Carnets de confinement. Médecins et infirmiers ne comptent plus les sacrifices

En première ligne face au coronavirus, le personnel soignant voit son quotidien bouleversé sous la pression de changements qui affectent aussi bien leur pratique que leur vie personnelle.

Carnets de confinement. Médecins et infirmiers ne comptent plus les sacrifices

Le 8 avril 2020 à 13h00

Modifié 10 avril 2021 à 22h27

En première ligne face au coronavirus, le personnel soignant voit son quotidien bouleversé sous la pression de changements qui affectent aussi bien leur pratique que leur vie personnelle.

En première ligne face au coronavirus, le personnel soignant voit son quotidien bouleversé sous la pression de changements qui affectent aussi bien leur pratique que leur vie personnelle.

Dans les hôpitaux du royaume, on vit au rythme des montres folles. Jeté sans transition dans une situation nouvelle, le personnel hospitalier tente de s'acclimater. L'incertitude, le risque invisible et intangible, qui flotte dans l'air, la solitude, la séparation familiale vécue sur le mode de la déchirure, la fatigue cassante, le rush qui met temporairement en suspens le souci de soi.

Deux semaines sous l'état d'urgence sanitaire, et déjà profondément travaillés par les événements. "Nous avons vécu beaucoup de choses marquantes", dit Amine Mohamed Amine, anesthésiste-réanimateur au CHU Ibn Rochd de Casablanca. "Les plus mémorables, c'est lorsque nous avons des patients sous respiration artificielle, sous intubation, et qu'on leur retire les tubes de ventilation. Puis quand les PCR reviennent négatifs".

Le médecin prend son ton le plus providentiel, "alors, on les déclare guéris. Et on se dit Hamdoulillah, il y a des résultats".

Soukaina Bedouil, infirmière au CHU Ibn Sina de Rabat, se souvient de la matinée où elle a pris sa valise, laissant derrière elle son fils de quatre ans. "J'avais les larmes aux yeux et beaucoup de questions sans réponses. Comment vais-je supporter son absence ? Comment va-t-il comprendre la mienne ? Combien de temps cette situation va-t-elle durer ? J'étais envahie de questions", confie-t-elle. "Mais j'étais sûre que la mission qui m'attendait est suprême, et que j'aurais l'occasion de mettre à disposition mes compétences au service de mon pays et de l'humanité".

"Ce n'est pas évident de dire à une maman qu'elle ne verra pas son fils pendant longtemps", explique Amal Bousmir, infirmière au service de réanimation du CHU Ibn Rochd. Elle aussi s'est mise à distance de sa famille. "C'est le plus difficile. Ça me touche, dans le fond", souffle-t-elle, "mais je sais que ce que je fais, c'est un devoir national. On s'acharne pour sauver. Et quand il y a prélèvement négatif, on sent que nos efforts ont payé", dit-elle. "Quand on voit des résultats, on oublie tout, les souffrances, les sacrifices".

Éloignés de leurs proches, médecins et infirmiers ont trouvé une famille de substitution en les membres des bataillons de soin avec qui ils partagent d'interminables heures, les meilleures comme les pires. La camaraderie aide à collectiviser le vécu et à alléger les peines. "Au sein des équipes, nous nous sommes rapprochés les uns des autres", se réjouit Amal Bousmir. "Sachant que la réanimation nécessite l'esprit d'équipe, on sacrifie de notre temps, on vient une heure à l'avance, on s'implique davantage et on se motive mutuellement", dit-elle. "On passe beaucoup plus de temps au service".

Risque augmenté

"Il suffit de toucher quelque chose ou quelqu'un, et on peut contaminer tout le service", craint Imad Soussou, urgentiste au CHU de Marrakech. "Nous faisons donc beaucoup plus attention les uns aux autres. C'est un travail d'équipe".

Le médecin, qui a laissé derrière lui son épouse et une fille âgée d'un an et demi, vit dans une chambre d'hôtel. "C'était très dur pendant un moment", avoue-t-il. "En rentrant chez moi, je devais enlever mes vêtements à la porte, les stériliser. Je vivais isolé de ma petite famille. Quand je voulais me rendre aux toilettes par exemple, mon épouse me suivait et stérilisait le trajet". Maintenant qu'il vit seul, "je les appelle sur WhatsApp quand j'ai du temps, et je leur livre des courses".

Troubles du sommeil, stress, eczéma des mains dû à l'utilisation des solutions hydroalcooliques. Imad Soussou ne compte plus les séquelles développées depuis le début de la pandémie. "Je dois gérer mon stress et celui de mes proches, qui ont peur pour moi. La charge virale est très forte là où on travaille".

"Le risque a augmenté", constate, à l'évidence, Soukaina Bedouil. "Les citoyens sont appelés à se confiner chez eux pour ne pas attraper le virus. Les infirmiers, eux, sont en première ligne, et travaillent exclusivement à l'hôpital, où le risque est élevé", rappelle-t-elle. "Nous sommes confrontés à des patients qui ne sont pas encore diagnostiqués. Certains peuvent consulter pour d'autres motifs. Au beau milieu de leur séjour hospitalier, nous découvrons qu'il s'agit de cas suspects, alors que nous ne portions pas les moyens de protection adéquats lors de leur prise en charge", expose l'infirmière.

Amine Mohamed Amine, qui lui non plus n'a pas revu son épouse et ses parents depuis plusieurs jours, parle d'un "quotidien assez stressant par rapport à la normale". "Il y a beaucoup de précautions à prendre, comment s'habiller, comment se déshabiller, comment toucher le malade, comment se désinfecter avant et après les visites aux patients", énumère-t-il.

Cosmonautes au front

Confrontés à une maladie nouvelle, les soignants naviguent en eaux incertaines. "Auparavant, on traitait des patients avec des pathologies connues, qu'on maîtrisait, au sujet desquelles il y a une une littérature scientifique, des conduites à tenir, des protocoles bien déterminés. On a développé des habitudes, des mécanismes", rappelle-t-il. "Aujourd'hui, nous avons une maladie sur laquelle on sait peu. L'OMS change ses recommandations à chaque fois. Le travail est devenu très difficile", avoue le médecin.

Aux difficultés posées par l'information médicale peu sûre et changeante, s'additionnent des contraintes physiques. "La tenue, c'est toute une histoire", rigole Imad Soussou. "Il y a une façon de la mettre, de l'enlever, parce qu'au contact des patients, la face externe est contaminée. Il y a une technique pour l'enlever sans toucher cette partie".

Avec la hausse des températures, le personnel hospitalier macère dans des combinaisons de protection intégrale où on ruisselle de sueur. "On passe des missions de plusieurs heures dans cette tenue. Il faut boire de l'eau avant de l'enfiler, manger pour éviter l'hypoglycémie", conseille l'urgentiste.

"On s'habille comme des cosmonautes", plaisante-t-il. "Ça fait parfois peur. Je n'oublierai jamais le patient qui a cru qu'il était mort. Il se retrouve face à des médecins masqués, gantés, habillés de blanc de la tête aux pieds. Il nous demandait qui nous étions. Il a vraiment cru qu'il était déjà mort. Il était obnubilé", se souvient le médecin. "Un autre était pris de panique. Il me demandait s'il allait mourir. Qu'est-ce que je pouvais lui dire ?", se questionne-t-il.

Autonomie médicale

"Le coronavirus est la première puissance mondiale aujourd'hui. Et nous sommes en guerre contre lui", dit Imad Soussou. "Puisque la courbe des cas confirmés est en croissance, le taux d'hospitalisation est en augmentation importante, ce qui nécessite en parallèle de la capacité litière en services et en réanimation pour accueillir les cas de coronavirus, ainsi que des effectifs considérables en personnel infirmier", signale Soukaina Bedouil. "Et puisque ce n'est pas le cas, la charge de travail est augmentée, les missions sont élargies, les horaires de travail sont continus et prolongés".

"Pour cela, une revalorisation symbolique et matérielle s'impose après cette crise. Alors, écoutons la voix des infirmières", espère-t-elle.

"Cette crise prendra certainement fin", se rassure Imad Soussou, "mais on veut que ça finisse de la belle manière. Il faut que nous en sortions avec des acquis, une société forte, soudée, des valeurs de solidarité, de respect", souhaite l'urgentiste, qui pense qu'"il nous faut aussi définir des priorités dans les domaines de la santé, et développer notre autonomie en termes de production médicamenteuse et d'équipement médical".

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