Covid-19 : L'essentiel sur l'implication des cliniques et la polémique sur les tarifs

La contribution du secteur privé dans la prise en charge de la Covid s'est accompagnée de son lot de polémiques entre des tarifs jugés élevés, des bases de remboursement en total décalage avec la réalité et des pratiques illégales ou non éthiques. Roundup pour comprendre tous les aspects de ce sujet complexe.

Covid-19 : L'essentiel sur l'implication des cliniques et la polémique sur les tarifs

Le 15 novembre 2020 à 18h06

Modifié 11 avril 2021 à 2h49

La contribution du secteur privé dans la prise en charge de la Covid s'est accompagnée de son lot de polémiques entre des tarifs jugés élevés, des bases de remboursement en total décalage avec la réalité et des pratiques illégales ou non éthiques. Roundup pour comprendre tous les aspects de ce sujet complexe.

En ces temps de pandémie, les maux dont souffre le Maroc ont été amplifiés. Ceux du système de santé ont été dévoilés comme jamais. 

Il est vrai que face à une crise qui fait chavirer les systèmes les plus avancés dans le monde, le système de santé au Maroc résiste comme il peut, mais les efforts fournis s'avèrent insuffisants. Dès que les chiffres ont commencé à s'envoler, les structures publiques ont vite été dépassées, ce qui a nécessité l'intervention du secteur privé notamment pour aider à absorber le flux des cas sévères et critiques. La question qui déchaine les passions, c'est de savoir à quel prix ?

En effet, les témoignages font état de montants élevés exigés aux familles, d'avances obligatoires avant de prendre en charge les patients, de demandes de versement en espèces ou de chèques de garanties, parfois de refus de délivrance de factures aux familles des patients... Des pratiques qui étaient déjà là avant la Covid-19, mais qui se sont accentuées par ce dernier.

Le dossier est complexe dans le sens où des aspects doivent être gérés dans un cadre plus global car ils touchent la prise en charge Covid et non-Covid, comme les pratiques administratives des cliniques. Et d'autres sont liés directement à la crise et le principe d'équité et d'égalité entre les citoyens dans la prise en charge dans le cadre de cette pandémie. Dans cet article, Médias24 fait un Roundup de la problématique dans tous ses aspects. 

L'implication du privé dans le Covid

Au début de la pandémie, le secteur public était seul à gérer les cas Covid, à l'exception de certaines cliniques qui ont été gratuitement mises à la disposition de l'Etat. La contribution du privé consistait plus à aider à équiper des structures publiques pour la prise en charge du Covid. Par exemple, la polyclinique CNSS Ziraoui a été convertie et dédiée aux soins intensifs. Elle a été presque entièrement équipée par le privé, à en croire Redouane Semlali, président de l'ANCP (Association nationale des cliniques privées). 

Les chiffres de la deuxième phase de la pandémie, lors de l'après confinement, ont rendu nécessaire une intervention plus accentuée du privé. "Il y a eu bénévolat, aide, soutien puis agrément du ministère à la prise en charge", résume Redouane Semlali, président de l'ANCP (Association nationale des cliniques privées). 

La prise en charge des malades Covid dans les cliniques privées a été autorisée dans 4 grandes villes: Rabat, Marrakech, Casablanca et Agadir. La dernière nouveauté, c'est la prise en charge Covid en ambulatoire: des cliniques ont lancé la prise en charge à domicile avec suivi complet.

Il y a aussi un autre aspect de la contribution du privé. Suite à un accord avec le ministère de la Santé, l'ANCP apporte désormais un contingent de médecins en renfort de la lutte contre la Covid-19 dans les structures de la santé publique. 

Le cadre d'exercice de la médecine privée

Les pratiques des cliniques privées sont souvent décriées, même hors Covid, par les patients notamment sur les aspects administratifs, comme le fait de refuser de fournir une facture. 

Il est important de rappeler le cadre légal dans lequel s'exerce la médecine privée, régie par la loi 131-13 relative à l'exercice de la médecine. Ce cadre précise clairement que les cliniques sont obligées de délivrer une facture ou quittance et elles sont interdites d'exiger des avances dans le cadre du tiers payant. 

Cette loi dispose dans son article 2 : "la médecine est une profession qui ne doit en aucun cas ni d'aucune façon être pratiquée comme un commerce".

Selon l'article 44, "tout médecin est appelé, au vu des résultats des examens cliniques ou fonctionnels qu'il a effectués, des actes médicaux, analyses de biologie médicale, et examens médicaux de radiologie ou l'imagerie qu'il a prescrits, le cas échéant, à établir les rapports, les ordonnances, les certificats et tous autres documents médicaux dont la production est prescrite ou autorisée par la législation et la réglementation en vigueur. Ces documents doivent être rédigés lisiblement et porter le nom du médecin concerné, sa qualité, son adresse professionnelle, son numéro téléphonique, sa signature autographe et son cachet, ainsi que la date à laquelle il les a établis".

Au niveau de l'article 46, la loi exige des cabinets médicaux "d'afficher de façon visible et lisible dans les espaces d'accueil ou dans leur salle d'attente ou le cas échéant dans leur lieu d'exercice habituel, les tarifs de leurs honoraires médicaux et des prestations qu'ils rendent". "Ils sont également tenus d'afficher leur adhésion ou non aux conventions nationales établies dans le cadre de l'assurance-maladie obligatoire de base". 

Les exigences dans ce domaine relatives à cliniques privées sont détaillées dans l'article 75. "La liste des médecins exerçant au sein de la clinique à titre permanent ou occasionnel, ainsi que leurs spécialités doivent être affichées, sous la responsabilité du directeur médical, à la devanture de celle-ci et dans ses espaces d'accueil. Doivent également faire l'objet d'affichage visible et lisible dans les espaces d'accueil de la clinique et les devantures des bureaux de facturation, sous la responsabilité du directeur administratif et financier, toutes les informations relatives aux tarifs des prestations qu'elle offre et aux honoraires des professionnels qui y exercent. L'adhésion de la clinique aux conventions nationales établies, dans le cadre de l'assurance maladie obligatoire de base, ou sa non-adhésion doit également être affichée. 

En cas de tiers payant, il est interdit à la clinique de demander aux personnes assurées ou à leurs ayants droit une provision en numéraire ou par chèque ou tout autre moyen de paiement en dehors de la part restant à leur charge. 

La clinique doit délivrer une quittance de paiement contre toute somme perçue en contrepartie des soins. 

La révision de la tarification nationale de référence

En ce qui concerne la question des tarifs pratiqués dans le privé, c'est une problématique qui dure depuis des années.

Dans le cadre de l'AMO, les caisses gestionnaires (CNSS et CNOPS), le régulateur ANAM et les professionnels de soins signent des conventions fixant des tarifs nationaux de référence (TNR)  pour chaque acte de soins. Ces tarifs sont ceux que les professionnels adhérant à la convention s'engagent à respecter et ils servent de base pour le remboursement et la prise en charge AMO. Les premières conventions ont été signées en 2006 avec la condition d'être revues tous les trois ans. Cette révision n'a pas eu lieu. Depuis cette date, très peu d'actes ont été réévalués, ce qui a créé un grand désaccord entre les prestataires de soins et les gestionnaires AMO.

En 14 ans, beaucoup de choses ont évolué. La médecine a évolué en termes de pratiques, d'équipements, de procédés,... L'inflation aussi a eu ses effets sur les prix et le pouvoir d'achat... des renchérissements qui n'ont pas été pris en compte dans les tarifs de référence. 

Face au blocage du mécanisme de réévaluation, les prestataires de soins ont pris la liberté de revoir leurs tarifs. Il est important de noter que cette révision n'est ni encadrée, ni contrôlée. L'administration campe sur la position selon laquelle seuls les TNR sont en vigueur. 

Plus les années passent, plus la différence (appelée dans le jargon assurantiel "le reste à charge") entre ces TNR et les tarifs réels augmente. Le reste à charge pour une consultation chez un généraliste est de 70 DH par exemple (tarif moyen réel 150 DH contre TNR de 80 DH). Il est de 5.000 DH dans le cas d'un accouchement par voie basse (tarif moyen de 8.000 DH contre un forfait de remboursement de 3.000 DH).

Ce qui créé un sentiment de défiance chez les populations qui ne comprennent pas les raisons pour lesquelles elles paient des tarifs différents de ceux des bases de remboursement. Ce sentiment est accentué, il faut le dire, par des pratiques frauduleuses et non éthiques de la part de certaines cliniques dont la surfacturation, les faux dossiers de prise en charge, le refus d'accepter des patients sans chèque de garantie,... 

Consciente de cette problématique, l'ANAM a mené des négociations qui ont abouti à l'établissement de nouvelles conventions qui révisent les TNR des actes les plus consommés et dont le reste à charge est élevé. Cette convention a été signée en janvier 2020 mais son exécution est bloquée.

Alors que le Maroc est engagé dans un chantier structurant de généralisation de la couverture médicale à toute la population, la révision des tarifs de référence est un axe stratégique qui devra se faire dans les deux années à venir. 

Les tarifs Covid, plus chers dans la réalité, basés sur les TNR 

Dans ce contexte de défiance entre les populations et les cliniques privées et de blocage de la révision des conventions tarifaires, la crise Covid n'a fait qu'empirer les choses. 

Au début pris en charge que dans le public, la tarification des actes liés à la pandémie ne posait pas de problème. Quand les cas ont augmenté considérablement, saturant les capacités publiques, le privé a été appelé à la rescousse.

La contribution du privé ne s'est malheureusement pas faite dans le cadre d'un partenariat public privé (PPP) où le public prend en charge les malades même s'ils sont soignés dans le privé (comme pour le cas de la dialyse). Cette option aurait garanti l'égalité du traitement des citoyens et évité tout le débat autour des tarifs Covid. 

L'Etat a préféré activer le mécanisme de prise en charge dans le cadre de l'AMO non sans difficultés. C'est ainsi que l'ANAM a mis en place avec le ministère de la Santé un protocole de référence pour la prise en charge des actes Covid dans le cadre de l'assurance-maladie. Cette prise en charge se fait sur la base des tarifs nationaux de référence existants, alors que ceux-ci posent problème. 

Ainsi, le problème du reste à charge s'est également invité dans le cadre de la pandémie, d'autant plus que les cas qui s'adressent aux structures hospitalières sont des cas critiques et sévères. Ils nécessitent des séjours en réanimation et en soins intensifs.  

Selon le protocole de référence adopté par l'ANAM et qui sert de base de remboursement dans le cadre de l'AMO, la prise en charge d'un cas sévère coûte 22.149,90 DH. Ce montant est porté à 34.099,90 DH pour les cas critiques. Les tarifs pratiqués au niveau des cliniques démarrent à 60.000 DH. En plus, plusieurs cliniques ont été épinglées demandant des provisions en espèces ou par chèque aux familles des patients. Ce qui n'a pas manqué de créer une vague d'indignation contre les cliniques chez l'opinion publique qui estime que le privé profite de la crise pour surfacturer.

"Quand une famille dit qu'on lui a exigé de payer 50.000 ou 60.000 DH, cela ne veut rien dire. Il faut voir dans le détail les soins qui ont été prodigués au patient. Ce qui est perçu comme une surfacturation par les populations, est une adaptation à la réalité du profil de réanimation des malades Covid", nous explique Redouane Semlali. Ce dernier avance "qu'une réanimation du malade Covid n'est pas une réanimation normale. En plus du coût d'une réanimation normale il faut ajouter les coûts des médicaments spécifiques au Covid, de la consommation d'oxygène en hyper pression avec un débit élevé, des équipements de protection du personnel..."

"Un patient peut consommer jusqu'à 5.000 DH d'oxygène par jour. Avec les médicaments en plus, ce montant peut dépasser les 8.000 DH / jour rien que sur ces deux postes. Il y a jusqu'à 5 personnes qui s'occupent du malade Covid en réanimation dont le coût des équipements de protection est de 200 DH / jour / personne... C'est pour cela que je dis que les montants seuls ne veulent rien dire. Il faut que les éléments de contrôle soient mis en place et opérés pour que les gens soient convaincus", argumente Semlali. 

Le ministère doit activer le contrôle 

Pour mettre fin à la polémique liée aux cliniques privées, le ministère de la Santé doit activer son pouvoir d'inspection et de contrôle. La loi 131-13 réglemente l'audit et l'inspection des cliniques. L'article 89 dispose : " Les cliniques sont soumises à des inspections périodiques sans préavis, effectuées chaque fois que nécessaire et au moins une fois par an, par une commission composée de représentants de l'autorité gouvernementale compétente, assermentés conformément à la législation en vigueur et porteurs d'une lettre de mission délivrée à cet effet par ladite autorité, et d'un représentant du conseil régional de l'Ordre concerné. L'inspection a pour objet de vérifier que les conditions législatives et réglementaires en vigueur applicables à l'exploitation de la clinique sont respectées et de s'assurer de la bonne application des règles professionnelles en vigueur par l'établissement. A cet effet, les membres de la commission ont accès à tous les locaux et services de la clinique ainsi qu'à l'ensemble des équipements fixes et mobiles se trouvant sur le site. Ils peuvent demander la communication de tous documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission quel qu'en soit le support et le cas échéant en prendre copies. Ils peuvent également prendre des photographies en cas de nécessité".

Selon l'article 90, "s'il est relevé à travers ledit rapport des dysfonctionnements ou des infractions, l'autorité gouvernementale compétente en informe le directeur médical de la clinique et le met en demeure de faire cesser les violations constatées dans un délai qu'elle fixe selon l'importance des corrections demandées. Si à l'expiration du délai prescrit, éventuellement prorogé une fois à la demande du directeur médical de la clinique, et suite à une nouvelle visite d'inspection, la mise en demeure est restée sans effet, l'autorité gouvernementale compétente peut, selon la gravité des infractions :  soit demander au président du conseil régional de l'Ordre compétent la traduction du directeur médical devant le conseil de discipline ; soit engager les poursuites que justifient les faits relevés ; et, lorsque l'infraction relevée est de nature à porter atteinte à la santé de la population ou à la sécurité des patients, demander au président de la juridiction compétente d'ordonner la fermeture du cabinet dans l'attente du prononcé du jugement."

"Lorsqu'il est constaté qu'un danger imminent empêche la clinique de continuer à être ouverte au public, il est demandé aux pouvoirs publics compétents d'émettre une décision administrative de fermeture provisoire, dans l'attente du prononcé d'une décision à cet effet de la part du président du tribunal. En outre, si les faits commis menacent l'ordre public ou la santé des citoyens et constituent une infraction pénale, il peut être demandé au ministère public compétent d'émettre une ordonnance prudentielle de fermeture provisoire de la clinique dans l'attente de la décision de la juridiction concernée".

>>Lire aussi: Covid-19 : Khalid Lahlou, DG de l'ANAM dit tout sur le remboursement et les tarifs

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