Une vague de licenciements massifs se prépare dans le secteur privé

Selon nos sources, plusieurs entreprises ont préparé des plans sociaux pour dégraisser jusqu'au tiers de leurs effectifs. Objectif : assurer leur survie. Une démarche “légitime” selon le patronat mais qui risque de mettre des dizaines de milliers de personnes, toutes classes confondues, dans la précarité. Le gouvernement est appelé à trouver vite une solution. 

Une vague de licenciements massifs se prépare dans le secteur privé

Le 23 juin 2020 à 18h43

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

Selon nos sources, plusieurs entreprises ont préparé des plans sociaux pour dégraisser jusqu'au tiers de leurs effectifs. Objectif : assurer leur survie. Une démarche “légitime” selon le patronat mais qui risque de mettre des dizaines de milliers de personnes, toutes classes confondues, dans la précarité. Le gouvernement est appelé à trouver vite une solution. 

Selon nos informations, deux grands groupes marocains ont déjà préparé des plans sociaux prévoyant le licenciement de 30% de leurs salariés. Le dirigeant d’un des deux groupes, travaillant essentiellement dans l’export, nous explique “qu’il s’agit d’une décision lourde, mais qui s’impose à nous”. “C’est soit réduire les effectifs, soit mourir”, nous dit-il.

Le phénomène n'est pas limité à ces deux entités, mais il semble général, selon Miloudi Moukharik, secrétaire général de l’UMT. “Plusieurs entreprises préparent des plans sociaux, notamment dans les régions de Casablanca, Kénitra et Tanger”, nous confirme le patron du syndicat le plus représentatif dans le secteur privé.

Contactée par Médias24, une source à la CGEM confirme également la tendance. “C’est effectivement une solution à laquelle beaucoup d’entreprises vont recourir, notamment dans les secteurs touchés par la crise comme le tourisme, l’industrie textile qui dépend des donneurs d’ordre étrangers, l'agro-industrie liée à l’export, l'immobilier ainsi que les métiers du commerce et des services.... Il s’agit de la survie des entreprises”, explique-t-il. 

Et ce n’est que le début de la vague”, nous prévient-il. “L’indemnité d'arrêt temporaire d'activité de 2.000 DH prendra fin le 30 juin. En juillet, beaucoup d'entreprises seront dans l'incapacité de payer leurs salariés. Il faut donc s'attendre à une grosse vague de licenciements, car c'est la seule solution qui reste pour éviter des faillites en série”. 

Des plans qui visent entre le quart et le tiers du personnel

En quoi consisteront ces plans sociaux ? Selon notre source patronale, il s’agit pour une entreprise, dont l'activité a connu une forte baisse, de recourir à une procédure judiciaire et administrative qui lui permet de faire des licenciements économiques pour assurer sa survie. L’ampleur des plans sociaux qui sont ou qui seront lancés est grande : “il s'agit de plans qui portent généralement sur le quart ou le tiers du personnel”, confie-t-il. Et toutes classes confondues : des dirigeants au middle management, en passant par les employés de bureau et les ouvriers… 

Cette procédure est prévue par le code du travail dans son article 66. “Elle est légale, mais très compliquée à mettre en place”, selon notre source à la CGEM, et "n’aboutit que dans très peu de cas". Ce qui complique encore les choses, aussi bien pour les employeurs que pour les employés.

“C’est une procédure très compliquée, car l'entreprise doit d’abord justifier la baisse de son activité qui est le motif du licenciement économique. Avec la crise, les dossiers peuvent donc passer facilement. Mais la décision de validation finale d’un plan social revient au gouverneur de la préfecture ou la province dont dépend l'entreprise. Et les gouverneurs rechignent souvent à valider des plans sociaux, pour des raisons sociales et sécuritaires”, explique notre source.

Au patronat, on espère donc une collaboration des autorités locales pour leur permettre de dérouler leurs plans de dégraissage des effectifs, qui, affirme notre source, "sont la seule solution pour assurer la survie de milliers d’entreprises".

“Des emplois seront perdus certes, mais beaucoup d'autres seront maintenus”, plaide notre source.

“Quand un gouverneur ne valide pas un plan social, l’employeur est poussé à effectuer des licenciements selon la procédure normale. Ce qui crée des tensions sociales, pousse les salariés à recourir à la justice, crée des mouvements de grève et empêche la reprise de l’activité… Les licenciements sont ensuite souvent requalifiés par la justice comme licenciements abusifs, ce qui ne fait qu’alourdir les charges des entreprises et les pousse in fine à fermer boutique”, explique-t-il. 

UMT: “Tout sauf les licenciements…”

A l’UMT, Miloudi Moukharik se dit conscient des difficultés que connaît le secteur privé et l'étendue de cette crise du Covid-19. Il nous dit qu’il n’est pas contre le lancement de plans sociaux, mais à condition que “ces plans soient négociés avec les délégués syndicaux et sans le recours aux licenciements, car des solutions alternatives existent”, explique-t-il. “Nous ne voulons pas tuer les entreprises. Mais il ne faut pas non plus que leur survie se fasse au détriment de dizaines de milliers de salariés qui font vivre des ménages”.

Pour l’UMT, oui au plans sociaux, mais tout sauf les licenciements. Parmi les solutions alternatives que nous expose M. Moukharik : la réduction du temps de travail, la mise en place d’un système de roulement entre les équipes, départ précoce à la retraite pour des salariés proche de l’âge de retraite, etc.

Le patron de l’UMT pense également que la solution du chômage partiel indemnisé par le fonds Covid ou un autre mécanisme à hauteur de 2.000 DH par salarié doit être prolongé dans le temps. “Cette mesure a évité jusque-là le licenciement de dizaines de milliers de personnes. Elle va prendre fin le 30 juin. Il faut absolument qu’elle soit prolongée jusqu’à ce que l’activité économique reprenne. Sinon, la situation sociale deviendra catastrophique…”, lance-t-il.  

Le patron de l’UMT se désole d'ailleurs de constater que malgré toutes les mesures prises par l’Etat pour soutenir les entreprises, celles-ci (pas toutes, tient-il à préciser) se comportent de “manière irresponsable”, sans tenir en compte la situation sociale du pays. 

“Pendant le confinement, nous avons remarqué que des entreprises qui bénéficient de toutes les mesures de soutien de l’Etat et des banques ont licencié des titulaires pour les remplacer par des intérimaires ou des CDD. Elles ont en fait profité de la crise pour baisser leurs charges et se faire plus d’argent”, tonne-t-il.

L’Etat selon lui ne joue pas son rôle de garant de l’emploi et de la paix sociale dans cette crise, faisant allusion aux aides données aux entreprises sans la moindre condition de sauvegarde ou de maintien de l’emploi. Il nous cite même le cas d'entreprises qui "font du chantage" à l’Etat : “Un centre d'appel employant des milliers personnes a récemment demandé à l’Etat des aides à hauteur de 10.000 DH par salarié pour pouvoir continuer à travailler et à maintenir ses effectifs. Donc soit vous nous donnez de l’argent, soit on licencie des gens… Du pur chantage”, se lamente-t-il.

“L’Etat ne nous donne rien !”

Les aides apportées par l’Etat sans conditions posent en effet problème. Car jusque-là, aucun mécanisme activé par le CVE ne met en face des conditions en termes de maintien de l’emploi, d'investissement ou de création de valeur contrairement à ce qui se fait en Europe par exemple. Mais selon une source à la CGEM, ceci est un “faux débat” : “L’Etat ne nous donne rien pour pouvoir poser des conditions. Pour l’instant, ce qu'on nous offre, ce sont des crédits à 4% dont le taux passera à 3,5%. Ce ne sont pas des aides, mais des crédits, de la dette qui est d'ailleurs assez chère, comparée à ce qui se fait en Europe où les crédits aux entreprises sont facturés à 1% ou 1,5% au maximum”, précise notre source.

“Les crédits, ça sert à financer l’exploitation. C’est une bonne chose. Mais avant de me donner un crédit, j’ai d’abord besoin de commandes. Or, pour l’instant, on ne voit pas de commandes arriver. Une entreprise qui n’a pas de marchés ne peut continuer à supporter une lourde masse salariale et tourner par la dette pour pouvoir survivre. La priorité, c’est la commande. Le crédit est important aussi, mais ça vient en support. Ce n’est pas cela en tout cas qui va maintenir l’emploi”, explique notre source.

Au patronat, on ne semble donc pas très satisfait des mesures prises jusque-là par le CVE. Notre source nous affirme que “les opérateurs manquent complètement de visibilité sur l’avenir”. Et pour couronner le tout, selon lui, “l'Etat a décidé d’annuler l’opération Marhaba, privant l’économie et les opérateurs économiques d’une grande manne de chiffre d’affaires. Comment voulez-vous dans ce contexte qu’on puisse sauvegarder l’emploi ?…”.

Dans ce contexte, le recours à des plans sociaux pour réduire les effectifs et assurer la survie de l'entreprise reste la meilleure solution, selon lui. Sinon, il faut s'attendre à des faillites en cascade et à une forte explosion du chômage. “En temps normal, 9.000 boîtes ferment au Maroc chaque année. Cette année, avec toutes les mesures qui sont et seront prises par l’Etat, il faut s'attendre à au moins le double. On constate déjà une grande montée des demandes de liquidation, de redressement ou de sauvegarde chez les tribunaux du royaume”, confie notre source.

La balle chez le gouvernement

Patronat et syndicats se réuniront ce mercredi 24 juin, avec le ministre du Travail. Une réunion tripartite dont l'ordre du jour prévoit de discuter des mesures sanitaires de la reprise et des conditions du redémarrage des entreprises, mais à laquelle va s'inviter, selon nos sources patronales et syndicales, cette question des plans sociaux et de la prolongation de l'indemnité au chômage partiel. “C’est une réunion préparatoire, où seront fixés les points clés qu’on discutera plus tard dans une rencontre officielle avec le Chef du gouvernement”, confie Miloudi Moukharik.

Entre patrons qui veulent assurer la survie de leurs entreprises et syndicats qui défendent le droit des travailleurs, la balle sera désormais dans le camp du gouvernement qui devra trouver des solutions pragmatiques pour éviter ce qui s'apparentera à un bain de sang social parmi les millions de salariés du secteur privé.

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