Interview. Dans le désert, des nomades “oubliés” suspendus à la solidarité associative

Le VerdePassione49, un groupe de supporters du Raja de Casablanca, organise chaque année une grande action en faveur des populations défavorisées. Début janvier, le groupe est parti dans la région de Merzouga. Jointe par Médias24, Maha Nabil, l’une de ses membres, décrit des conditions de vie extrêmement précaires. Plus encore, elle regrette le manque, voire l’absence, de communication de la part du tissu associatif qui, estime-t-elle, ne joue pas son rôle de communication, d’information et de sensibilisation de la population marocaine.

Interview. Dans le désert, des nomades “oubliés” suspendus à la solidarité associative

Le 18 février 2021 à 15h03

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

Le VerdePassione49, un groupe de supporters du Raja de Casablanca, organise chaque année une grande action en faveur des populations défavorisées. Début janvier, le groupe est parti dans la région de Merzouga. Jointe par Médias24, Maha Nabil, l’une de ses membres, décrit des conditions de vie extrêmement précaires. Plus encore, elle regrette le manque, voire l’absence, de communication de la part du tissu associatif qui, estime-t-elle, ne joue pas son rôle de communication, d’information et de sensibilisation de la population marocaine.

Médias24: Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amenée dans la région de Merzouga ?

Maha Nabil: Cette année, notre choix s’est porté sur la région du Sahara où vivent les nomades. Un ami qui s’y était déjà rendu avait gardé contact avec l’un des guides, qui l’a sollicité dans l’espoir d’apporter de l’aide à ces populations. L’idée est partie de là. Nous nous y sommes rendus début janvier pour distribuer ce que nous avons récolté et avons été particulièrement choqués par ce que nous avons vu.

-Qu’avez-vous vu ?

-Des pseudo tentes faites de bâches en plastique, bien loin de la carte postale. Des abris de fortune plus que des tentes. La majeure partie des familles n’ont plus de bétail à cause de la sécheresse – ils ont été obligés de vendre les bêtes qu’il leur restait.

Des enfants et des femmes pieds nus, le froid, le manque de denrées alimentaires, les difficultés à trouver du travail. La région vit du tourisme, or il n’y en a plus depuis la survenue de la crise sanitaire.

Les nomades eux-mêmes vivent du tourisme mais les choses ne sont pas du tout structurées. Aujourd’hui, l’État n’investit pas dans ces populations, notamment en faisant du tourisme chez l’habitant, en mettant en place des coopératives – bref, des solutions pérennes qui puissent les aider à vivre décemment.

La solidarité, c’est une bonne chose, mais elle ne peut pas être perpétuelle. Ce n’est pas une solution en soi, et l’absence d’associations en bonne et due forme qui puissent les accompagner et les aider n’arrange rien.

L’impression qu’on a eue, c’est que ces gens sont complètement oubliés. A notre retour à Casablanca, nous avons décidé de partager ce que nous avons vu sur Twitter pour que ceux qui le veulent se mobilisent.

-Quelles aides avez-vous recueillies ?

-La banque alimentaire nous a donné des aides alimentaires pour 25 familles, et un jeune nous a offert 270 kg de légumineuses et de pâtes. Nous avons également récolté des couvertures et des vêtements pour hommes, femmes et enfants. Un responsable dans le textile nous a en effet donné gratuitement huit cartons de vêtements neufs, 500 pièces au total.

Toutes aides confondues, nous avons 1,5 tonne de produits. Précision : nous ne faisons aucune action sans passer par une association sur place, justement parce que nous ne sommes pas une association, mais de simples bénévoles. Pour chaque action que nous organisons, nous choisissons une association locale qui s’occupe de la distribution sur place, afin de respecter le volet légal. Nous avons donc fait acheminer ces aides via un transporteur à Errachidia, et le président de la fédération locale pour le tourisme local, baptisée Taouz, les a lui-même transportées et distribuées aux populations samedi dernier.

-Quels sont vos objectifs à travers ces actions ?

-Nous avons deux objectifs : le premier, c’est de rapporter ce que nous voyons pour que la société civile soit sensibilisée et informée, et qu’elle prenne le relais.

L’année dernière, nous étions déjà allés dans un village montagneux à 2.700 mètres d’altitude, Lalla Aziza, situé entre Marrakech et Agadir. Depuis, un groupe de bénévoles a pris le relais et continue d’aider les populations qui y vivent.

Ce sont des citoyens lambda qui ne font pas partie d’une association mais qui veulent aider avec leurs propres moyens, peut-être par manque de visibilité et de confiance vis-à-vis de certaines associations.

De manière générale, les associations au Maroc ne communiquent pas sur ce qu’elles font. Elles font des appels aux dons, mais concrètement, nous n’avons pas de visibilité sur l’octroi de ces dons : où va l’argent ? Pour qui, pour quoi ? On a donc tendance à faire confiance à des petits groupes qui se mobilisent et qui donnent de la visibilité sur leurs actions, plutôt qu’à des associations qui ne communiquent pas sur leurs bilans. Certaines n’ont même pas de sites internet, ne sont pas joignables…

Le deuxième objectif, c’est de montrer aux médias certaines réalités du Maroc que, peut-être, ils ne voient pas. J’estime que c’est le rôle des médias de tirer un peu les oreilles et la sonnette d’alarme auprès des responsables politiques. Ce ne sont pas à ces groupes de bénévoles de le faire, qui ne peuvent que donner un peu de visibilité sur les conditions de vie de ces populations, rien de plus.

Notre objectif, c’est de dire aux médias : "il y a des choses à voir et à raconter : allez-y". En tant que bénévoles, nous n’avons ni les moyens, ni les ressources, ni même le droit d’en parler dans l’absolu. Ce sont des choses qu’il ne fait pas bon montrer au Maroc.

-Quelles différences remarquez-vous entre les régions montagneuses et la région désertique de Merzouga ? En quoi diffèrent vos interventions auprès des populations montagneuses de celles que vous organisez auprès de ces nomades ?

-La différence, elle est simple – mais ce n’est que mon ressenti et je ne l’érige pas en une vérité générale pour autant : ce que je constate, c’est qu’au Maroc, on a tendance à parler de régions recluses. Dans notre esprit, une région recluse, c’est une région montagneuse. En allant à Merzouga, on s’est rendu compte qu’il y avait pire que ces lieux montagneux et reculés : il y a des régions recluses, certes, mais il y a aussi des régions complètement oubliées.

Quand je prends conscience que ces populations vivent grâce à leur bétail et aux touristes de passage, en tant que Marocaine, je me dis que je ne suis d’aucune utilité pour ces gens, parce qu’ils se débrouillent seuls.

Autant dans les régions recluses, il y a toujours une école, un dispensaire ; autant dans ces régions oubliées, je ne sais même pas si le système les aide en quoi que ce soit. Ces gens n’ont rien. Est-ce qu’ils sont au moins reconnus en tant que citoyens marocains ? Inscrits à l’état-civil ? Certainement qu’ils le sont, mais est-ce que le rôle de l’État aujourd’hui se limite à cet enregistrement à l’état-civil ?

Le sentiment que j’ai eu sur place, c’est que ce sont des populations ou-bli-ées. Elles-mêmes le disent. Elles ne font que confirmer nos ressentis et nos impressions. Un exemple : les puits qu’ils ont n’ont pas été installés par l’État, mais lors d’un rallye Aïcha des Gazelles. Si ces populations vivent grâce à la solidarité qui se met en place autour d’elles, alors où est l’État ? Où sont les élus ?

-Justement, quelles sont les limites de la société civile ?

-L’essentiel doit être fait par l’État ; la société civile n’est là que pour ajouter quelques touches. Je vais vous dire : sur place, nous avons eu le sentiment d’être des étrangers chez nous, dans notre propre pays.

Je m’explique : je suis marocaine, je travaille, je paye un impôt sur le revenu ; je suis donc censée savoir où va cet argent. Or quand j’arrive sur place et que je vois qu’ils n’ont rien, quelque part, en tant que citoyenne, vis-à-vis de ces gens, je me dis que je n’ai aucune valeur ajoutée pour eux. Encore une fois, j’ai l’impression de leur n’être d’aucune utilité.

Au lieu de les laisser vendre leur bétail parce qu’ils ne peuvent plus le nourrir, au point de finir par ne plus en avoir du tout, pourquoi ne pas créer des coopératives qui assurent pour eux la nourriture du bétail, comme il existe des coopératives d’huile d’argan ou que sais-je encore ? Pourquoi ne pas leur fournir de vraies tentes de nomades où les touristes pourraient venir ? Est-ce que ce genre d’idée germe auprès des élus et du tissu associatif de cette région ? Leur rôle est aussi de sensibiliser, d’informer la population marocaine dans son ensemble sur les conditions de vie de certains de leurs lointains compatriotes.

A chaque fois, il faut attendre de prendre connaissance d’une région et de sa population pour qu’une chaîne de solidarité se mette en place. C’est exactement comme la vidéo de ce petit garçon originaire d’un douar à proximité de la région d’Azilal qui a beaucoup tourné : avant, qui connaissait l’existence de ce village ?

C’est toujours la même chose : le Marocain citadin est en total décalage avec ce qui se passe autour de lui. Dans certaines régions, les caravanes affluent alors que d’autres régions n’en ont quasiment jamais vues. Ce n’est pas normal. J’insiste : les associations ont effectivement un rôle limité, mais en tant qu’entités qui reçoivent des subventions de l’État, elles se doivent de sensibiliser et d’informer la population sur ce qui se passe au Maroc – et pas simplement de percevoir des fonds.

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