Habanos S.A., une société fantôme?

La société marocaine Habanos se targue d’être le premier fabricant de cigares au Maroc et en Afrique mais refuse toute visite de son “usine“. Son patron promettait en 2019 un milliard de dollars de chiffre d’affaires à l’export mais aucun de ses bilans n’est disponible. Habanos a-t-elle vraiment une usine ? Ses cigares sont-ils distribués ? Que valent ses promesses brandies depuis cinq ans à grand renfort de publicité ? Enquête.

Habanos S.A., une société fantôme?

Le 20 janvier 2020 à 11h39

Modifié 11 avril 2021 à 2h44

La société marocaine Habanos se targue d’être le premier fabricant de cigares au Maroc et en Afrique mais refuse toute visite de son “usine“. Son patron promettait en 2019 un milliard de dollars de chiffre d’affaires à l’export mais aucun de ses bilans n’est disponible. Habanos a-t-elle vraiment une usine ? Ses cigares sont-ils distribués ? Que valent ses promesses brandies depuis cinq ans à grand renfort de publicité ? Enquête.

Dernier rebondissement dans le feuilleton judiciaire entre Habanos S.A et le distributeur SMT : une expertise judiciaire qui établit le montant du préjudice subi par la société marocaine à 49 millions de dirhams. Une expertise commandée par le Tribunal de commerce de Casablanca dans le cadre d’une action pour concurrence déloyale intentée par la société de Zahraoui contre la SMT et son distributeur Progys.

Le préjudice, tel qu’il est calculé dans le rapport consulté par Médias24, est fondé uniquement sur les bénéfices réalisés par la SMT, l’expert n’ayant pas pu accéder à la comptabilité de Habanos S.A.

Bilans introuvables

Si l’expert n’a pas pu consulter les bilans de Habanos S.A., c’est qu’ils sont introuvables. Tout indique que la société n’en a tout simplement jamais déposé depuis sa création en 2011, bien que son management prétend avoir investi un milliard de dirhams dans une usine capable de “produire 500.000 cigares par jour“ et “400 millions de paquets de cigarettes par an“.

L’expert s’est ainsi contenté de deux documents sans lien apparent avec le préjudice subi par Habanos S.A. : un précédent rapport d’expertise contesté, réalisé en mars 2019 par Abderrahman Bouchikhi, ingénieur agro-industriel, et un reçu de paiement de 200.000 dirhams de la Direction générale des impôts.

Un haut responsable de la DGI nous avait d’ailleurs affirmé que Habanos S.A ne déposait pas ses bilans. Car la DGI a, elle aussi, maille à partir avec Omar Zahraoui. Le montant objet du litige ? 1,9 million de dirhams, une somme forfaitaire, étant donné que l’administration fiscale n’a pas accès aux bilans de la société. ‘’Nous avons opéré une saisie sur le compte mais il était vide. Nous avons épuisé tous les moyens de recours, sans succès’’, expliquait notre source.

L’usine fantôme

Qu’en est-il de l’usine Habanos, “unique en Afrique“ et qui compterait quelque “600 employés“, selon les mots du patron de la société ? Nos multiples demandes de visiter l’usine n’ont jamais été acceptées. Car il n’existe pas d’usine Habanos. Du moins pas selon la présentation qui en est faite par les Zahraoui dans les médias. En effet, il nous a bien été donné de voir un bâtiment dans la zone industrielle de Ain Sbaâ, à Casablanca, où était stockée une certaine quantité de feuilles de tabacs que sept femmes s’affairaient à nettoyer, mais rien d’industriel, en somme.

Surpris, nous en avons fait part à M’hamed Zahraoui, père du PDG Omar Zahraoui, qui s’est empressé de nous expliquer que son usine était située ailleurs. Et qu’il refusait de nous la “montrer“. Tout comme il refuse une visite de “ses plantations de tabacs“.

Pourtant, il n’est pas bien difficile de prouver qu’il n’existe pas d’usine ailleurs. En mars 2019, le Tribunal de commerce de Casablanca a commandé une expertise judiciaire sur “l’usine“… située dans la zone industrielle de Ain Sbaâ, à l’endroit même que nous a fait visiter M’hamed Zahraoui.

L’expert, Abderrahman Bouchikhi, note l’existence d’un bâtiment “de quatre étages (…), d’une administration, de locaux de production de matières premières, de magasins de stockage de produits finis, électricité, téléphone, ascenseurs“.

L’expert précise aussi que “l’usine“ dispose du savoir-faire nécessaire pour la production des cigares. Et d’affirmer qu’il existe un stock de 103.522 cigares, en précisant qu’il s’est basé… uniquement sur les informations fournies par la société Habanos S.A.. La valeur du stock (cigares et feuilles de tabac) : 277.126.900 dirhams, dit l’expert (toujours sur la base des informations données par Habanos S.A.).

Un "rapport honteux’’ et "une expertise de complaisance qui ne respecte pas la moindre exigence de professionnalisme et d’objectivité supposée exister chez les experts judiciaires’’, selon la défense de la SMT (cabinet Naciri & Associés). "Dans le rapport d'expertise, il est dit que l'expert s'est déplacé au siège de la société Habanos S.A en date du 7 mars 2019. Mais la photo prise par ses soins et jointe au rapport porte une date antérieure à la visite supposée, précisément le 4 mars.

"Par ailleurs, le même rapport parle de locaux de production constatés sans qu'aucune photo ne vienne prouver l'existence ne serait-ce que d’une seule machine de production. (…) L'expert (...) dit que la société dispose de cadres et des employés ayant des connaissances dans le domaine, mais la photo qu'il joint au rapport d'expertise montre une seule femme’’, poursuit la défense de la SMT.

Le rapport de Bouchikhi n’est d’ailleurs pas contesté seulement par la SMT mais aussi par le dernier expert ayant évalué le préjudice subi par Habanos S.A. "Nous excluons le rapport d'expertise judiciaire (...) réalisé par l'expert monsieur Abderrahman Bouchikhi qui a établi la valeur du stock de cigares et de tabac dans les locaux de la société à 277.126.900 dirhams’’, écrit l’expert Moussa Jellouli.

"Nous l'excluons pour déterminer le préjudice subi par la plaignante dans la mesure où nous ne savons pas sur quoi s'est basé l'expert pour évaluer le stock, par exemple, étant donné qu'il s'est contenté de dire que le prix du cigare est de 400 dirhams (...) alors que la valeur du stock est calculée en fonction du coût. Ajoutons à cela qu'il ne mentionne pas avoir consulté les documents comptables de la société’’, argumente-t-il.

Une boîte aux lettres comme siège social

Autre point révélateur de l’état de "l’usine" de Habanos : les ventes aux enchères judiciaires. Il y en a eu deux depuis la création de la société. La dernière, qui date d’avril 2019, a eu lieu dans le cadre d’un litige opposant une société de logistique à Habanos S.A., ce qui a permis la saisie d’environ 16 tonnes de feuilles de tabac. "Le litige ne porte que sur 500.000 dirhams. Une saisie du compte bancaire n’a rien donné car il était vide. La vente aux enchères non plus, parce qu’il est difficile de vendre des feuilles de tabac’’, nous a déclaré une source au cabinet Bassamat, qui défend le prestataire lésé.

Quant à la première vente aux enchères, qui a eu lieu en décembre 2017, elle porte, entre autres, sur des chaises, des tables, un bureau, des ordinateurs et… "25 bassines contenant du muassel, 300 kilogrammes d'une matière liquide de type Glycérine stockée dans des barils bleus (…) 5 marmites en inox’’, indiquent des documents consultés par Médias24.

Autre point intrigant, le choix du siège de Habanos : 51, rue des Gaves aux Roches noires. Intrigant car il s’agit d’une adresse d'un centre de domiciliation d’entreprises, c’est-à-dire une boîte aux lettres. “Centre d’affaires de Casablanca’’, est-il écrit à l’entrée de cet immeuble délabré. "Nous sommes en mesure de vous domicilier sur la ville de Casablanca en 24h, vous bénéficiez de tous les services d'une grande entreprise, ainsi que ceux de nos partenaires. Nous vous allouons gratuitement une adresse mail’’, peut-on lire sur le site de l’entreprise de domiciliation, qui loue une boite aux lettres à partir de 150 dirhams par mois. Emx Express, une société familiale qui fait partie du capital de Habanos S.A., est d’ailleurs domiciliée à la même… boîte aux lettres.

Les cigares de la discorde

En janvier 2019, le cabinet Naciri a adressé, par l’entremise d’un huissier de justice, une question à la direction du commerce intérieur et de la distribution sur les rapports annuels de Habanos S.A. et le volume des ventes de ses cigares.

La réponse du directeur du département, Rachid Sarrakh, tombe le 17 avril : "La société Habanos (...) a présenté à l'administration deux rapports sur ses activités au titre des années 2016 et 2017. Mais ces rapports ne contiennent aucune donnée sur le volume de vente de cigares’’, est-il écrit dans la réponse consultée par Médias 24.

Selon un document de l’OMPIC obtenu par Médias24, Habanos S.A. a bien enregistré, en juillet 2017, sa marque de cigare "Premium". Où Habanos vend-il alors ses cigares "Premium" ? "Nous n’en vendons pas" dans la plupart des points de vente de cigares ayant pignon sur rue à Casablanca, nous répond-on. "Une très petite quantité circule dans le marché", nous dit un des vendeurs.

Ce qui est sûr, c’est que la relation entre les débitants et Habanos S.A. est loin d’être au beau fixe. Preuve en est cette lettre envoyée par le Syndicat national des commerçants professionnels (SNCP) à Moulay Hafid Elalamy en août dernier. "Nous avons l'honneur de saisir votre ministère afin de porter à votre attention une vague de harcèlement méthodique que subissent nombre de nos adhérents de la part de la société Habanos SA. A travers plusieurs villes du Maroc, plusieurs d'entre eux nous ont fait l'objet d'une descente de prétendus commerciaux de cette société, les sommant de choisir entre acheter des produits de la société ou de les traîner au tribunal pour distribution de produits illégaux’’, dénonce le syndicat dans ce courrier parvenu à Médias 24.

"Les commerciaux de la société Habanos S.A. ciblent particulièrement les débitants de tabac commercialisant les cigares, les sommant de s'équiper de caves à cigares de la société et d'acheter ses produits. En cas de réticence du débitant en raison de la qualité médiocre des produits, il est menacé de poursuites judiciaires’’, poursuit-il.

Aucune opération à l'export, selon la Douane

Voilà pour le marché intérieur. Côté exportations, M’hamed Zahraoui a déclaré fin décembre que sa production était destinée "à 90% au marché étranger (…) : les USA, les pays arabes du Golfe et la Chine". Contacté par Médias 24, un haut responsable à la Douane nous affirme que Habanos S.A. n’exporte aucun cigare : "Il se prévaut dans la presse d’exporter mais c’est faux". C’est que la société est dans les radars de la douane. "Quand on a comparé les vignettes qu’elle a acquises aux déclarations qu’elle a faites, nous avons trouvé une différence. Un redressement est en cours concernant ce décalage. Mais il est sûr que la société n’exporte pas pour l’instant", précise notre source.

En 2019, pour faire valoir son activité auprès du ministère délégué aux Affaires générales, en l’absence de rapport annuel, il joint pourtant à son courrier l’email d’un distributeur français (Breizh Tobacco, aujourd’hui en liquidation) qui demandait à commercialiser les produits de Habanos S.A. dans l’Hexagone. "Pourriez-vous me faire parvenir par retour de mail la liste de produits qu'il vous intéresserait de commercialiser en Europe ? Je pourrais éventuellement démarrer avec une enveloppe de 5 millions d'euros’’, interroge le président de la société Colin Ludovic dans le mail envoyé le 14 mars 2019.

Mais, là encore, aucun produit n’a été exporté. "J'avais en projet un partenariat avec cette société. Je n'ai jamais reçu de retour franc sur leurs produits, donc, je ne les ai pas commercialisés’’, explique le président de Breizh Tobacco à Médias 24.

>>Lire aussi: Habanos SA: le cigare 100% marocain investit les tribunaux avant les marchés

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