“Plus de 3.000 heures de travail pour développer le respirateur” (Badre Jaafar)

Le respirateur 100% marocain est dans ses phases finales de certification. Médias24 donne la parole à l'équipe projet pour raconter comment cette aventure a débuté et comment elle a permis de mettre les bases d'une nouvelle industrie.

“Plus de 3.000 heures de travail pour développer le respirateur” (Badre Jaafar)

Le 12 juin 2020 à 18h52

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

Le respirateur 100% marocain est dans ses phases finales de certification. Médias24 donne la parole à l'équipe projet pour raconter comment cette aventure a débuté et comment elle a permis de mettre les bases d'une nouvelle industrie.

Le 5 juin dernier, le collectif derrière la conception du premier respirateur 100% marocain industrialisable a annoncé que le produit est en phase terminale de qualification CE médical. Une qualification qui marque un tournant important pour le Maroc d'un point de vue industriel et médical. D'un côté, le Maroc a pu sécuriser 500 respirateurs de plus en appoint pour faire face à la pandémie. De l'autre, cette expérience a permis de donner naissance aux fondements d'un nouvel écosystème qui a bénéficié de la mobilisation et du soutien apporté par le ministère de l'industrie et du commerce. 

Pour mieux comprendre le chemin parcouru pour atteindre ce résultat, et rapprocher les lecteurs des compétences marocaines ayant contribué à concevoir, designer, développer et produire ce respirateur, Médias24 a mené une série d'interviews avec trois principaux protagonistes de cette aventure, chacun dans son domaine de spécialisation. Il s'agit de : 

Pr Mamoun Faroudy : Professeur d’anesthésie-réanimation, Chef de service de la réanimation et des urgences chirurgicales au CHU Ibn Sina à Rabat. Pendant la pandémie Covid-19, il était chargé du service de réanimation Covid-19 de l’hôpital Ibn Sina.

Said Benahajjou : Ingénieur, Directeur Général et fondateur de la société Aviarail, société spécialisée dans l'ingénierie et le design électronique et mécanique pour l'aéronautique et ferroviaire. Cette société s'est chargée de la conception et du design du respirateur. 

- Badre Jaafar : Ingénieur, Directeur général de la Société d’Étude et de Réalisations Mécanique de Précision (SERMP, filiale de le Piston Français). Elle s'est chargée de la fabrication et de la production du respirateur.

Dans cette troisième et dernière partie, Médias24 interroge Badre Jaafar. L'entreprise qu'il dirige a supervisé et coordonné l'opération de production qui s'est faite de concert entre une quinzaine d'entreprises. Il nous explique le processus de fabrication et revient sur cette expérience inédite. 

Médias24. Quel était le rôle de SERMP dans le cadre de ce projet ?

Badre Jaafar. Après la phase de conception faite par Aviarail, nous nous sommes chargés de la conception mécanique pour faire du concept une réalité industrialisable et puis nous nous sommes également chargés de l'industrialisation, la gestion de projet et la gestion de la logistique, notamment la coordination entre la quinzaine d'entreprises qui a contribué au projet.

- Quelles ont été les contraintes que vous deviez gérer d'un point de vue industriel ? 

Pour être franc, il y en a eu plusieurs. Deux phases se chevauchaient pendant le projet bien qu'elles soient distinctes. La phase de prototypage et du concept et la phase de production en série. Nous avons métamorphosé à plusieurs reprises le prototype avec de nouvelles fonctionnalités tout en restant fidèle au concept de base qui est une mécanisation du mouvement autour du ballon pour produire le volume d'air nécessaire. 

Parmi les contraintes, il fallait passer rapidement d'un concept à un produit industrialisable. Comment traduire l'esquisse du produit en une conception qui prend en compte les contraintes mécaniques pour la rendre réalisable avec les moyens que l'on a ? Nos ingénieurs méthode ont fait un énorme travail à ce niveau. Nous étions obligés de réadapter le concept et la conception pour les accorder avec la réalité du marché et la réalité de l'approvisionnement à sécuriser pour les 500 pièces. 

De ce point découle notre troisième contrainte relative à la gestion de la supplychain du projet. Produire un prototype ou quelques appareils c'est une affaire simple qui ne demande pas beaucoup d'organisation. Ce n'est pas le cas quand on veut produire 500 appareils tout en sécurisant la supplychain derrière pour avoir 500 pièces similaires. Cela demande énormément de ressources et de travail sachant que nous sommes dans un contexte où les marchés sont fermés et que nous ne pouvons pas importer tout ce qu'on souhaite. 

Nous devions également fédérer l'ensemble des entreprises qui ont travaillé avec nous et les aligner sur notre cause pour produire dans un laps de temps court un respirateur qui réponde au besoin médical. L'entreprise Crouzet a fabriqué le moteur. EFOA s'est occupée de la production de l'habillage final du respirateur. Valtronic s'est chargée de la fabrication des cartes électroniques, de la bobine... ENGIE nous a aidés à identifier les composants électriques sur le marché local. Tronico et PilliotY nous ont aidés sur le software,... J'en oublie d'autres, mais celles-ci sont les entreprises qui ont travaillé sur les principaux composants.

Il fallait coordonner entre toutes ces entreprises sachant que chacune a son domaine d'expertise. Et comme nous nous chargions de l'assemblage final, nous étions obligés de faire le chef d'orchestre pour arriver à organiser la production, la planifier et à rythmer les cadences qu'on veut avoir.

- Comment une entreprise aéronautique est-elle parvenue à transformer son activité et à l'adapter pour faire de l'assemblage pour respirateur ?

- Nous sommes une entreprise spécialisée dans la production de pièces aéronautiques avec un procédé d'usinage. C'est-à-dire qu’on transforme la matière première en pièce finie et on fait de ces pièces un assemblage mécanique pour nos clients (moteurs, systèmes d'atterrissage des avions, pièces mécaniques des nacelles,...). On a une culture de sous-traitance.

Pour ce projet, le challenge que nous avions était de faire sortir rapidement l'équipe projet de cette logique de sous-traitant vers une logique de propriétaire de concept qu'il faut gérer de A à Z. Ce changement nous a permis d'aller sur d'autres terrains que nous n'explorions pas d'habitude comme par exemple l'assemblage électronique, l'assemblage de câblage,... On a dû former rapidement nos collaborateurs pour maîtriser ces domaines. 

Par ailleurs, nous avons mis en place à l'intérieur de notre usine, une usine éphémère dotée de tous les moyens nécessaires. Des zones qui étaient dédiées à la production aéronautique ont été récupérées pour l'assemblage des respirateurs. 

- Le respirateur a subi plusieurs modifications et améliorations, comment cela a déteint sur la partie production ?

- Il est vrai que l'évolution du design s'est faite au fur et à mesure de la production. C'est pour cela que nous n'avons pas pu livrer les 500 respirateurs les deux semaines suivant la première annonce.

Nous avons présenté un prototype fin mars, une semaine plus tard (le 7 avril) lors de la visite du ministre nous avons présenté une nouvelle conception mécanique différente du prototype. Nous sommes partis sur une nouvelle plateforme qui a évolué au fil du temps. 

Alors qu'on avançait sur la production, nous avions de temps à autre des informations selon lesquelles il n'y a pas vraiment de besoin imminent sur ce que nous étions en train de produire car il n'y a pas de pression sur les lits de réanimation. Donc nous avons profité de cette situation pour améliorer au maximum notre produit. 

Il est vrai que ce temps additionnel nous a permis d'apporter des évolutions intéressantes qui vont dans le sens du besoin médical. Mais pour les équipes, cette situation se traduisait par une absence de visibilité parce qu'à chaque fois on leur demandait des modifications au cours même du processus de fabrication série. 

Nous étions à plusieurs reprises obligés de mettre de côté plusieurs pièces pour en fabriquer de nouvelles. Ce sont des contraintes qui impactent le coût sur la partie industrialisation et le temps d'engineering alloué au projet. 

- Le processus de production a pris fin ou pas encore ?

- Au moment où je vous parle (mardi 9 juin, ndlr), 50 respirateurs sont disponibles et prêts à être livrés. 100 respirateurs sont dans la phase d'assemblage final, c'est-à-dire que nous sommes en train de finaliser le câblage, il reste l'habillage final et les essais et contrôle de validation avant de les emballer et de les mettre de côté. En parallèle, nous avons de quoi assembler 350 respirateurs en pièces détachées. C'est-à-dire que nous avons toutes les pièces produites. 

- Combien de temps l'opération d'assemblage prend-elle ?

- L'assemblage est une affaire de quelques dizaines de minutes par respirateur. Je parle ici de l'assemblage final. Mais avant d'arriver à cette étape, il y a d'autres phases d'assemblage à savoir l'assemblage mécanique, celui électrique et le dernier électronique. Tous ces assemblages se font simultanément car il y a des équipes différentes qui travaillent dessus. 

- Quel est le coût de production de ce respirateur ? Est-ce qu'on peut l'estimer même approximativement ?

- Nous ne pouvons pas communiquer de chiffres. Mais je tiens à rappeler que notre initiative fait suite à l'appel du ministère de l'Industrie pour la mobilisation des forces vives du pays. Les entreprises aéronautiques se sont demandé comment elles pouvaient contribuer. Il y avait un ensemble de besoins autour du Covid comme les masques, les gels de désinfection et les respirateurs,... Nous avons pensé à nous lancer dans ce dernier domaine. Tout est parti de là.

Et dès le départ, nous avons dit au ministère que tout ce qui est étude, recherche et développement, industrialisation, engineering, conception, prototypage, ... sera offert par les entreprises et c'est toujours le cas. Les entreprises ont donné de leur temps, produit des pièces gratuitement pour la validation,... tout cela se chiffre à pratiquement 3.000 à 4.000 heures de temps d'engineering. Même le coût de production des pièces qui ont dû évoluer est intégré dans la package de la R&D.

Tout cela donne un montant assez intéressant. Et nous sommes vraiment fiers d’apporter cette contribution au Maroc. 

Ce produit-là a été fait par des Marocains pour les Marocains. Nous avons même proposé de le mettre à la disposition des industriels qui veulent fabriquer autour de cette plateforme. 

- Les dépenses pour la matière première et processus de fabrication, sont-elles entièrement supportées par les entreprises ou y a-t-il eu une contribution publique ? Peut-être le fonds Covid-19 ?

- Les dépenses relatives à la production sont à 100% supportées par les entreprises de l'écosystème et principalement par SERMP en quelques sortes.

Car c'est l'entité qui fait l'assemblage final qui déclenche les commandes à l'ensemble de l'écosystème. Pour que les entreprises fabriquent en série, il faut de la traçabilité.

Donc, le ministère de la Santé a lancé une commande qui nous été attribuée et nous avons à notre tour passé commandes aux entreprises des séries de 500 composants du respirateur. 

- Dans ce contexte on peut donc parler de prix ?

- En effet, pour vendre ce respirateur, il y a une décomposition de prix. Chacun doit nous vendre sa partie et nous faisons l'intégration de toutes ces parties et on vend le produit final au ministère de la Santé. 

Je le réitère, le prix en question ne comprend pas les frais de développement. Il correspond à un coût de fabrication non margé. Si on devait commercialiser ce respirateur, nous ne serions pas sur ce niveau de prix, on serait nettement plus cher. 

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