants sont ainsi quasi unanimes : la démarche des banques vise avant tout à les attaquer, parce qu’ils commencent à les déranger sur un marché où ils étaient en situation de monopole.

« C’est comme si vous essayiez de casser une rente ; vous trouverez toujours de la résistance. Je comprends donc l’inquiétude des banques, surtout quand elles voient leur échapper des opérations de financement de clients sûrs comme Taqa, l’ONDA, l’ANP, Label’Vie et d’autres. C’est tout à fait normal d’être inquiet, mais c’est le marché qui est ainsi fait. Ces entreprises cherchent d’abord leur intérêt, et elles le trouvent de plus en plus chez les banques d’affaires indépendantes… Les banquiers réfléchissent encore avec une mentalité ancienne. Pour eux, si un client comme Taqa ou l’ANP vient les voir, ils essayent directement de lui vendre du crédit, voire une opération lourde d’appel public à l’épargne où ils vont générer des commissions juteuses. Ils défendent leurs intérêts, c’est normal. Mais le marché est en train de changer. La demande est là, l’offre aussi, puisque les institutionnels manquent cruellement d’opportunités de placement et accueillent très bien les opérations de placements privés. Nous ne sommes que des conseillers qui organisons la rencontre entre les deux parties », explique un banquier d’affaires.

Autre point que les banquiers d’affaires indépendants qualifient de pas très logique dans le discours des banques : le sujet du pricing du risque. Sur ce point là, nos sources se disent choquées que les banques puissent accuser les institutionnels de mal analyser les risques. Car un placement privé, ça se négocie directement entre l’émetteur, via son conseiller financier, et l’investisseur institutionnel. Dire, selon eux, que les risques sont mal pricés, c’est considérer que les institutionnels ne connaissent pas le marché, les émetteurs, ni leurs propres intérêts.

« Nous travaillons avec des investisseurs qualifiés qui sont mieux outillés que les analystes crédits des banques pour évaluer les risques. Les banques le savent et connaissent le degré d’expertise des institutionnels sur ce sujet là», tonne un banquier d’affaires.

Un autre banquier d’affaires y voit une tentative de mettre les institutionnels sous tutelle.

« Un investisseur qualifié, ce n’est pas à une banque de lui donner des leçons sur les risques. Un investisseur est libre de faire ses choix de placement comme bon lui semble. Ce n’est pas aux banques de veiller à leur bien-être ou de dire qu'ils prennent de mauvais risques. Sachant que les institutionnels, comme les caisses de retraites ou les compagnies d’assurances, sont hyper contrôlés par l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS), aussi bien sur les risques techniques que financiers. De quel droit les banques se permettent-elles de juger les choix d’investissement d’un investisseur indépendant, qui a ses propres stratégies, ses propres règles et son propre régulateur ? Le placement privé est bien encadré par l’AMMC. Et les institutionnels savent ce qu’ils font… Ce ne sont pas des amateurs, l’investissement est leur métier », s’alarme notre source.

« L’ingérence » des banques pointée du doigt

Cette « ingérence » déplorée par les banquiers d’affaires s’applique également, selon eux, au discours que les banques tiennent aux entreprises. Notamment sur le volet de la gestion de la dette. Les banques vivent mal les différentes opérations de levées obligataires qui ont servi à rembourser des crédits bancaires. On le sait, tout banquier a horreur des remboursements anticipés, car cela chamboule sa gestion « actif-passif » (ALM). Pour chaque crédit d’une certaine échéance, la banque est censée lui allouer des ressources qui collent à sa maturité. Un remboursement anticipé met le désordre dans les bilans des banques, mais les privent aussi d’une source de profits, puisque les intérêts qui étaient censés être encaissés sur plusieurs années sont actualisés et remboursés totalement en une seule année. L’impact se ressent directement sur le portefeuille du crédit qui diminue, mais aussi sur leur PNB futur, qui se gratte petit à petit.

Mais là aussi, personne ne peut reprocher à une entreprise de faire de « la gestion active » de son endettement. Un patron est censé gérer son entreprise en bon père de famille. Quand il voit qu’il y a une opportunité pour faire baisser ses charges financières, dégager une meilleure rentabilité, il a l’obligation de le faire, surtout quand cette entreprise est publique ou cotée en Bourse. Le gérant a une responsabilité envers ses actionnaires et le marché, et ne peut laisser échapper des opportunités qui se présentent à lui. Le marché obligataire offrant des taux intéressants, il est tout à fait légitime pour une entreprise qui a la capacité de faire une levée de remplacer une dette chère par une autre moins coûteuse.

Confrontées à ce discours tenu par les banquiers d’affaires, nos sources au sein des banques traditionnelles affirment que leur objectif n’est pas de s’ingérer dans la gestion des entreprises ou dans les choix d’investissement des investisseurs, mais de mettre un peu de régulation dans le marché de la dette privée.

« Le crédit est réglementé. Les banques sont soumises à des règles prudentielles, à des exigences de fonds propres, à un tas de contrôles… auxquelles les autres acteurs du marché financier ne sont pas soumis. Les investisseurs ne sont pas des banquiers, même s’ils sont qualifiés. Un OPCVM (organisme de placement collectif en valeurs mobilières, ndlr) ou une caisse de retraite est en apparence un investisseur qualifié, mais ils gèrent en réalité l’argent pour des investisseurs non qualifiés, les épargnants. Et on sait tous comment ces opérations de levées privées sont montées. Ça se résume à de petites notes d’information, généralement maquillées. Il n’y pas de comité de crédit qui aille dans le fond des choses comme dans une banque. Ni de garanties réelles pour protéger l’épargne publique en cas de défaillance d’un émetteur », souligne un banquier, qui insiste sur le mauvais pricing du risque constaté sur plusieurs opérations, dont il n’a pas souhaité nous donner le nom.

Intérêt des banques ou de l’économie : que choisir ?

« Le taux des émissions est inférieur à celui des crédits, c’est tout à fait normal. Ce que l’on dit, c’est que les taux proposés actuellement sont trop bas par rapport au niveau auquel ils devraient être. Dans une émission obligataire, il n’y pas de garanties réelles, contrairement au crédit. Rien, donc, ne justifie ces taux très bas que l’on voit aujourd’hui. L’absence de garanties réelles plaident, selon la logique, pour des taux un peu plus hauts avec des primes de risque un peu plus élevées, mais ce n’est pas ce que l’on constate. On ne demande pas de supprimer ce marché de la dette privée, mais qu’il y ait juste un peu de régulation. Une régulation qui n’existe pas pour l’instant », précise notre source.

Quant à la concurrence des banques d’affaires indépendantes, notre banquier estime en effet qu’il y a des « anomalies » dans ce marché.

« Quand une banque donne du crédit, elle le suit durant toute sa durée de vie, le monitore, le gère. Elle en est responsable. Une banque d’affaires indépendante structure une opération, organise la levée et disparaît, elle n’a aucune responsabilité sur ce qui pourra arriver par la suite. Et on l’a vu dans des cas comme Addoha, ADI ou d’autres émetteurs qui ont rencontré des difficultés à rembourser leurs tombées. Ces boutiques n’ont pas de comités de risques, de suivi... Elles échappent à toute responsabilité. Il faut donc de la régulation, du suivi, de la responsabilisation… Il faut aussi qu’ils respectent un minimum de ratios et de règles. Il y a des banques d’affaires indépendantes qui gèrent des milliards sans avoir les fonds propres nécessaires pour se couvrir en cas de difficultés. Ce que l’on dit, c’est qu’il y a moyen de sécuriser tout cela un peu mieux que ce qui se fait aujourd’hui. Mais sinon, il y a de la place pour tout le monde. Notre intention n’est pas de freiner la concurrence, mais de mieux l’organiser », ajoute notre banquier.

Ce dernier s’alarme d’ailleurs de voir une opération de grande ampleur en cours de montage qui échappera encore une fois aux banques. Il s’agit d’une levée obligataire de TMSA d’un montant de plus de 5 milliards de dirhams.

Une opération que notre banquier pointe particulièrement du doigt, estimant que le bon sens aurait voulu qu’une telle levée soit faite en deux temps : un crédit bancaire de 2 ou 2,5 MMDH, assorti d’un emprunt obligataire complémentaire. L’idée selon lui étant que le marché ne s’assèche pas et que les banques, qui ont aussi un rôle à jouer dans le financement de l’économie, puisse continuer à participer à des opérations de cette ampleur et de cette qualité.

« Les banques ont été le principal pare-choc de la crise. Avoir un système bancaire solide suppose que celui-ci puisse bénéficier également des opérations propres, solides, sans grands risques, pour équilibrer le tout. C’est dans l’intérêt de tout le monde », souligne-t-il.

« Quand il y en avait pour tout le monde, personne ne se plaignait ; maintenant que le crédit se fait rare, il faut une certaine solidarité », estime-t-il.

Les banques vivent en effet une situation pas très rose dans leur activité de financement des entreprises, notamment sur les crédits à l’équipement dont l’encours a baissé de 0,4% en 2021, selon les statistiques de Bank Al Maghrib. Voir de gros financements de la sorte leur échapper en ces temps de crise peut générer des motifs d’insatisfaction. Mais à la fin, c’est la loi du marché qui l’emporte.

Ce message, Abdellatif Jouahri l’a envoyé de manière directe aux banquiers, en déclarant dans sa dernière conférence de presse qu’il était prêt à veiller à ce que la concurrence soit saine, mais qu’il ne prendrait aucune mesure pour améliorer les comptes d’exploitation des banques au détriment de l’économie… Une phrase qui veut tout dire !

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