Egalité dans l'héritage: voici les propositions tunisiennes

Dans une première phase, il y aura lieu d'instaurer une égalité entre toutes les femmes et tous les hommes du premier rang parentèle. Dans une deuxième, on vise l'abandon définitif du régime tradionnel. 

Egalité dans l'héritage: voici les propositions tunisiennes

Le 21 juin 2018 à 8h09

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

Dans une première phase, il y aura lieu d'instaurer une égalité entre toutes les femmes et tous les hommes du premier rang parentèle. Dans une deuxième, on vise l'abandon définitif du régime tradionnel. 

En Tunisie, la marche vers la justice successorale s’effectue d’un pas mesuré, mais décidé. Remis le 8 juin au président Beji Caid El Sebsi, le rapport de la COLIBE (Commission des libertés individuelles et de l’égalité) pose une esquisse de ce qui ressemble à une profonde modification des règles de l’héritage. L'objectif est clair: instaurer une égalité pure et simple entre les sexes.

Comme dans la majorité des pays musulmans, la législation successorale tunisienne puise son substrat dans le Coran, qui reconnaît aux hommes une supériorité de principe sur les femmes (l'héritier du sexe masculin a une part double de celle attribuée à un héritier de sexe féminin). Aujourd’hui, ce système «a perdu les motifs sociologiques sur lesquels il s’était fondé» d’où la nécessité de sa révision, argumentent les rédacteurs du rapport. Ces derniers sont des intellectuels libéraux choisis dans l'objectif de proposer une solution d'égalité, à la demande du Chef de l'Etat tunisien.

Les mutations profondes opérées sur la structure sociale, les indicateurs de l’éducation (supériorité des filles à l’école, tant au niveau numérique qu’en terme de réussite), le renforcement de la présence des femmes dans la société et leur participation aux charges économiques de la famille… ce sont autant d’éléments qui font qu’aujourd’hui, il existe «un gap important entre les droits et devoirs» des femmes.

Or, «dans l’islam, la logique de la succession est fondée essentiellement sur la justice et non sur la préférence de l’homme sur la femme. Cette justice implique que ne peuvent avoir des droits égaux que ceux qui ont des devoirs égaux», ajoute la COLIBE.

Le rapport s’attaque ainsi à un régime jugé «discriminatoire» envers la gent féminine. L’un des aspects de cette discrimination réside dans la règle qui nie à la femme la qualité d’héritière universelle par elle-même (Aceb), statut exclusif aux hommes[1]. Ce qui la prive d’hériter de la totalité de la succession lorsqu’elle est seule.

De même, dans la majeure partie des cas, la femme obtient une quote-part successorale inférieure à celle de l’homme. Certaines catégories de femmes (tantes paternelles, cousines paternelles) sont même exclues de toute possibilité d’héritage, contrairement à leurs homologues masculins.

La commission présidentielle recommande une réforme graduelle mais exhaustive du code du statut personnel. Cette réforme doit s’opérer en deux phases, la première devant être entamée en urgence. Elle vise à instaurer une égalité entre les hommes et les femmes du premier rang de parentèle (frères et sœurs, fils et fille, père et mère et époux), avec la possibilité d’y déroger dans certains cas.

Dans la deuxième phase, il s’agira d’élargir le principe d’égalité à tous les rangs de parentèles. Ce qui implique l’abandon définitif du système actuel.

Première phase: Le principe et les dérogations  

Dans cette première phase, la COLIBE propose trois formules. La première consiste à instaurer l’égalité entre les hommes et les femmes issus du premier rang de parentèle. La deuxième formule maintient l’égalité comme principe, avec la possibilité d’appliquer les règles classiques si le testateur en décide ainsi. Dans la troisième formule, c’est la femme héritière qui décide du régime dont elle veut bénéficier (l’égalité ou la moitié de la part de l’homme).

L’égalité de droit

Entre les fils et filles

En cas d’existence de fils et de filles, celles-ci  doivent acquérir une part égale avec leurs frères, au lieu de la moitié appliquée actuellement en vertu de la règle qui accorde à l’héritier une part double de celle de l’héritière.

S’il s’agit d’une fille unique et en cas d’existence d’un père ou d’un grand-père: La fille doit avoir un privilège sur ces derniers. La Commission propose d’instaurer une éviction par réduction (Hajb Noqsan) en remplaçant leur statut d’héritiers agnats (Aceb) par celui d’héritiers réservataires,  tout en limitant leur quote-part successorale au sixième.

Aujourd’hui, la loi tunisienne ne reconnait à la fille que la moitié (si elle est unique) et les deux tiers (deux filles et plus), le reste revenant au père et au grand-père. 

Entre les petits-enfants 

Le rapport propose de leur accorder le même rang que leur ascendant direct s’il décède avant le grand-parent.  Cela entrainerait l’abrogation de la règle qui plafonne la quote-part des petits-enfants en matière de testament obligatoire. Ces derniers n’ont actuellement droit qu’au tiers, alors que les deux tiers restants sont versés à l’Etat.  

Il va de soi que la petite-fille et le petit-fils doivent être mis sur un même pied d’égalité.

Entre la mère et le père 

Il y aura lieu de consacrer une égalité avec le père en cas d’absence de descendants ayant vocation à la succession. Ils doivent hériter de tous les biens ou ce qui en reste après la quote-part du conjoint (du de cujus) s’il en existe.

Les conjoints

Il s’agira ici d’abroger la distinction entre la quote-part successorale du mari et celle de l’épouse. Actuellement, le veuf touche la moitié de l’héritage de sa conjointe décédée en l’absence de descendants et le quart dans le cas contraire. La veuve, elle, ne touche que le quart dans le premier cas et le huitième dans le second. L’idée est d’aligner les quotes-parts de l’épouse sur celles du mari (la moitié et le quart).

Il faut garantir à la veuve ou au veuf un habitat ad vitam. Cette mesure tend à protéger l’un ou l’autre lorsque d’autres héritiers décident la liquidation du domicile conjugal. Pour bénéficier de cette protection, le concerné doit avoir un enfant ou justifier d’au moins 4 ans de mariage avant le décès du conjoint. Le droit tombe en cas de nouveau mariage.

La sœur et le frère

La COLIBE réclame l’égalité  de la sœur du frère. La règle applicable actuellement accorde au frère une part double de celle attribuée à la sœur.

Egalité de droit, sauf si le testateur en décide autrement

A l’égalité successorale, censée s’imposer comme la règle, la COLIBE suggère de superposer un régime reposant sur le choix du testateur. Il s’agit de lui reconnaitre le droit d’opter, de son vivant,  pour le système de l’homme héritant le double de la femme.

Ce choix doit être exprès, libre, éclairé, exempt d’ambigüité et de vices (violence, dol, erreur). La volonté du testateur doit être contenue dans un écrit officiel mis à la disposition d’un adoul. Ce dernier fait office de témoin.

Ce régime dérogatoire permet de prendre en considération les convictions du testateur, étant donné que les biens concernés lui appartiennent. Mais cette voie présente un inconvénient: elle donne la primauté aux convictions personnelles sur un droit fondamental reconnu à la femme, celui de l’égalité.

Egalité de droit, sauf si la femme en décide autrement  

Ici, il s’agit pour la femme de choisir si elle voudrait toucher une part égale à l’homme, ou pas. Par exemple, si le de cujus laisse derrière lui deux enfants, un garçon et une fille, cette dernière doit déterminer si elle voudrait toucher la moitié ou la même quote-part de son frère.

L’objectif, selon la commission, est d’assurer une transition fluide entre l’égalité interdite et celle l’égalité permise.

La COLIBE recommande d’agir sur les textes actuels, et ce selon les configurations ci-dessous :

Entre la fille et le fils

-La fille est agnatisée par son frère. Elle hérite conjointement avec lui, soit de la totalité de la masse successorale, soit du reliquat, suivant la règle de l'attribution à l'héritier masculin d'une part double de celle revenant aux femmes, sauf si la sœur demande qu’il lui soit attribué une part égale à son frère.

-Quand elles interviennent en qualité d'héritières agnates de leurs frères, la participation des filles s'effectue suivant le principe selon lequel l'héritier du sexe masculin a une part double de celle attribuée à un héritier de sexe féminin, sauf si elles réclament la même part que leurs frères.

Entre la sœur et le frère

-Les sœurs germaines interviennent en tant qu’héritières agnates, si elles sont agnatisées par le frère germain et par le grand-père et suivant le principe selon lequel l'héritier du sexe masculin a une part double de celle attribuée à un héritier du sexe féminin, sauf si elles réclament la même part que leurs frères.

 Entre la mère et le père

-Le problème ne se pose pas en présence d’ascendants du de cujus, puisque son père et sa mère héritent chacun du sixième. En revanche, lorsque les ascendants n’existent pas, la mère n’hérite que du tiers, tandis que le reste revient au père. L’idée est que la première puisse réclamer l’obtention d’une part égale à celle du père.

Entre l’épouse et l’époux                                                              

-Actuellement, le veuf touche la moitié de l’héritage de sa conjointe décédée en l’absence de descendants et le quart dans le cas contraire. La veuve, elle, ne touche que le quart dans le premier cas et le huitième dans le second. La femme doit avoir le choix de toucher

Dans tous les cas, le choix de l’héritière doit être entouré de garanties. La répartition des quotes-parts ne peut s’effectuer qu’en fonction du choix formulé par la femme. Ce choix est une condition Sine qua non à la répartition.

La volonté de la femme doit être établie et expresse.  Pour se faire, la femme doit déclarer personnellement sa volonté aux deux adouls, ou adresser un écrit signé à la partie chargé de la détermination des quotes-parts (les adouls ou le tribunal).

Quelque soit son choix, la femme peut s’en rétracter. Mais cette rétractation a un cout: les procédures successorales impliquent de frais (honoraires de adouls, expertises etc.). Si la femme se rétracte, c’est elle qui supporte ces frais. Si elle refuse de supporter ces frais, sa rétractation n’aura pas d’effets sur la répartition des quotes-parts. On s’en tiendra à son premier choix.

En outre, la commission recommande que le silence de la femme soit interprété selon deux hypothèses : Soit en faveur de l’égalité, soit en faveur du régime traditionnel. Dans le premier cas, il s’agit d’une présomption simple, c'est-à-dire qu’elle peut être remise en cause par la présentation d’une preuve contraire. Dans le deuxième, la femme assume la responsabilité de son mutisme.

La deuxième phase: l’abandon définitif du système actuel

Cette phase marquera le passage vers l’égalité pure et simple entre les hommes et les femmes, et ce quel que soit le rang de parentèle. Il implique donc l’abandon définitif du système actuel, en abrogeant le système des héritiers agnats (aceb) qui privilégie les proches hommes sur leurs homologues femmes.

La COLIBE recommande en outre l’adoption d’une nouvelle logique lors du partage des biens entre les héritiers, avec l’instauration de la hiérarchie suivante:

-Le conjoint et les descendants (enfants et petits-enfants) du de cujus.

-ses parents et ses frères.

-ses grands-parents.

-les oncles et tantes maternels et paternels.


[1] 1) le père, 2°) l'ascendant, même s'il est au plus haut degré, 3°) le fils 4°) le descendant du fils, même s'il est au plus bas degré, 5°) le frère germain ou consanguin, 6°) le descendant du frère germain ou consanguin (5), même s'il est au plus bas degré, 7°) l'oncle germain ou consanguin, 8°) le cousin germain, que l'oncle soit au plus haut ou au plus bas degré, comme l'oncle germain du père ou l'ascendant, 9°) le Trésor.

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