Financement du Nouveau Modèle de Développement: l'analyse de Nezha Lahrichi

Le Maroc porte l'ambition de passer à un nouveau palier de croissance, grâce à un nouveau modèle de développement, que le futur exécutif devra s'approprier pour atteindre cet objectif. Mais tout nouveau modèle de développement exige des financements. Comment s'articulera le financement de cette nouvelle phase pour le Maroc ? Eclairage de Nehza Lahrichi.

Financement du Nouveau Modèle de Développement: l'analyse de Nezha Lahrichi

Le 4 octobre 2021 à 13h01

Modifié 4 octobre 2021 à 13h51

Le Maroc porte l'ambition de passer à un nouveau palier de croissance, grâce à un nouveau modèle de développement, que le futur exécutif devra s'approprier pour atteindre cet objectif. Mais tout nouveau modèle de développement exige des financements. Comment s'articulera le financement de cette nouvelle phase pour le Maroc ? Eclairage de Nehza Lahrichi.

Le Maroc espère renouer avec la croissance, après deux ans de pandémie, mais pas n'importe quelle croissance. L'ambition est de porter le pays vers un nouveau palier.

Dans son plan quinquennal, le prochain gouvernement devra, nécessairement, converger vers les orientations du nouveau modèle de développement, avec des actions précises en définissant les modalités de leur mise en œuvre.

Se pose alors la question centrale du financement de ces actions pour atteindre les objectifs escomptés. Quel financement pour l'économie dans le cadre de ce nouveau modèle ? Quels leviers activer pour diversifier nos financements ? Quel rôle pour le marché des capitaux ?

Des questions auxquelles répond l'économiste Nezha Lahrichi, en décryptant la stratégie de financement telle qu’elle est esquissée par le Nouveau Modèle de Développement.

Médias24. Le financement de l’économie marocaine est un enjeu de taille. Comment le nouveau modèle de développement aborde cette question, au vu des objectifs ambitieux qu'il s'assigne ? 

Nezha Lahrichi. Il faut d’abord identifier l’articulation entre financement public et financement privé.

Le premier concerne les réformes structurelles en particulier dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, du transport et surtout dans le numérique, qui est un secteur transversal et pour lequel le Maroc enregistre un retard considérable mais rattrapable.

Le financement public concerne également les chantiers du capital humain et de l’inclusion : éducation, enseignement supérieur, santé, protection sociale, jeunesse qui nécessiteront des dépenses publiques récurrentes importantes. Il cible la phase d’amorçage pour assurer les conditions nécessaires, pour une prise de relais par le secteur privé.

Au-delà des financements concessionnels et des partenariats internationaux, cette phase d’amorçage sera marquée par une acceptation momentanée du déficit publique, le recours à l’endettement et une gestion active de la dette, sachant que le service de la dette a été de 93 milliards en 2020 ; mais le plus important concerne une politique fiscale efficace, en mesure de mobiliser des ressources supplémentaires dont le potentiel a été estimé entre 2 et 3 % du PIB.

En définitive, la stratégie du financement du nouveau modèle de développement déclinée s’appuie sur l’hypothèse du succès de l’amorçage qui va créer une dynamique, permettant au nouveau modèle de s’autofinancer et ce en générant une forte croissance et donc des recettes fiscales conséquentes.

Il est prévu un taux de croissance de 6%, en moyenne, à partir de 2025 et de 7% à partir de 2030 avec une augmentation de la part du secteur privé dans l’investissement évaluée à 35% actuellement.

-Pensez-vous que l'investissement privé peut prendre plus de place et un rôle plus important dans le financement de la croissance ?

-Le palier de croissance de 6% est conditionné par une forte dynamique de l’investissement privé, dans les secteurs productifs. Cette forte dynamique requiert trois éléments :

1- Une diversification des mécanismes et des systèmes de financement, à travers une offre bancaire compétitive, un marché boursier dynamique et attractif et le recours à des financements innovants.

2- La mobilisation efficiente de l’épargne institutionnelle et son déploiement en faveur des financements à long terme. Cela suppose une adaptation du cadre réglementaire régissant les assurances, les caisses de retraite et de protection sociale et la restructuration des EEP à caractère financier.

3- Le développement des PPP, en vue de l’ouverture de certains secteurs à l’investissement privé, en s’appuyant sur une liste de projets bancables.

- Le Marché des capitaux, aujourd'hui peu sollicité, peut-il contribuer davantage  au financement de l'économie ?

-La stratégie de financement présentée par le rapport général du NMD est complétée par des annexes dont l’une est intitulée, justement, « pari marché des capitaux », l’objectif étant la diversification des modes de financement de l’économie.

Le constat établi est qu’une structure financière, lourdement dépendante, de l’intermédiation bancaire pourrait s’avérer pénalisante sur le long terme. D’autre part, le financement bancaire n’a pas permis de servir de manière suffisante certains pans de l’économie, notamment les TPME, les start-up, l’économie sociale, etc. et ne sera pas suffisant pour atteindre les ambitions du NMD.

Quant au marché boursier, il s’agit d’un marché atone avec une offre de papier réduite, 10 nouvelles introductions en bourse en 10 ans, et surtout, une perte de confiance qui trouve son origine, dans des transactions boursières massives et peu transparentes qui ont permis à un nombre limité d’initiés d’en bénéficier de manière illicite.

L’objectif du « pari »est donc d’apporter un nouveau souffle aux marchés des capitaux, afin de renforcer leur contribution au financement direct de l’économie et de faire du Maroc, une plateforme financière régionale pour les capitaux internationaux et les économies africaines. Des objectifs stratégiques ont été déclinés et consistent à :

• Faire passer la capitalisation boursière totale de 54% du PIB en 2019 à 70% en 2035

• Faire passer les émissions d'actions, d’une moyenne annuelle de 100 millions de dollars entre 2015 et 2019 à 1 milliard de dollars entre 2021 et 2030 puis 5 milliards de dollars entre 2030 et 2035.

• Faire passer les émissions d'obligations d’une moyenne annuelle de 300 millions de dollars entre 2015 et 2019 à 2 milliards de dollars entre 2021 et 2030 puis à 7 milliards de dollars entre 2030 et 2035.

• Diminuer le poids des banques dans la capitalisation boursière de 35% à 20% en 2035

• Augmenter le nombre de sociétés cotées de 76 en 2019 à 300 en 2035

• Augmenter le nombre d'entreprises dont la capitalisation boursière est supérieure à 100 millions de dollars de 45 en 2019, à 150 en 2035

• Augmenter le pourcentage des transactions faites par des investisseurs internationaux de 10% à 25%

- Que faire alors pour remporter ce pari ?

-Il s’agit d’abord d’achever les réformes, entamées dans les années 1990, pour transformer la bourse en un marché dynamique capable de jouer pleinement son rôle de financement de l'économie et ce, en élargissant la base d’émetteurs et en diversifiant les instruments financiers. Dans ce sens, six actions sont proposées :

1-Utiliser la cotation des entreprises publiques comme moteur pour relancer la Bourse de Casablanca, en commençant par accélérer l’agenda d’introduction en bourse de participations minoritaires d’entreprises publiques, ayant une gouvernance et une situation financière saines leur permettant de faire appel à l’épargne dans les plus brefs délais. Le projet de création d’une agence de gestion des participations de l’Etat est une avancée, en mesure de faciliter cette action.

2-Encourager la cotation des sociétés immobilières pour tirer profit du développement de ce secteur : les soumettre aux mêmes exigences et obligations des OPCI (Organismes de Placement Collectif en Immobilier) et de les faire bénéficier du même régime fiscal dérogatoire.

3-Alléger la réglementation, de manière significative pour certaines catégories d’entreprises, afin de les encourager à recourir à la bourse : promouvoir une réglementation souple favorable à l’innovation financière et au développement de l’activité au niveau du marché boursier. Dans ce sens, il s’agit de créer des compartiments, avec une réglementation fortement assouplie, spécifique au contexte de certaines catégories d’entreprises, telles que les start-ups et les PME à fort potentiel de croissance : exemple du NILEX en Egypte premier marché de la PME dans la région MENA

4-Accélérer la mise en place du marché à terme ; celui-ci implique le développement des produits dérivés qui permettent de se couvrir, contre plusieurs risques, à travers des produits crées pour dissocier et transférer les risques en question. Ils sont utiles mais ils ont montré leurs limites puisqu’ils sont à l’origine de la crise des subprimes en 2008, qui a failli être une crise systémique et qui d’ailleurs n’a pas fini de produire ses effets.

5-La mise en place d’un cadre législatif pour la cotation des fonds indiciels qui permettent d’investir, dans un portefeuille de titres au lieu d’acheter des actions individuelles.

6- Développer le marché de la dette privée, càd soutenir les émissions obligataires des entreprises privées qui, aujourd’hui, profitent essentiellement aux banques et aux entreprises publiques. Il s’agit aussi des titres de Créances Négociables comme les billets de trésorerie qui permettent aux entreprises, de se faire financer, directement, sur le marché monétaire, soit à un taux d’intérêt inférieur aux taux bancaires.

- Le Maroc a toujours eu pour ambition d'être un hub financier majeure en Afrique. Comment concrétiser cette ambition dans le sillage du déploiement du NMD ?

-La réponse apportée par le NMD est axée sur la création des bourses spécialisées, telles que les bourses maritimes et les bourses de matières premières, pour profiter de l’activité commerciale qui s’est développée, dans ces domaines, notamment dans les phosphates et autour du port de Tanger Med.

Cela permettrait, notamment, d’attirer les entreprises africaines spécialisées dans ces domaines et opérant, dans des pays n’ayant pas de marché boursier local. Cela se fait dans d'autres parties de la région, notamment en Égypte, où ils mettent actuellement en place une bourse de matières premières pour le blé, les huiles, le sucre et le riz.

Un autre exemple est la Kuala Lumpur Commodities Exchange (KCLE) : une bourse de marchandises malaisienne qui négocie des contrats à terme sur l’huile de palme brute, l’étain, le caoutchouc et le cacao. la seconde proposition consiste à soutenir la diversification des instruments financiers, à travers un partenariat fort , celui avec le London Stock Exchange n’ayant pas produit les effets escomptés

- A plus court terme, le gouvernement envisage de lancer un grand emprunt National ? Qu'en pensez-vous ? 

-La première remarque est que l’épisode de la pandémie a connu un phénomène de thésaurisation inhabituel, qui s’est d’ailleurs traduit par une augmentation de la vente des coffres forts. L’observation des agrégats monétaires laisse en effet apparaître un fort accroissement de la circulation fiduciaire : les billets et monnaies en circulation sont passés de 250 Milliards de DH en 2019 à 300 Milliards de DH en 2020 et la tendance a continué au premier semestre 2021.

Certes il est difficile d’évaluer le cash qui sert aux transactions commerciales, mais il n’en reste pas moins qu’il est possible de mobiliser quelques dizaines de milliards de DH, qui sont en dehors du circuit bancaire, en ciblant les personnes physiques.

Les modalités pour maximiser les chances de succès du grand emprunt National n’ont pas encore été déclinées, tant il est difficile de concilier rentabilité, liquidité et anonymat, autant de caractéristiques pour assurer l’attractivité de l’emprunt et en faire un moment fort de mobilisation de la population.

Un premier test pour les 100 premiers jours du nouveau gouvernement, un cap d’une grande symbolique !

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