Crédit agricole : les remarques de la Cour des comptes et les réponses du management

Le Crédit agricole du Maroc (CAM) est passé sous la loupe des magistrats de la Cour des comptes. Voici les remarques de la Cour et ce que répond le management de la banque des agriculteurs.    

Crédit agricole : les remarques de la Cour des comptes et les réponses du management

Le 29 août 2018 à 18h14

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Le Crédit agricole du Maroc (CAM) est passé sous la loupe des magistrats de la Cour des comptes. Voici les remarques de la Cour et ce que répond le management de la banque des agriculteurs.    

Les magistrats de la Cour des comptes se sont invités chez le Crédit agricole et ont procédé à une évaluation globale de la situation financière du CAM et, à l’examen de la contribution de la banque au financement et au soutien du secteur agricole.

La mission de la Cour des comptes a porté sur la période s’étalant de 2009 à 2015 et a concerné uniquement CAM S.A. excluant ainsi les filiales, en l’occurrence Tamwil El Fellah (TEF) et la fondation Ardi.

L'exercice des auditeurs de la Cour des comptes est très intéressant car il concerne un établissement qui s'est caractérisé par une forte croissance de son activité, accompagnant les objectifs publics dans le domaine agricole. Donc une entreprise qui concilie la mission de service public et ses propres objectifs de croissance et de marché.

Situation financière du CAM

Dans son rapport, la Cour des comptes commence par rappeler qu’à "la veille de sa transformation en société anonyme, CAM enregistrait une nette dégradation de sa situation financière. Les états financiers de la banque à fin 2003 présentaient des fonds propres négatifs de -5,3 MMDH, un Produit Net Bancaire de 0,86MM DH et un taux de créances en souffrance de 40%".

Cela dit, les agrégats de la banque se sont nettement améliorés depuis cette période grâce à plusieurs plans initiés dans ce sens. "Au terme de ces plans, une évolution positive, mais perfectible, des résultats financiers du CAM a été enregistrée", commentent les magistrats de la Cour. Pour illustrer ces propos, le rapport avance plusieurs chiffres:

- Les fonds propres réglementaires de la banque sont passés de -5,3 milliards de dirhams en 2003 à 8 milliards DH en 2016.

- L’encours des crédits qui a progressé durant la même période en passant de 14 milliards de dirhams en 2003 à 66 milliards de dirhams en 2016.

- Les dépôts ont, à leur tour, connu une progression importante en passant de 18 milliards de dirhams à 72 milliards de dirhams.

- Le PNB de la banque est passé de 800 millions de dirhams en 2003 à 3,45 milliards de dirhams en 2016.

Néanmoins, "le CAM affiche souvent, à l’occasion de chacun de ses plans, des objectifs internes qui ne sont pas suffisamment en phase par rapport à la situation, au secteur et à son potentiel, notamment en matière de rentabilité, d’activité et d’indicateurs financiers et prudentiels", estiment les magistrats.

Pour ces derniers, l’évolution du CAM est positive mais perfectible.

Ils estiment que "les difficultés rencontrées dans l’atteinte de certains objectifs stratégiques, notamment en matière de collecte des dépôts, ont entravé la réalisation d’une croissance équilibrée contribuant ainsi à la montée des risques bancaires et au renforcement des pressions sur la rentabilité", ce qui expose le CAM au risque de liquidité.

"Les dépôts enregistrent, durant les dernières années, un taux de croissance annuel moyen de 3,5% contre un taux de croissance annuel moyen de 6,5% pour les engagements", ajoute le rapport de la Cour qui concède tout de même une amélioration qui a permis au CAM de respecter l’exigence prudentielle imposée par BAM en matière de liquidité à partir de 2015.

"Historiquement, le Crédit agricole n’a pas toujours eu des ressources clientèles comme aujourd’hui. La clientèle de la banque, essentiellement rurale, est faiblement épargnante", explique le management dans sa réponse adressée à la Cour des comptes. Donc si le CAM a réussi à faire passer les dépôts clientèle de 18 milliards de dirhams à 76 milliards de dirhams en 2017, c’est qu’il est parti chercher l’argent là où il est, dans les villes, où la banque s'est confrontée à la concurrence des banques aguerries sur ce marché.

La Cour des comptes s’est également intéressée au ratio de solvabilité. Pour elle, "la forte croissance des crédits durant les dernières années, jumelée à l’impact modéré des résultats du CAM dans la consolidation des fonds propres ont généré de fortes tensions sur ses ratios de solvabilité". Même si la banque a amélioré ce ratio à travers des opérations de réévaluation des immobilisations, la Cour lui reproche de ne pas avoir généralisé ce mécanisme.

Le CAM n’a pas la même lecture de la situation. Il assure dans sa réponse être "parvenu au respect du ratio de solvabilité dès 2015 (12,3%), et au ratio Tier-one dès 2014 (9,15%)" tout en reconnaissant que pour "se développer davantage, augmenter sa capacité à prêter et donc son niveau général d’activité, mais aussi pour répondre aux exigences réglementaires à venir en matière de fonds propres, il est évident que ce sujet appelle une réflexion pour l’avenir, il faut renforcer davantage nos fonds propres".

Il rappelle aussi à la Cour que des projets sont à l’étude dans ce sens à savoir "la régionalisation et l’introduction en bourse qui sont en cours d’étude par les instances concernées (BAM, conseil de surveillance et ministères). Ajouter à cela, "le principe d’une augmentation de capital courant 2018 a été acté par le conseil de surveillance du 21 Mars 2018".

Sur le point de la réévaluation d’actifs qui a permis au CAM de dégager 400 millions de dirhams, le Crédit agricole estime que rien ne l’oblige à tout réévaluer d’un coup.  Si seuls six actifs ont été réévalués, cela veut donc dire que la banque garde une marge de réévaluation qui peut atteindre quelques milliards de dirhams.

Sur un autre indicateur, tout en reconnaissant que la situation des créances en souffrance du CAM est quasi-stable sur la période contrôlée, la Cour des comptes reproche à la banque que certaines "créances en souffrance qui ne sont pas déclassées au regard des règles prescrites par la Banque centrale". En d’autres termes, la Cour estime "certaines créances en souffrance ne sont pas suffisamment provisionnées". Le montant total de sous-provisionnement estimé, en la matière, lors de la mission de la Cour s’élève à 100 millions de dirhams.

Le management du CAM ne partage pas l’avis de la Cour. Il avance comme argument que "les dossiers des petits agriculteurs ne sont pas déclassés de manière mécanique, afin d’éviter leur faillite". Et d’ajouter, que "la banque joue un rôle de tampon social et de stabilisation économique du monde rural, de ce fait elle doit au préalable épuiser toutes les mesures amiables et donner aux agriculteurs toutes les chances de se relever".

Le management affirme sans détour qu’un "déclassement intempestif peut condamner des entreprises à la faillite". En plus, "la banque est confortée dans sa démarche car elle a également des reprises latentes pour les dossiers CES ou radiés qui sont en cours de règlement". Le CAM estime qu’à tout moment les reprises latentes sont de l’ordre d’environ 1 milliard de dirhams et couvrent donc largement les éventuels sous-provisionnements.

En 2017, la banque a passé 800 MDH de provisions, couvrant largement le montant signalé par la Cour des comptes.

Le CAM estime qu'il ne doit transmettre les dossiers des petits agriculteurs au contentieux qu'avec discernement. Les créances en souffrance augmentent en fait mécaniquement en cas de sécheresse. Ce fut l'exemple en 2016, la pire année sèche depuis trente ans.

Soutien au secteur agricole

Le CAM est la principale banque des agriculteurs. Elle dispose d’importantes parts de marché sur ce segment. Une part de 100% auprès du petit agriculteur. Elle joue par conséquent un important rôle de bailleur de fonds pour le secteur agricole. Elle est également, depuis le lancement du Plan Maroc Vert, l’une des principales banques qui assurent le financement du plan.

La Cour des comptes s’est donc également attelée sur ces aspects de l’activité de la banque. Les observations des magistrats ont porté sur plusieurs aspects:

* La convention de bonification des taux d’intérêt appliqués aux crédits à l’agriculture, décidée par l’Etat:

- Absence d’étude préalable à l’application et à la généralisation de la bonification les taux.

- Le non-respect de certaines clauses conventionnelles ;

- Le risque de majoration de la part de l’Etat dans la bonification ;

- Le maintien de la bonification en dehors de tout cadre contractuel avec l’Etat.

*L’opération d’allègement de l’endettement des petits agriculteurs et le rééchelonnement de leurs créances:

- Pas de traitement différencié pour les prêts ayant bénéficié de mesures d’accompagnement prises par l’Etat auparavant ;

- L’opération a été menée de manière automatique, et elle était basée sur le critère de l’encours de la dette ne dépassant pas 100.000 DH. Ce qui a suscité certaines observations quant à son efficacité.

- L’évolution de la structure du portefeuille des créances réhabilitées reste insignifiante.

Là encore, le CAM n’est pas tout à fait d’accord avec les remarques de la Cour. Dans sa réponse, il apporte les éléments d’éclairage suivants:

- La convention de bonification dont il est question n’a pas prévu un ciblage précis, le CAM apporte sa contribution et son expertise à la réflexion et au processus de décision.

- La bonification reste un outil entre les mains des pouvoirs publics pour déployer leurs politiques, le CAM ne peut être responsable des choix effectués ou de leurs impacts. Néanmoins, la bonification profite pleinement aux petits agriculteurs.

Le CAM assure que cette généralisation des taux bonifiés "profite essentiellement aux petits agriculteurs, ce qui est conforme à l’esprit de cette mesure. Si une telle opération venait à être reconduite, la pratique du ciblage pourrait être étudiée, mais à condition que cela n’entraîne pas de problématiques politiques ou régionales". En d'autres termes, cela dépendra comme avant des directives gouvernementales.

Par ailleurs, sur le respect des clauses conventionnelles, le CAM assure que "les écarts constatés en matière d’application des taux bonifiés restent relativement réduits par rapport aux montants mis en jeu". Il ajoute que "l’écart de montant des crédits objet de la bonification n’est que de 12 millions de dirhams sur des crédits concernés qui totalisent 7,7 milliards de dirhams". Donc, l’impact est minime sachant que depuis 2011 l’Etat ne paie plus sa part, et c’est le Crédit Agricole qui supporte tout le coût.

Si le CAM a continué à financer les crédits à l’agriculture aux taux réduits de 5% et 5,5%, après la fin de la convention c’est dans un esprit "d’incitation structurelle pour le développement de l’agriculture et accompagnement du PMV". Et d’ajouter, que "ce maintien est opéré suite aux instructions de son conseil de surveillance, et lui coûte 250 millions de dirhams par an minimum, amputés directement de son PNB".

S’agissant de l’opération d’allègement de l’endettement des petits agriculteurs et le rééchelonnement de leurs créances, le CAM apporte les éléments de réponses suivants:

- L’article premier de la convention Etat-CAM du 08 Juillet 2011 stipule que l’opération d’allègement de l’endettement concerne aussi bien les crédits sains que ceux présentant des impayés ou classés en créances en souffrance.

- L’automatisation centralisée de l’opération permet une célérité, une couverture assurée des bénéficiaires, et une efficacité indéniable, avec un risque d’erreur insignifiant. Les crédits hors agriculture ayant bénéficié de l’opération ne représentent que 0,7% du montant total de l’abandon. Le choix des critères de l’opération 2011 a globalement permis de cibler les petits agriculteurs et ce malgré des écarts très marginaux.

- L’opération de réhabilitation des créances a permis en 2015 la régularisation de 45% de ces dossiers. Le CAM considère qu’il s’agit d’un processus itératif qui donne une chance aux 60% restants pour devenir réguliers dans le futur. Autrement, cela condamne près de 320.000 agriculteurs à la cessation d’activité et à l’exode rural.

Financement du Plan Maroc Vert

En ce qui concerne le financement du plan Maroc Vert, la Cour des comptes rappelle que le CAM a signé deux conventions avec le gouvernement au titre desquelles il s’est engagé à mobiliser respectivement 20 et 25 milliards de dirhams pour l’accompagnement du financement du Plan Maroc Vert.

Concernant la première convention signée en 2008, la Cour a noté l’absence du plan d’action pour sa mise en œuvre bien que cette dernière ait prévu une déclinaison régionale de l’enveloppe à mobiliser.

Alors que la deuxième convention, signée en avril 2014, n’a pas été réalisée, comme prévu, selon des plans opérationnels permettant de couvrir les régions, les filières de production.

Le management de la banque n’adhère pas à ces remarques. Pour lui, "le Plan Maroc Vert a été intégré pleinement dans le plan stratégique de la banque et de ses filiales, ce qui d’ailleurs permit au CAM de dépasser largement ses objectifs".

Il est important de rappeler à ce titre, que l’audit mené par la cour des comptes n’a pas intégré les filiales de CAM.

Le Crédit agricole estime l’accompagnement financier du PMV à 120% des engagements, et ce grâce à l’intégration des éléments de ce plan dans la stratégie de la banque avec une forte déclinaison en matière:

- de grands canaux de distribution (CAM, TEF, ARDI) (…)

- segmentation des différentes chaînes de valeur et mise en place de plus de 150 produits financiers adaptés à chaque segment (…).

- meilleures connaissances des différentes filières, des régions agro-climatiques et des acteurs agissant dans le secteur. (…)

"Dans les statistiques du CAM, l’accompagnement financier de tous les acteurs du secteur fait partie de l’accompagnement du PMV. Les dossiers de crédit comptabilisés parmi les réalisations du PMV sont toujours liés aux activités agricoles et agro-industrielles. D’autres dossiers concernent l’acquisition de propriétés agricoles ou de véhicules utilitaires pour l’agriculture", conclut le management de la banque.

En somme, le Crédit agricole estime que sa mission principale est de servir l’agriculteur tout en veillant au respect des exigences réglementaires de Bank Al Maghrib sans perdre de d’argent mais sans avoir la finalité d’en gagner non plus.

 
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