Omar Bakkou: “Avec la 2e phase de flexibilité, le dirham risque de s'apprécier davantage”

M.M. | Le 9/3/2020 à 13:06

INTERVIEW. Pour ce spécialiste de la politique de change, ce nouvel élargissement de la bande de fluctuation du dirham est davantage lié à la visite de la directrice du FMI qu’à la crise du coronavirus. Selon lui, la configuration du marché est telle que le dirham risque de s’apprécier davantage, contrairement à ce que l’on pourrait penser.

Le Maroc est entré dès ce lundi dans la seconde phase de sa politique de flexibilisation du régime de change du dirham. Fixée début 2018 à (+ou-) 2,5%, la bande de fluctuation du dirham est passée à partir d’aujourd’hui à (+ou-) 5%.

Une décision qui intervient à quelques jours de la visite effectuée au Maroc par la directrice générale du FMI et dans un contexte économique assez tendu, avec l’aggravation de la crise du Coronavirus. Une crise qui risque produire une tension sur les devises, du fait de ses effets sur les recettes du tourisme, les transferts des MRE, les exportations…

Economiste, auteur du livre « Pour mieux comprendre la flexibilité du dirham », Omar Bakkou pense que le coronavirus peut effectivement créer des tensions sur la balance des paiements, mais que ce n’est pas la raison qui a poussé les autorités monétaires à sauter le pas. Selon lui, les trois jours passés, du 17 au 20 février, par la DG du FMI, Kristina Georgieva, au Maroc y sont pour beaucoup.

M. Bakkou estime aussi que malgré cet élargissement de la bande de fluctuation, le dirham se maintiendra à sa valeur actuelle, et risque même de s’apprécier face aux autres devises.

LeBoursier : La bande de fluctuation du dirham a été élargie aujourd'hui à ± 5%. La décision, communiquée vendredi soir au marché, intervient dans un contexte économique assez tendu. Est-ce le bon timing, à votre avis ?

Omar Bakkou : Oui, c’est un bon timing. En principe, il ne faut pas élargir la bande de fluctuation dans une période de tension sur le marché des changes. Car cela risque de produire une chute libre du dirham, générer de la spéculation, de la fuite de capitaux…

Mais cette décision reste intemporelle à mon avis, si l'on part du postulat que le flottement est le meilleur choix pour le Maroc. C’est donc un choix pertinent à moyen et long terme qui permettra d’absorber d’éventuels chocs externes. Je pense que les autorités ont voulu s’armer dès maintenant face ce genre de risques.

-La crise du coronavirus prend des allures de choc externe justement, avec les effets attendus sur les recettes du tourisme, l'export, les transferts des MRE... Cette crise a-t-elle été derrière cette décision?

-Cela peut en effet constituer un choc. Mais rien n’est sûr pour l’instant. La crise est à ses débuts, il faut attendre pour voir ses effets sur l’économie. Si elle continue, elle risque en effet d’impacter les recettes de devises. Sachant qu’on est dans une année de sécheresse, et que cela constitue déjà un choc économique. Car qui dit réduction de la production agricole, dit augmentation des importations. Ceci dit, je ne pense pas que la décision d’élargir la bande de fluctuation du dirham soit liée à la crise du coronavirus.

-Qu’est-ce qui a poussé alors les autorités monétaires à sauter le pas aujourd’hui ?

-Je pense que la décision est liée à la visite de la directrice générale du FMI effectuée en février. Le Maroc est sous LPL (ligne de précaution et de liquidité). Et s’est engagé avec le FMI sur un certain nombre de mesures, comme la réduction du déficit budgétaire et l’assouplissement du taux de change. Comme le Maroc n’a pas avancé sur la réduction de ses dépenses (masse salariale et compensation notamment), il fallait qu’il donne quelque chose au FMI…

-C’est donc sous la pression du FMI que la décision a été prise, selon vous ?

-Je ne parlerai pas de pression, car cela reste une décision souveraine. Il faut rappeler que ce qu’on fait aujourd’hui est très léger par rapport à ce qui été fait dans les années 1980. Le Maroc a été obligé à l’époque de procéder à huit dévaluations successives, qui ont conduit à une baisse de 50% de la valeur dirham.

-Est-ce que le dirham risque de se déprécier dans les prochains jours ?

-Le risque aujourd’hui, c’est plutôt une appréciation du dirham. Car on a une configuration de marché assez particulière. Le marché des changes n’est pas déficitaire et l’offre de devises reste toujours supérieure à la demande. Hormis les périodes de chocs énergétiques (nous vivons le contraire aujourd'hui, NDLR), nous avons au Maroc un marché des changes excédentaire. Car le déficit du compte courant est compensé par les IDE et l’endettement extérieur.

Le dirham n’a d’ailleurs pas connu de dépréciation après le premier élargissement de la bande. Si on fait donc une projection à court terme sur la base du comportement du dirham durant cette première phase, il faut s’attendre plus à une appréciation qu’une dépréciation. Mais ca, c’est à court terme. Car les choses peuvent changer sur le long terme, et le risque de dépréciation est toujours présent.

-Qu’est-ce qui pourrait affecter la valeur du dirham sur le long terme ?

-Il y a bien sûr la survenance d’un choc énergétique ou d’une crise qui pourrait affecter les IDE et les entrées de devises. Mais aussi la stratégie d’endettement de l’Etat. Le Maroc a atteint actuellement un seuil, puisque la dette publique dépasse les 80% du PIB. Nous avons aussi des échéances en devises à régler. L’endettement extérieur ne peut pas continuer à compenser éternellement le déficit du compte courant. Ces éléments peuvent à moyen ou à long terme créer des tensions sur la balance des paiements et produire une dépréciation du dirham. Le flottement est justement fait dans cet objectif là, pour permettre d’absorber ce genre de chocs. 

>>Lire aussi: Le dirham a réussi sa première année de flexibilité

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