Comment Centrale Danone espère sortir du boycott “par le haut”

Centrale Danone va-t-elle arriver à contenir ou arrêter le boycott? Va-t-elle revenir à ses niveaux antérieurs de vente de lait frais? A ce stade, nul ne peut répondre à cette question. Mais ses dirigeants pensent tenir une sérieuse possibilité de “sortir par le haut“.

Comment Centrale Danone espère sortir du boycott “par le haut”

Le 26 juin 2018 à 20h46

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

Centrale Danone va-t-elle arriver à contenir ou arrêter le boycott? Va-t-elle revenir à ses niveaux antérieurs de vente de lait frais? A ce stade, nul ne peut répondre à cette question. Mais ses dirigeants pensent tenir une sérieuse possibilité de “sortir par le haut“.

L’annonce était inattendue. Elle a été faite par Emmanuel Faber, PDG du groupe du CAC 40, ce mardi 26 juin au cours d’une rencontre avec la presse à Casablanca. L’idée consiste à vendre au Maroc, le lait frais pasteurisé “à prix coûtant“, donc avec une marge zéro.

Il ne s’agit pas seulement de baisser le prix. Il s’agit de travailler gratuitement sur le lait frais, de supprimer totalement la marge.

Dans le même package, Faber s’engage à impliquer les consommateurs qui le souhaitent dans la définition et la gouvernance du nouveau modèle qui “devra préserver le revenu des éleveurs partenaires“. Et promet la transparence sur les prix et le fonctionnement.

“Si les Marocains ne sont pas intéressés par ce modèle, s’il ne se traduit pas par un retour de Centrale au cœur de la consommation des Marocains tous les jours, cela ne peut pas fonctionner. Mais je suis très confiant, à la lumière des discussions que j’ai eues aujourd’hui“, explique Emmanuel Faber à Médias24. Dans la journée, il avait notamment eu des échanges avec plusieurs familles et mères de familles marocaines au sujet de leurs attentes concernant la marque.

En d’autres termes, si les ventes de lait frais ne reviennent pas au niveau antérieur, il n’y aura pas de vente à prix coûtant. Quel sera le scénario B? insiste Médias24. Il n’y a pas de scénario B, répond Faber, “je préfère me concentrer sur celui-ci“.

Et comment impliquer les consommateurs dans la gouvernance du nouveau système? “A partir de la semaine prochaine, un dispositif se mettra en place pour démarrer ces consultations autour de ces équilibres que chacun jugera nécessaires“. Les prix, les marges, les montants versés aux éleveurs, le prix de vente final, seront déterminés au cours des ces consultations.

Entre 40% et 45% du chiffre d'affaires

Dans quelques semaines, on saura si le nouveau système se mettra en place ou pas et si oui, de quelle manière.

S’il se met en place, Emmanuel Faber aura choisi de sacrifier une grande partie de son business. Pas la plus lucrative, car le lait frais réalise les plus faibles marges. Mais la plus importante, 40% à 45% de son chiffre d’affaires.

Il promet en même temps de s’abstenir de toute péréquation: il n’y aura pas selon lui de hausse sur les autres produits (lait UHT, dérivés).

Un maintien de l’activité sur le lait frais, à prix coûtant, est objectivement une bonne nouvelle pour l’économie locale. L’économie locale, c’est l’une des clés de la nouvelle conception du business alimentaire selon Faber.

Depuis 2016, date de sa fameuse vidéo devant les étudiants de HEC, il répète que la finalité d’une entreprise, ce ne sont plus seulement les actionnaires, mais également les consommateurs, la Justice sociale, le développement durable et l’économie locale.

Le 18 avril 2018, deux jours avant le déclenchement du boycott au Maroc, il tenait des propos prémonitoires à un journaliste du Monde, relevant la défiance grandissante dans le monde à l’égard des grands groupes et des grandes marques.

Son discours étonne de plus en plus. Il est présenté comme un dirigeant atypique, plus proche du “moine-soldat“ que du manitou du CAC 40. Devant des étudiants HEC médusés, il raconte son histoire personnelle, évoque les SDF et les bidonvilles de Jakarta ou Calcutta, où il a séjourné.

A la tête d’une marque qui réalise 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires et qui pèse 47 milliards d’euros en bourse, il parle comme le chef d’une ONG. “On peut être heureux avec peu de choses“, “Développement durable“, “l’enjeu de l’économie, de la globalisation, c’est la justice sociale“. Pour lui, “le dirigeant d’entreprise a un devoir d’utopie“. Il veut allier “rentabilité et progrès social, rendre le monde meilleur, associer but lucratif et intérêt général“…

A-t-il l’intuition géniale que le monde est en train de changer et que les consommateurs prennent le pouvoir? Qu’ils deviennent plus exigeants sur la qualité, la santé, la transparence? Ou bien s’agit-il d’une démarche froidement calculée dans l’intérêt du groupe Danone ? Personne ne sait, beaucoup s’interrogent. Le personnage reste toutefois cohérent et attachant, avec son look ascétique et simple, loin de l’arrogance que l’on prête aux milliardaires et aux tycoons.

En tous les cas, lorsque survient le boycott au Maroc, les concepts sont mûrs dans l’esprit de Faber. Il avait déjà engagé le groupe dans son nouveau positionnement.

L’annonce qu’il a faite ce mardi coule donc de source. La filiale marocaine devient ici une sorte de laboratoire. On observera avec curiosité ce qu’il en adviendra.

Ci-dessous, les vidéos de ses déclarations à Médias24 et de sa conférence de presse:

Une mauvaise nouvelle pour les concurrents

La décision d'Emmanuel Faber est une mauvaise nouvelle pour ses concurrents réels ou potentiels, tous à l'affut (le saoudien Almaraai, les Marocains Copag et Anouar Invest, le français Safilait...). Avant le boycott, Centrale représentait 55% du marché du marché global du lait et dérivés. C'est dire.

Emmanuel Faber a finalement décidé de ne pas céder "son" marché aux autres. Il veut le garder, quitte à travailler à prix coûtant. C'est son pari. Dans la conférence de presse, il n'a évoqué que la marque "Centrale" dont il a rappelé l'ancrage chez les consommateurs.

La probable baisse de prix du lait frais ne fait pas non plus le bonheur de ses concurrents: elle sera même intenable pour certains d'entre eux.

Enfin, en sacrifiant une partie de la marge de Centrale Danone, le PDG de Danone sacrifie des bénéfices à venir. Des bénéfices nécessaires pour rembourser les emprunts qui ont financé l'acquisition de Centrale au Maroc à un coût de 1 milliard d'euros. Il n'a donné aucune précision sur ces questions. Il n'avait qu'un seul objectif en tête: passer le message sur la baisse du prix du lait, pour le fixer au prix coûtant.

C'est qui le patron?

"C’est qui le patron", la marque évoquée par Emmanuel Faber lors de sa conférence de presse ce 26 juin, est une marque qui a révolutionné le marché français.

Le concept est simple, les consommateurs sont appelés à s’associer au projet de création d’un produit donné. Le premier produit "c’est qui le patron" qui a été lancé est le lait. Les consommateurs s’impliquent dans toutes les phases de la création du produit et surtout dans la rémunération de chaque étape de la production.

Ils expriment leurs choix par le biais d’une interface web parmi un ensemble de critères (l’origine du lait, avec ou sans OGM, type d’emballage, et surtout la rémunération du producteur de lait…).

L’objectif est de permettre aux consommateurs de fixer un juste prix d’achat du produit en question tout en s’assurant que la rémunération est équitable pour les intervenants dans la chaine de production.

Par exemple, pour la rémunération des producteurs: Les consommateurs qui participent à la validation du cahier d’un produit en cours d’élaboration, farine pour cet exemple, choisissent entre quatre options:

- Alignement sur le cours mondial du blé tendre (non rentable).

- Rémunération qui permet au producteur de ne pas perdre d’argent.

-Rémunération garantie qui permet au producteur de se payer convenablement.

-Rémunération garantie qui permet au producteur de se payer convenablement et de profiter de temps libre.

Dans le fond, tout le concept est basé sur une meilleure rémunération des producteurs. "En rajoutant ces quelques centimes, nous avons la possibilité nous les consommateurs de sortir une profession toute entière d’une injuste et intenable situation", est-il expliqué dans le site qui porte la maque "c’est qui le patron".

L’idée d’Emmanuel Faber ce n’est pas de calquer ce projet à la virgule près, mais de s’en s’inspirer pour sortir Centrale Danone de sa mauvaise passe.

La marque centrale existe au Maroc depuis plusieurs décennies. Il cherche à s’appuyer sur ce lien historique pour "redonner aux consommateurs marocains le pouvoir sur leurs marques".

Une vidéo explicative ici.

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