Les fausses déclarations de salariés en arrêt de travail vont exploser en avril

Avec l'exonération fiscale des employeurs qui verseront un complément aux employés déclarés en arrêt temporaire d'activité et percevant l'indemnité du Fonds Covid-19, les fausses déclarations vont exploser.

Les fausses déclarations de salariés en arrêt de travail vont exploser en avril

Le 15 avril 2020 à 15h03

Modifié 11 avril 2021 à 2h45

Avec l'exonération fiscale des employeurs qui verseront un complément aux employés déclarés en arrêt temporaire d'activité et percevant l'indemnité du Fonds Covid-19, les fausses déclarations vont exploser.

Réuni le mardi 14 avril, le Comité de veille économique a pris une nouvelle mesure de soutien aux travailleurs : exonérer de l’impôt sur le revenu tout complément d’indemnité versé au profit des salariés (affiliés à la CNSS) par leurs employeurs, dans la limite de 50% du salaire mensuel net moyen.

Cette mesure est la bienvenue car elle permettra aux employés en arrêt temporaire d’activité, éligibles à l’indemnité forfaitaire de 2.000 DH qui sera servie mensuellement par le Fonds Covid-19 jusqu’à fin juin, de réduire la baisse de leur revenu quand le salaire dépasse largement le montant de l’indemnité. Bien entendu si leurs employeurs sont disposés à leur verser ce complément de revenu.

« Prenons un exemple. Un salarié qui touche un salaire net de 10.000 DH est en arrêt de travail et à ce titre, perçoit une indemnité mensuelle de 2.000 DH.  Pour éviter une trop forte baisse de son revenu, l’employeur est autorisé à lui verser jusqu’à 5.000 DH en exonération d’IR et, bien entendu, des cotisations sociales. Le salarié percevra alors 7.000 DH au lieu de 2.000 DH, contre 10.000 dans la situation précédente », explique Mohamed Hdid, expert-comptable.

Selon une source bien informée contactée par Médias24, il s’agit d’une demande du Patronat dont de nombreux membres ont exprimé leur souhait de contribuer au maintien d’un certain niveau de revenus pour leurs salariés mis à l’arrêt, à condition que cette contribution soit exonérée d’impôt.

Néanmoins, cette nouvelle mesure ne manquera pas d’être problématique à plusieurs titres. La plus importante sera celle de la sincérité des déclarations d’arrêt temporaire d’activité.

Déjà 810.000 employés déclarés en arrêt d'activité avant la nouvelle mesure

Rien qu’avec l’indemnité forfaitaire de 2.000 DH, avant l’exonération des compléments d’indemnité, le nombre d’employés déclarés en arrêt temporaire d’activité s’est élevé à 810.000 au titre du mois de mars. Soit le tiers des salariés déclarés à la CNSS. Ils ont été déclarés par 134.000 entreprises, soit les 2/3 des employeurs affiliés à la CNSS à fin février.

« C’est trop pour une si courte période (du 15 au 31 mars, ndlr) sachant que le confinement et l’état d’urgence sanitaire ne sont entrés en vigueur que le 20 mars. Il y a forcément de fausses déclarations d’arrêt de travail dans le lot. Plusieurs secteurs et entreprises continuent de travailler, certains ont même vu leur niveau d’activité augmenter », martèle notre source.

Selon nos informations, les entreprises de secteurs entiers, toujours en activité, se sont mises d’accord avec leurs personnels pour les déclarer en arrêt d’activité tout en continuant à les payer, afin de réaliser une double économie. Voilà comment fonctionne le système: le personnel est déclaré en arrêt temporaire. Chaque salarié perçoit les 2.000 DH de la CNSS. La différence avec le salaire est versée par l'employeur: 50% sous forme légale et exonérée (décision du CVE) et le reliquat sous forme d'avance. L'employeur maintient les salaires et économise la totalité de l'IR, les cotisations sociales, une partie de l'IS, ainsi que 2.000 DH par salarié.

Maintenant que le CVE a retenu l’exonération du complément d’indemnité dans la limite de 50% du salaire net, l’on s’attend donc à une ruée encore plus prononcée des employeurs pour déclarer tous leurs employés comme étant en arrêt temporaire d’activité, pour les mois d'avril à juin. Et il pourront combiner à la fois l’indemnité de 2.000 DH, le complément exonéré légalement et l’avance sur salaire, pour ainsi continuer à payer leurs employés déclarés frauduleusement tout en réalisant de grosses économies. En d'autres termes, les employeurs qui avaient décidé de préserver les salaires et l'emploi (si, si, il y en a), sont tentés de passer par ce montage entre faux arrêt de travail et avance, tandis que les salariés continueront à travailler.

« L’arrêt d’activité doit être une condition pour être éligible à cette exonération. Les employeurs doivent avoir recours à cette disposition dans le cadre de cet esprit de base. La mesure doit concerner les salariés qui sont en arrêt de travail. Toutefois, cette position du CVE risque d’inciter les employeurs hésitants, à franchir le pas et procéder à des déclarations massives d’arrêts de travail », estime Mohamed Hdid.

Risque sur les recettes de l'IR de l'Etat

« Ce serait de la fraude pure et dure. Ces mesures ont été décidées en faveur des entreprises réellement en difficulté. Pas pour que des patrons dont les bénéfices devraient baisser de 10 MDH à 6 MDH à cause de la crise, puissent redresser leurs gains à 7 ou 8 MDH. Il faut que les autorités appellent les entreprises à la responsabilité morale », martèle notre deuxième source.

Cette situation pourrait être lourde de conséquences sur le budget de l’Etat. Les recettes de l’IR au titre des mois de mars à juin risquent de s’effondrer à cause du nombre élevé de salariés qui devraient être déclarés en arrêt d’activité. Si l’on mensualise les recettes de l’IR annuelles de l’Etat, l’on parle de près de 14 milliards de DH qui seraient en jeu.

De plus, « il faut savoir que le complément d’indemnité (évoquée par le CVE) constituera une charge déductible de l’impôt sur les sociétés », précise notre source.

Quelles solutions face à cette problématique ? Un appel à la responsabilité sera-t-il suffisant ?

« Dans l’urgence, et pour apporter son soutien rapidement aux personnes sinistrées, l’Etat a préféré miser sur la responsabilité morale des entreprises en faisant confiance à leurs déclarations sur l’honneur. Il ne peut qu’accepter les règles du jeu qu’il a lui même imposées.

« Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’après avoir instauré les mesures de soutien, le CVE est en train de les affiner actuellement pour justement limiter les abus. Des critères d’octroi plus stricts sont en cours de définition et seront publiés dans un décret-loi », rassure notre source qui ajoute que l’Inspection Générale des Finances est en mesure, après la crise, de contrôler les fausses déclarations.

Elargir aux entreprises qui préservent les emplois

« Une solution consisterait à restreindre son application (la mesure, ndlr) à une liste des secteurs sinistrés et indiquer d’emblée que pour ces secteurs, les entreprises qui préservent l’emploi et les salaires, sont exonérées d’IR et de cotisations sociales, afin d’éviter tout arbitrage financier entre maintenir les emplois ou faire des économies au moment où, après la sauvegarde de la santé des salariés, l’objectif final est de maintenir la production », propose pour sa part Mohamed Hdid. Des secteurs comme le tourisme, le transport, la communication, les médias, la restauration....

Par ailleurs, sur le plan juridique, la mesure telle qu’elle est proposée dans le communiqué du CVE manque de clarté. En parlant d’indemnité, le CVE ne précise pas s’il s’agit de l’indemnité forfaitaire de 2.000 DH servie par le Fonds Covid-19 aux employés en arrêt temporaire d’activité, ou s’il s’agit d’une autre indemnité que l’employeur verse à son employé toujours en activité.

Selon Mohamed Hdid, « le contenu exact de la mesure reste à clarifier. Mais en évoquant la notion de complément, l’on peut comprendre que sont visés les salariés éligibles déjà à l’indemnité de 2000 DH servie par la CNSS. Par conséquent, cette mesure viendrait compléter la précédente mesure prise en faveur des salariés qui sont en arrêt temporaire d’activité à cause du Covid-19 ».

Notre source bien informée confirme cette interprétation. « Il s’agit bien de l’exonération du complément à l’indemnité servie par le Fonds Covid-19 aux employés en arrêt temporaire d’activité ».

Le cadre légal doit également être arrêté.

« Le CVE arrête et propose des mesures à prendre. Leur application pratique nécessite l’ajustement du cadre réglementaire et législatif en vigueur. Au cas d’espèce, il va falloir trouver le cadre juridique :

« - Soit, en qualifiant cette indemnité d’une rubrique déjà exonérée en vertu du code général des impôts et dans le strict respect de ces dispositions. L’article 57 du CGI énumère certaines rubriques qui sont exonérées de l’IR telles que les allocations d’assistance familiale et certaines indemnités à caractère social.

- Soit, et c’est plus conforme, en prévoyant un texte nouveau pour préciser la portée de cette exonération et de celle de toutes les mesures fiscales déjà prises dans le cadre de la gestion de cette crise sanitaire. », conclut M. Hdid.

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