Crédits. Les banques sous perfusion grâce aux prêts garantis par l’Etat

La production de crédits est au ralenti hors compartiment « crédits de trésorerie », boosté essentiellement par les produits de "Relance" garantis par la CCG. Une donnée qui illustre les difficultés que connaît le secteur bancaire qui fait face à un double phénomène : le ralentissement de la demande et la montée des risques.

Crédits. Les banques sous perfusion grâce aux prêts garantis par l’Etat

Le 4 septembre 2020 à 15h17

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

La production de crédits est au ralenti hors compartiment « crédits de trésorerie », boosté essentiellement par les produits de "Relance" garantis par la CCG. Une donnée qui illustre les difficultés que connaît le secteur bancaire qui fait face à un double phénomène : le ralentissement de la demande et la montée des risques.

Les statistiques monétaires arrêtées à fin juillet par Bank Al Maghrib donnent une image très parlante de la situation assez particulière que vivent les banques cette année.

A part les crédits de trésorerie dont l’encours augmente de 10,5% depuis le début de l’année, tous les autres compartiments de crédits stagnent ou baissent. Les crédits à l’équipement ne progressent que de 0,5%, ceux à l’immobilier de 0,6% quand les crédits à la consommation baissent carrément de plus de 2,7%.

Résultat des courses : l’encours global des crédits affiche une progression de 3,1%. Une évolution trompeuse car elle résulte de l’exceptionnelle progression des crédits de trésorerie, dont la quasi-majorité est constituée des crédits garantis par l’Etat : Damane Oxygène, Damane Relance et Relance TPE.

Un dirigeant de banque consulté par Médias24 reconnaît que sans ces produits garantis par l’Etat, l’encours global des crédits aurait baissé ou au mieux stagné.

Les encours portés par les produits de Relance

Mais si Damane Oxygène est un crédit à court terme qui a servi à maintenir les entreprises sous perfusion pendant les trois mois de confinement, pourquoi les produits de « Relance » qui ont un terme de 7 ans sont-ils considérés comme des crédits de trésorerie ?

Notre dirigeant de banque explique que c’est la règle qui a été édictée par Bank Al Maghrib. Une règle logique selon lui : « Ces crédits ne sont pas destinés à l’investissement quoique leur échéancier peut aller jusqu’à 7 années. Nous avons donc décidé de les classer en crédits de trésorerie ».

Une classification qui relève du bon sens, ajoute un analyste spécialisé dans le secteur bancaire : « La CCG précise dans l’objet de ces crédits qu’ils doivent être destinés au paiement des fournisseurs, des salaires, des charges courantes… Ce sont donc des crédits qui financent le besoin en fonds de roulement. Même s’ils sont remboursés sur 7 ans, ils sont de fait des crédits de trésorerie ».

Pour notre dirigeant de banque, ce constat que reflètent les statistiques monétaires de Bank Al Maghrib est tout à fait normal et était attendu : « C’est une période de perfusion. Ce sont les crédits de trésorerie qui ont été le plus débloqués, notamment ceux garantis par l’Etat, en plus des lignes de trésorerie normales que les banques mettent à la disposition des entreprises. Les crédits garantis par la CCG ne se sont pas substitués aux lignes déjà en place, mais sont venus en complément », précise-t-il.

Du fait de la crise économique, la stagnation ou la baisse des autres catégories de crédit paraît également logique.

Pour les crédits à l’équipement, il s’agit surtout d’une question de demande, explique notre source. « Nous avons débloqué des crédits corporate de janvier à mars, un trimestre qui était bon d’ailleurs. Mais à partir de la déclaration de l’état d’urgence, la demande s’est arrêtée. Ce qui est normal, car les entreprises ne peuvent pas investir si elles manquent de visibilité ».

Une situation qui devrait empirer selon notre analyste, qui prévoit une baisse plus prononcée sur le reste de l’année : « La stabilité qu’affiche l’encours des crédits à l’équipement à fin juillet ne reflète pas la situation réelle, car beaucoup d’entreprises ont bénéficié des mesures de report de règlement des échéances, ce qui maintient l’encours quasi-intact. La descente commencera à partir du troisième trimestre qui signera la fin de ce moratoire donné par les banques à leurs clients ».

Même situation pour les crédits à l’immobilier. Les crédits au logement et à la promotion ont certes stagné, mais c’est trompeur. « Cette stagnation résulte aussi bien de l’arrêt des mises en chantier et des transactions, mais aussi du report des échéances, activé à partir du deuxième trimestre et qui est renouvelable pour un trimestre de plus. Dès le troisième trimestre, l’encours de ces crédits connaîtra une forte baisse », prévoit notre analyste.

Le report des échéances n’a pas empêché toutefois l’encours des crédits à la consommation de baisser à fin juillet (-2,7%). Un trend qui va aller en s’accélérant à partir de ce mois de septembre, « mais qui sera limité relativement par la petite reprise remarquée sur la période de Aid Al Adha et la rentrée scolaire », nuance notre analyste.

En somme, c’est pratiquement toute l’activité bancaire qui est en difficulté cette année. Et la seule branche qui fonctionne est celle portant sur les produits de relance. Des produits qui vont sauver l’année commerciale pour le secteur. Aussi bien le dirigeant de banque que l’analyste consultés estiment que le secteur finira l’année sur une progression de l’encours global des crédits de près de 4%, soit pratiquement le même niveau des dernières années.

« Sur les dix dernières années, l’encours des crédits a progressé en moyenne de 4,7% suivant le rythme de progression du PIB non agricole ajusté de l’inflation. Les produits de relance ont un potentiel de 70 milliards de dirhams, soit près de 8% de l’encours global des crédits à fin 2019 (917 milliards de dirhams). En prenant en compte la baisse du PIB non agricole de 4%, qui affectera les encours des crédits à l’équipement, de l’immobilier et de la consommation, on finira donc sur une progression annuelle de l’encours des crédits de près de 4% », calcule notre analyste.

Une production portée essentiellement par les crédits garantis par l’Etat, sans lesquels l’année serait catastrophique pour le secteur bancaire. « Sans ces produits, l’encours des crédits finirait en baisse d’au moins 4% en ligne avec la baisse attendue du PIB non agricole », note notre analyste.

Mais cette croissance, quoique commercialement bonne et relativement comparable à celles des années précédentes, n’aura pas la même couleur. Ni les mêmes conséquences sur les bilans et les résultats des banques.

Baisse de la marge et de la profitabilité

La chute de la production des crédits à l’équipement, à l’immobilier et à la consommation impactera directement la marge d’intérêt du secteur, une des principales sources de revenus des banques. Un impact qui ne sera que légèrement amorti par la forte progression des crédits de trésorerie. « La marge des produits Relance est plafonnée à 200 pb. Cela diluera la marge globale du secteur, faute de production dans les autres compartiments de crédit. Un effet auquel il faut ajouter l’effet des reports des échéances bancaires qui s’est fait gratuitement dans certains cas sans produire d’intérêts… », estime notre analyste.

Mais pour notre dirigeant de banque, avec ce ralentissement de la marge, dû à la concentration des crédits sur des produits à marge plafonnée, il n’y aura pas que du mauvais, car même si le secteur verra sa marge se réduire, la profitabilité ne sera pas fortement touchée. « Pour un banquier, un crédit Relance restera toujours plus intéressant en termes de profitabilité qu’un crédit de trésorerie ou à l’équipement classique. La garantie de l’Etat apporte de la sécurité et n’agit pas sur le coût du risque. Donc cette croissance de l’encours sera saine et ne gonflera pas le coût du risque du secteur », explique-t-il.

Un effet « relutif » que reconnait notre analyste, mais qui sera totalement absorbé par la montée globale des risques induite par la crise économique, les difficultés que connaissent beaucoup d’entreprises, la montée du chômage et la baisse du pouvoir d’achat des ménages.

Cela se voit déjà sur les chiffres des créances en souffrance à fin juillet. Leur encours a progressé entre décembre 2019 et juillet 2020 de 10,3% (ou de plus de 7,2 milliards de dirhams). Et ce, malgré les mesures de perfusion dont profitent les entreprises et le report des échéances pour les ménages.

La ventilation de l’évolution des créances en souffrance montre aussi que la progression des impayés est beaucoup plus importante chez les ménages (+12,4%) que chez les entreprises (+9%). Des chiffres qui sont appelés à se dégrader encore plus à partir de septembre. « La vraie casse, on ne la verra qu’à partir de septembre, date butoir du report des échéances aussi bien pour les ménages que pour les entreprises », estime notre analyste.

Un phénomène qui sera exacerbé par la vague de faillites qui s’annonce dans plusieurs secteurs de l’économie, comme dans le tourisme par exemple. « Le tourisme est un exemple parfait de ce qui risque de se produire. Même avec les crédits de relance, plusieurs entreprises de l’écosystème du secteur touristique ne pourront pas tenir. Une agence de location de voitures ou de minibus vit à crédit. Si elle déclare faillite, elle laissera des impayés assez lourds aussi bien pour les sociétés de leasing que pour les sociétés de crédit », illustre notre analyste.

Notre dirigeant de banque reconnaît que cette évolution des impayés constituera « le point noir de l’année ». « Ca va impacter lourdement la profitabilité du secteur, car en plus de la matérialisation du défaut de paiement, les banques sont tenues depuis l’entrée en vigueur de la norme IFRS 9 de provisionner tous les risques, même ceux portant sur des créances que l’on peut juger saines. Avec la dégradation générale du contexte économique, le stock des provisions sera donc énorme », détaille-t-il.

Un effet auquel il faut ajouter la dépréciation des actifs financiers de l’ensemble des banques du fait de la chute du marché boursier et de la valorisation de certains actifs détenus en portefeuille…

Les bénéfices des banques seront donc en forte chute en 2020. Dans des notes de recherche récentes produites par CFG sur trois valeurs bancaires (Attijariwafa bank, BCP et CIH), la banque d’affaires prévoit ainsi une baisse du RNPG d’Attijariwafa de plus de 30% et ce malgré la stagnation attendue de son PNB. Une dégradation des bénéfices qui serait due à l’explosion du coût du risque qui passera à 3,8 milliards de dirhams, soit 1,12% des encours contre à peine 0,46% des encours à fin 2019.

Même tendance pour l’autre major du secteur, la BCP. Si son PNB augmentera de 7,7% selon les prévisions de CFG, son RNPG connaîtra une chute de plus de 25%, avec un coût du risque qui passe de 0,83 à 1,10% de l’encours des crédits de la banque.

Le CIH n’est pas en reste. Ses bénéfices fondront de moitié selon les prévisions de CFG (de 426 à 205 MDH), avec un coût du risque de 524 MDH, soit 0,88% des encours, le double du taux arrêté à fin 2019. 

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

Aluminium du Maroc: COMPTES SOCIAUX au 31 Décembre 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.