Grand emprunt national du Maroc : craintes et recommandations de banquiers

Visant à mobiliser l’épargne des particuliers pour financer l’effort étatique dans la guerre contre la crise du Covid-19, le méga emprunt national qui se prépare suscite des craintes parmi les banquiers. Voici leurs recommandations pour que cette opération se fasse sans dégâts.

Grand emprunt national du Maroc : craintes et recommandations de banquiers

Le 6 avril 2021 à 19h33

Modifié 11 avril 2021 à 2h51

Visant à mobiliser l’épargne des particuliers pour financer l’effort étatique dans la guerre contre la crise du Covid-19, le méga emprunt national qui se prépare suscite des craintes parmi les banquiers. Voici leurs recommandations pour que cette opération se fasse sans dégâts.

Programmé pour 2021, le lancement par l’Etat d’un méga-emprunt national qui cible les particuliers suscite des craintes dans le milieu bancaire et financier.

Des craintes de voir cet emprunt défiscalisé, comme décidé dans la loi des finances 2021, venir cannibaliser les dépôts et l’épargne bancaires et créer un effet contre-productif, en poussant les banques à augmenter leurs taux de rémunération pour contrer une éventuelle hémorragie des ressources. Une augmentation qui poussera automatiquement les taux des crédits à la hausse. Ce qui va à l’encontre des objectifs de la politique monétaire menée par Bank AL Maghrib qui tire les taux vers le bas pour permettre un meilleur financement de l’économie en temps de crise.

Consulté par Médias, un dirigeant de banque exprime clairement ces craintes et nous parle d’un flou qui entoure toujours cet emprunt national, son montage, ses objectifs, sa cible…

La carotte fiscale : un mauvais signal à l‘économie ?

Selon lui, il y a beaucoup de questions qui se posent. Si cet emprunt vise à financer le déficit budgétaire, pourquoi l’Etat a-t-il choisi la formule d’un emprunt national alors qu’il peut se financer avec facilité sur le marché intérieur des bons du Trésor ou même sur les marchés internationaux à des taux très attractifs, et ce malgré la récente dégradation de la note souveraine du pays par S&P ?

Pour lui, si l’Etat a choisi cette formule, ce n’est certainement pas pour mobiliser l’épargne qui est déjà dans le circuit bancaire et qui est recyclée justement par le système bancaire et financier pour financer le Trésor. Mais pour attirer l’argent qui dort dans les coffres-forts ou les bas de laine. Or, pour attirer ce cash qui circule dans l’économie en dehors des radars, estimé selon lui à 340 milliards de dirhams, l’Etat doit donner des carottes à cette population ciblée.

Des carottes fiscales, ce qui est déjà acquis comme prévu dans la loi de finances, mais aussi des bonus en termes de taux.

Deux carottes qui peuvent produire selon notre banquier des effets indésirables.

« L’exonération fiscale des intérêts de cet emprunt envoie un message négatif à l’économie et risque de renforcer le sentiment d’injustice fiscale, car il y a des gens qui ont déjà une épargne, qui investissent leur argent dans plusieurs instruments financiers et qui paient des impôts sur les intérêts ou les profits perçus. Venir avec une carotte qui cible l’informel serait comme une sorte d'encouragement de l’économie de rente, l’économie du black », souligne-t-il.

Un risque de cannibalisation de l’épargne bancaire

Deuxième risque, celui des taux. « Si on cible l’argent dormant, il est évident qu’il faut lui servir un taux de rendement supérieur à celui pratiqué par les banques. Sinon, l’opération n’atteindra pas ses objectifs. Or, si l’Etat offre une prime à la cible de cet emprunt, cela va créer de fortes distorsions sur le marché. Car cela peut pousser des gens qui ont une épargne bancaire, ou même des dépôts à vue, à vider leur compte pour acheter ces titres étatiques. Les banques, qui sont déjà en déficit structurel de liquidité, ne peuvent supporter cet effet de migration de leurs ressources. Elles seront donc obligées d’augmenter leurs taux de rémunération pour contrer ce phénomène. Ce qui poussera les taux de crédits également à la hausse. Ça créera une situation ubuesque, puisque tout cela va à l’encontre de la politique monétaire qui joue sur les taux bas en ces temps de crise », ajoute notre source.

Pour ces raisons, notre banquier estime que le montage de cet emprunt doit être très subtil, avec le bon dosage, entre mobilisation de l’épargne nationale pour financer l’effort étatique anti-Covid et la sauvegarde des équilibres monétaires et de l’image du pays.

« On est déjà sur une liste grise sur le sujet du blanchiment d’argent. Si l’emprunt n’est pas bien dosé, on risque d’accentuer cette image à l’international », alerte-t-il.

La formule proposée pour une opération avec le minimum d’effets secondaires

Cet emprunt national doit donc être taillé sur mesure pour éviter l’ensemble de ces effets secondaires. Comment ?

« Si on vise l’argent dormant, il faut concevoir l’opération sous forme de prolongement de l’amnistie sur le cash, accordée en 2020, en donnant à la population ciblée une sorte de garantie de non-contrôle fiscal en cas de souscription à cette dette. Cela peut justifier un bonus sur le taux, car l’objectif serait d’amener l’argent thésaurisé vers le circuit financier. Mais pour cela, il faut interdire la cession des titres sur le marché secondaire, sinon on se retrouvera avec des gens qui vont investir leur argent gagné dans le noir, prendre un quitus fiscal et vendre trois mois plus tard leurs titres. Ce qui n’est autre que du blanchiment d’argent organisé. Les titres doivent être donc non cessibles sur toute la maturité de l’emprunt. Une maturité qui doit être longue, d’au moins 5 ans, pour stabiliser cet effet inclusif. Et le plus important, c’est que l’emprunt doit être remboursé in fine, les gens ne percevront donc que les intérêts tout au long de la durée de l’emprunt, avant d’être remboursés sur le principal à la dernière échéance », explique notre banquier.

Ces clauses de « non-cessibilité des titres » et de « remboursement in fine » permettront à l’Etat de faire d’une seule pierre deux coups, estime notre source : « attirer l’argent qui dort, mais sans toutefois créer un effet de cannibalisation de l’épargne bancaire. Puisque la non-cessibilité et le remboursement in fine rendent de facto l’épargne illiquide. Ce qui va décourager une bonne partie de la clientèle des banques d’abandonner leur épargne à vue ou de casser leur DAT qui sont bloqués au maximum sur une durée d’un an », précise notre banquier.

Ces clauses d’illiquidité, avec un habillage d’amnistie sur le cash, sont, selon notre source, la seule manière de faire passer l’opération sans grand dégâts et sans qu’elle ne soit perçue comme du blanchiment d’argent. Et elle ne mobilisera finalement que la grande épargne, détenue par des personnes qui n’ont pas de soucis de liquidité ou de disponibilité d’argent sur le moyen et long terme.

Inclure également les Sukuk ?

Autre idée qui circule dans les milieux bancaires, lancer cette dette sous forme de Sukuk pour mobiliser également l’épargne qui dort pour des motifs religieux.

Une idée dont notre banquier ne voit pas l’utilité. « Cela fait plus de quatre ans que nous nous sommes lancés dans le marché participatif, avec l’idée que nous allons pouvoir attirer cette épargne qui fuit le système classique pour des raisons éthiques. Malgré tous les instruments que les banques participatives ont mis en place, celles-ci manquent toujours de ressources. Et avec le recul que nous avons aujourd’hui, on constate que ce qui intéresse les gens, ce ne sont pas les dépôts dits halal, mais plutôt les crédits immobiliers. Ça montre une réalité : les gens au Maroc ne gardent pas l’argent chez eux pour des motifs éthiques comme on pouvait le croire, mais surtout pour des raisons fiscales. Lancer des Sukuk ne servira à mon avis à rien, sauf à compliquer le montage de l’emprunt », explique notre banquier, qui reste toutefois convaincu que le choix de la défiscalisation fait par le gouvernement n’a pas été « judicieux ».

« Il vaut mieux donner aux gens un taux fiscalisé de 3,6% qu’un taux défiscalisé de 3%. Nous traînons un gros problème sur le registre de l’injustice fiscale, de la culture de l’acquittement de l’impôt, cette carotte fiscale ne fera qu’empirer les choses », estime-t-il.

Dirigé par un ancien patron de banque, le ministère des Finances doit être conscient de l’ensemble de ces inquiétudes et remarques. Comment arrivera-t-il à gérer cette équation si délicate en évitant, comme nous le dit notre source, de « déshabiller Paul pour habiller Jacques » ? Le marché attend le montage de Monsieur Benchaâboun avec impatience…

>> Lire aussi : Emprunt national : le Maroc sur le point de renouer avec une vieille tradition

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