Tarik El Malki: “Un choc fiscal s’impose au Maroc, sinon on n'y arrivera pas”

Quelques semaines après la publication de son 5ème ouvrage intitulé « Le Maroc, quelles voies d’émergence », l’économiste nous détaille ses recettes pour initier un nouveau modèle de croissance. Hasard du calendrier ou pas, son livre qui traite aussi bien de fiscalité que de gisements de croissance s’inscrit parfaitement dans l’actualité du Maroc où une commission a été nommée récemment pour trouver un nouveau modèle de développement.

Tarik El Malki: “Un choc fiscal s’impose au Maroc, sinon on n'y arrivera pas”

Le 31 janvier 2020 à 18h40

Modifié 11 avril 2021 à 2h44

Quelques semaines après la publication de son 5ème ouvrage intitulé « Le Maroc, quelles voies d’émergence », l’économiste nous détaille ses recettes pour initier un nouveau modèle de croissance. Hasard du calendrier ou pas, son livre qui traite aussi bien de fiscalité que de gisements de croissance s’inscrit parfaitement dans l’actualité du Maroc où une commission a été nommée récemment pour trouver un nouveau modèle de développement.

- Médias24 : Pourquoi avoir choisi cette thématique qui est très d’actualité au Maroc ?

- Tarik El Malki : C’est l’accumulation de travaux et de recherches entamés il y a plusieurs années dans le cadre de mes fonctions au CMC (Centre marocain de conjoncture).

En réalité, le point de départ de ce livre est un ouvrage que j’avais co-publié il y a 3 ans avec Nabil Adel, qui s’intitulait « Regards croisés sur le Maroc, au-delà de tout clivage », où chacun des deux auteurs présentaient sa vision de la société marocaine.

Plusieurs thématiques y avaient été abordées comme les volets institutionnel, éducatif, les relations internationales … mais il manquait la dimension économique. En tant qu’économiste, j’ai donc décidé d’apporter une contribution personnelle sur ma vision du Maroc pour la période 2025-2030.

Le timing de publication est donc un pur hasard d’autant plus que j’ai commencé à travailler sur ce thème bien avant le débat actuel. En définitive, le hasard du calendrier a fait qu’il a été publié en même temps que la constitution de la commission spéciale du modèle de développement qui pourra peut-être, je l’espère en tout cas, se nourrir du contenu de mon ouvrage.

- Vous auriez pu être membre de cette fameuse commission ?

- Probablement mais il y a certainement des critères d’éligibilité que je ne connais pas.

- Si vous deviez résumer en quelques paragraphes votre ouvrage...

- Ca va être très compliqué car comme de nombreux universitaires, j’ai du mal à m’arrêter …

- On va donc se limiter aux grands axes permettant le développement et la croissance...

- D’accord mais avant de commencer, un petit rappel de l’histoire économique du Maroc.

En effet, pour tout modèle de projection, il faut revenir sur nos choix économiques depuis 1956 car le Maroc ne part pas de zéro. Pour faire court, il y a eu 3 grandes périodes à mettre en perspective.

D’abord, celle des années 60-70 pendant lesquelles le pays a mis en place la plupart de ses instruments économiques et financiers (Banque du Maroc, CDG, SAMIR, SOMACA …) qui ont jeté les jalons de la politique industrielle des 30 dernières années.

Ce sont Abdellah Ibrahim et Abderrahim Bouabid qui ont lancé ce que l’on a appelé la politique d’import-substitution dont l’objectif était de substituer aux importations une production nationale assurée par des filières locales notamment dans les secteurs automobile et textile.

Tout cela pour dire qu’on n’a pas commencé avec Renault des dernières années.

Cette bonne volonté s’est cependant fracassée sur la crise de la dette qui a abouti au fameux PAS (programme d’ajustement structurel) durant les années 80.

Si cette période a eu un impact social très difficile pour les plus démunis, il faut rendre grâce au ministre de l’Economie de l’époque (Mohamed Berrada, auteur de la préface du livre) d’avoir posé les jalons de l’ouverture économique du Maroc qui a suivi au niveau des marchés internationaux.

C’est à partir de là qu’on a commencé à signer des ALE (accords de libre-échange) et que notre économie a essayé de prendre la voie de l’émergence mais avec plusieurs écueils et faiblesses.

Ainsi, malgré ses efforts, l’offre industrielle marocaine est restée très peu diversifiée et compétitive. A l’export, elle souffre d’un manque de sophistication et d’une forte concentration des produits. En effet, le Maroc exporte moins de 4.000 produits par an, contre plus de 10.000 pour la Turquie.

Le 2ème écueil provient du fait que la base de notre tissu entrepreneurial reste encore très étroite, avec un PIB industriel qui ne dépasse pas les 14 à 15% du total depuis 20 ans, alors qu’on a initié plusieurs politiques d’émergence industrielle (Plan d’accélération industrielle…).

La productivité est aussi très faible avec un facteur travail qui est un des plus faibles de notre région. Idem pour la croissance qui reste toujours volatile et atone avec un taux autour de 3,5% depuis 8 ans, alors qu’il était de 5% durant la décennie 2000.

Autre constat, notre politique d’ouverture commerciale ne s’est pas traduite par, ce que j’appelle dans mon livre, une transformation structurelle de notre économie et une diversification productive.

Tout l’enjeu consiste donc à dépasser cette situation en passant d’une économie tirée par l’accumulation des facteurs de production à une économie tirée par l’efficience des mêmes facteurs.

- Revenons aux moyens de mettre en œuvre un nouveau modèle de croissance...

- Un premier chapitre traite longuement de la politique économique et budgétaire. Je suis pour un creusement du déficit budgétaire pour que l’investissement public aille aux infrastructures avancées.

- On oublie donc la règle d’or d’un déficit contenu à 3% au maximum ?

- Selon moi, l’application de cette règle n’a aucun sens au Maroc car nous ne sommes pas un pays qui prétend adhérer à l’Union européenne.

En fait, on applique des injonctions d’orthodoxie budgétaire qui entravent notre développement économique

- Jusqu’où pourrait aller ce déficit budgétaire ?

- On peut le laisser filer jusqu’à 5% pendant quelques années, le temps que la machine économique se remette en place.

Je précise que ce déficit ne doit pas servir à payer des fonctionnaires supplémentaires mais à financer des infrastructures de haut niveau.

- C’est pourtant ce que le Maroc fait depuis 1999...

- Non, le Maroc a investi dans des infrastructures de base comme les routes …

- Alors quels types d’infrastructures ?

- Numérique par exemple.

- Et plus dans les routes ?

- Durant les 20 dernières années, le Maroc a comblé un gap quantitatif extrêmement important mais il y a encore des lacunes à combler dans le réseau ferroviaire, les routes rurales …

La mise à niveau des infrastructures de base doit donc se poursuivre, avec notamment de nouveaux instruments de financement, comme les partenariat-public-privé (PPP).

L’Etat pourra investir avec des partenaires privés à travers la mise en place de fonds d’investissement.

- Quid du choc fiscal que vous préconisez ?

- Il faut effectivement un pacte fiscal qui fasse suite à ce qui a été décidé lors des dernières assises de la fiscalité, car rien de concret n’a suivi.

On s’est réuni pendant deux jours avec plein de discours de bonnes intentions et recommandations, mais il n’y a eu aucune traduction dans la loi de finances 2020.

- Vous auriez préféré un matraquage fiscal ?

- Absolument pas mais la mise en œuvre de deux grandes réformes fiscales.

Soutenir la compétitivité de nos entreprises en favorisant l’innovation avec un crédit d’impôts recherche. C’est des choses importantes qui n’ont jamais été entreprises pour soutenir les investissements dans l’innovation et dans la recherche et le développement (R§D).

Il y a aussi tout ce qui est lié à la baisse de la fiscalité des PME. Je recommande un taux unique d’impôts sur les sociétés entre 20 à 25% pour les petites et moyennes entreprises. C’est d’ailleurs ce qu’a failli faire le gouvernement, avant de faire marche arrière pour une raison que j’ignore.

Hormis l’IS, l’impôt sur le revenu doit également être réformé. L’enjeu étant de taxer les revenus professionnels qui échappent encore trop souvent à toute imposition.

- Qui avez-vous dans le viseur fiscal  ?

- Les médecins, avocats …, toutes les professions libérales et indépendantes.

- Celles qui payent un petit impôt loin de la réalité de leur réelle activité ?

- Effectivement, car 70% des recettes de l’impôt sur le revenu proviennent des salariés du privé et du public. Il y a donc un vrai problème à résoudre à ce niveau.

De plus, 80% des recettes de l’IS viennent d’à peine 2% des entreprises inscrites à la CNSS.

Au final, il y a donc une forte concentration de l'effort fiscal insupportable qui fait que les gens n’ont plus confiance dans l’équité de notre système.

Pour cela, il convient de taxer les forts revenus.

- En instaurant un impôt sur la fortune ?

- Absolument, taxer fortement les hauts revenus et instaurer un vrai impôt sur l’héritage.

A ce propos, l’économiste Piketty a mis en évidence, lors de la conférence organisée par Médias24, la corrélation directe entre la progressivité de l’impôt et le niveau de croissance. Il est donc faux de prétendre qu’en baissant les impôts aux plus riches, nous allons retrouver la croissance.

- Vos recettes s’inspirent beaucoup du programme électoral de Mitterand en 1981 que son 1er ministre Pierre Mauroy avait fini par abandonner en 1983, pour manque d’efficacité …

- Oui mais l’économie du Maroc n’est pas celle de la France, car notre pays souffre d’une inégalité devant l’impôt.

En effet, chez nous, ce sont les classes moyennes qui payent la charge de l’impôt et non pas les riches.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à comparer la taxation moyenne sur le travail qui dépasse les 30% alors que celle sur le capital tourne à peine autour de 10%.

A partir de là, un rééquilibrage s’impose en allégeant la charge fiscale (IR) sur les classes moyennes et en augmentant cette même charge sur les hauts revenus.

Il y a également la TVA qui reste un impôt extrêmement inique car il gruge la compétitivité des entreprises formelles ainsi que le niveau du pouvoir d’achat général.

Pour conclure sur la fiscalité, nos simulations au CCM ont montré que l’allègement fiscal concomitant sur l’IR et l’IS et le réaménagement de la TVA pourront faire gagner 1,5 à 2 points de croissance et donc générer 30 à 40 milliards de dirhams de recettes supplémentaires.

- Cela reste des simples simulations...

- Oui mais nous avons essayé d’élargir la base fiscale de manière sérieuse.

Un choc fiscal s’impose car tout le monde doit payer l’impôt au Maroc, sinon on n’y arrivera pas.

- Quid des politiques sectorielles ?

- En marge des secteurs classiques, il faut développer les métiers mondiaux du Maroc comme l’automobile et l’aéronautique pour prendre notre part dans la chaine de valeur mondiale.

- Qu’avez-vous à dire ou redire sur la politique actuelle du ministre MHE en la matière ?

- De bons choix ont été faits mais il importe de monter en gamme par rapport à la valeur ajoutée captée par l’économie marocaine.

- Un exemple ?

- Dans le secteur automobile, le taux d’intégration actuel dépasse les 50% mais tout l’enjeu est de développer un écosystème autour de ce qu’on appelle les équipementiers de rang 2 et 3.

C’est-à-dire de faire en sorte que l’économie nationale ne se contente plus, demain, de produire que du câblage et des petits équipements, mais commence à produire des moteurs.

Hormis l’automobile, il y a plusieurs gisements d’opportunité qui restent à développer comme l’économie numérique, les énergies renouvelables, l’économie de la mer sous-exploitée alors que nous avons deux façades maritimes, le tourisme rural, l’économie verte, les industries culturelles ….

Tout cela pris ensemble peut créer beaucoup de richesses supplémentaires et c’est la raison pour laquelle je propose la création d’une agence de planification d’utilité publique pour tout coordonner, comme cela se fait en Asie avec beaucoup de succès.

- Quelles sont les autres priorités ?

- L’environnement des affaires doit absolument être réformé.

Pour cela, l’Etat doit redéfinir son rôle de stratège et de développeur. Il doit également faire respecter la loi de manière impartiale quel que soit l’acteur concerné.

Sur le volet financier, il y a nécessité de créer de nouveaux instruments de financement. Je propose donc la création d’une banque publique d’investissement et la multiplication des PPP pour aider les petits porteurs de projets à accéder aux crédits avec des garanties quasi nulles.

Le dernier point évoqué dans mon ouvrage concerne le tissu entrepreneurial qui doit être favorisé notamment les startups.

A l’ISCAE où j’enseigne, nous avons initié un programme qui a eu beaucoup de succès et qui a permis à plusieurs jeunes de développer leur projet dans le cadre de PPP.

- Sachant que vous faites partie du bureau politique de l’USFP, est-ce que vos propositions constitueront le canevas du programme électoral pour le prochain scrutin législatif ?

- Non, car c’est une contribution académique personnelle. De plus, l’USFP n’a pas encore fait ses choix politiques

- Vous avez pourtant été l’auteur du programme économique du parti en 2016 ?

- Oui mais on n'y est pas encore. Ce sera à la future commission de préparer les élections.

Ceci dit, je serais ravi qu’elle puise des idées dans mon livre pour établir le programme économique du parti.

- Certains vous accusent de vous accrocher à des recettes du passé qui ont échoué ailleurs...

- Si vous faites référence à la France, il n’y a pas de comparaison possible, car ce pays est égalitaire par essence. Le Maroc, lui, reste un pays très pauvre et inégalitaire, donc la situation est incomparable.

La fiscalité doit donc être une arme et un instrument au service d’une répartition plus équitable des richesses, car il est anormal que 80% des contribuables marocains échappent toujours à l’impôt.

Encore une fois, si on ne fait rien pour changer les choses, les inégalités vont s’aggraver….

*Fiche technique du livre : « Le Maroc, quelles voies d’émergence », édité aux éditions « Afrique, Orient », disponible dans toutes les librairies du Maroc.

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