Björn Dahlström: “Le modèle du musée YSL est une exception dans le monde entier”

Un mois après son ouverture au grand public, le musée Yves Saint Laurent de Marrakech affiche presque complet pendant toute la semaine. Son directeur revient pour Médias24 sur ce succès qui s’explique, selon lui,  par la magie de la ville et l’amour que lui portait le grand créateur de mode. 

Björn Dahlström: “Le modèle du musée YSL est une exception dans le monde entier”

Le 23 novembre 2017 à 17h37

Modifié 23 novembre 2017 à 17h37

Un mois après son ouverture au grand public, le musée Yves Saint Laurent de Marrakech affiche presque complet pendant toute la semaine. Son directeur revient pour Médias24 sur ce succès qui s’explique, selon lui,  par la magie de la ville et l’amour que lui portait le grand créateur de mode. 

Médias24 : Comment expliquer la forte affluence que connaît le jeune musée Yves Saint Laurent?

Björn Dahlström: Il y a une conjonction de plusieurs facteurs. Certainement un phénomène de nouveauté mais aussi une magie indéniable autour des noms de la ville ocre, reconnue à l’international, et de celui du défunt YSL qui exercent une forte attraction sur le public. Après, il faut quand même préciser que nous avons réalisé un très beau projet architectural et muséal avec un environnement sonore et visuel exceptionnel.

Tout cela fait que le bouche à oreille fonctionne très bien, mais je dois avouer que je suis étonné de son ampleur car j’ai plusieurs amis australiens ou de lointaines nationalités qui m’ont contacté pour me dire qu’ils avaient lu plusieurs articles élogieux sur le musée dans la presse de leurs pays.

- Associer le nom d’une ville marocaine à celui d’un couturier parisien est étonnant...

-Ce n’est pas nous qui les avons adjoints mais plutôt l’histoire. Dans le passé, il y a eu les îles Marquises avec Gauguin, mais c’est la 1ère fois que le nom d’un couturier est associé à celui d’une ville.

Saint Laurent et Marrakech évoquent pour beaucoup de gens l’époque heureuse des années 60 et 70, où cette ville était encore inconnue et modeste.

C’est peut-être la raison pour laquelle le public vient en masse, car il a certainement envie de s’approprier une part de cette époque quasi-mythique.

- Aurait-il eu le même succès s’il était localisé à Rabat ou Casablanca?

- Peut-être pas car la magie géographique de Marrakech est indissociable de celle de Yves Saint Laurent.

- Le musée YSL de Paris, qui a ouvert en même temps que celui de Marrakech, connaît-il le même succès?

- D’après mes retours, l’affluence est plus importante à Marrakech mais c’est normal, car il se trouve au cœur du jardin Majorelle, et que beaucoup de ses visiteurs en profitent pour découvrir le musée.

Cela dit, la fréquentation à Marrakech a dépassé les prévisions, car il y a un vrai phénomène de curiosité par rapport au travail et à la personnalité de Yves Saint Laurent.

- Quels sont vos chiffres journaliers de visiteurs à Marrakech?

- En ce moment, nous sommes en moyenne autour de 1.500 visiteurs par jour, dont nous accueillons les deux tiers en seulement trois heures dans la matinée.

- C’est la capacité maximale d’accueil du musée?

- On n’y est pas encore arrivé car on peut accueillir simultanément 380 visiteurs dans le bâtiment. Mais le fait que le public arrive en même temps pose des problèmes de gestion des entrées.

- Certains se plaignent des longues files d’attente ou même d’être refoulés quand le musée affiche complet ...

- On ne refoule personne à l’entrée mais quand le musée affiche complet, nous invitons les visiteurs à patienter.

Le problème est que tout le monde vient en même temps le matin et cela crée des bouchons mais pour ceux qui arrivent entre 14 heures et 18 heures (heure de fermeture), l’entrée est très fluide.

Il y a cependant de moins en moins d’embouteillages car les gens se donnent le mot pour les éviter, et nous avons augmenté les effectifs de notre personnel d’accueil et de sécurité.

Pour information, une cinquantaine de personnes travaillent dans le nouveau musée et une centaine, dans le jardin Majorelle et le musée berbère.

- Plus de 80% des visiteurs sont des touristes étrangers...

- C’est vrai, mais il y a plus de visiteurs marocains pour le jardin Majorelle que pour le musée Saint Laurent. Nous allons travailler pour augmenter ce flux mais je ne suis pas surpris car quand nous avons ouvert, il y a 6 ans, le musée berbère, le pourcentage de Marocains qui y venaient était infime.

C’était aussi le cas pour le jardin mais la nouvelle politique tarifaire préférentielle a considérablement changé la donne même si la fréquentation des nationaux dépend aussi des saisons et des vacances scolaires.

En été, nous avons beaucoup de Marocains qui viennent; à tel point qu’ils constituent désormais la 3ème nationalité la plus assidue derrière les Français et les Anglais. Les choses vont certainement changer pour le musée mais pour l’instant, ce sont toujours les étrangers qui sont les plus nombreux.

- Quels sont les chiffres de fréquentation journaliers pour le jardin Majorelle et le musée berbère?

- Cela dépend des périodes mais si la tendance actuelle se poursuit, on atteindra 850.000 visiteurs pour l’année 2017 soit un peu moins de 2.500 visiteurs par jour pour le jardin et le musée berbère. Ces lieux culturels où il faut s’acquitter d’un droit d’entrée sont les plus fréquentés du Maroc.

- La tendance actuelle de forte fréquentation laisse présager un financement pérenne...

- On ne peut pas encore se prononcer définitivement car le musée a à peine un mois d’existence mais pour l’instant, on est bien au-delà de nos prévisions initiales de fréquentation.

De toutes façons, nous n’avons pas le choix car nous n’avons aucune subvention et c’est la vente de tickets et l’activité commerciale, (café, librairie …) qui font vivre la Fondation Majorelle qui gère les trois endroits.

Une partie des fonds générés est réinvestie dans la réalisation de nouveaux projets, comme le musée YSL ou les extensions du jardin Majorelle. L’autre partie est consacrée à des activités philanthropiques.

- C’est donc le premier musée autofinancé du Maroc...

- La culture n’est pas un projet commercial, c’est une mission de service public. Malheureusement, beaucoup de musées ont du mal à assurer leur budget de fonctionnement.

Certains, comme le musée Mohammed VI font des merveilles en termes de programmation et ils doivent être soutenus. Le Maroc est un pays moderne et il est normal que des œuvres de génies universels comme Picasso ou Giacometti y soient exposées. C’est donc à l’Etat d’assurer la continuité des musées publics.

Nous sommes très heureux que notre modèle marche sachant que dans le monde, il y a très peu de structures muséales qui ont cette chance et encore moins au Maroc. J’ai cependant conscience du fait que l’attractivité liée aux noms de YSL et de Marrakech ne court pas les rues.

- Qu’avez-vous prévu en termes de programmation pour que le soufflé ne retombe pas?

- La Fondation nous a prêté pour cinq années mille objets qui constituent 250 looks intégrals. On présente 50 modèles pendant six mois avant de changer de lot avec le même principe scénographique.

Nous avons tout anticipé pour raconter l’histoire du couturier parisien avec des modèles différents afin que d’une année à l’autre, les visiteurs ne voient jamais la même exposition temporaire.

Après les cinq années contractuelles, on pensera à quelque chose de différent; mais pour l’instant, nous savons déjà ce que nous allons exposer jusqu’à 2022 dans la salle permanente consacrée à YSL.

Aujourd’hui, l’exposition temporaire est consacrée au peintre Jacques Majorelle. Les suivantes présenteront le travail du créateur marocain Noureddine Amir puis celui de deux artistes libanaises contemporaines Ethel Adnane et Simone Fatal avec le metteur en scène américain Robert Wilson.

Les expositions du musée seront donc une fenêtre ouverte sur le Maroc pour les touristes étrangers et aussi l’inverse à savoir une fenêtre sur le monde pour les Marocains d’ici ou d’ailleurs.

A l’image géographique du Maroc (nord-africain, sud-européen et ouest-arabe) et celle de Saint Laurent qui était à la fois algérien, français et marocain, le musée a vocation à être un carrefour culturel.

- Comment conciliez-vous la gestion des 2 musées et du jardin botanique?

- Je dirige uniquement les deux musées. La gestion du jardin est assurée par le paysagiste Madison Cox, président de la Fondation, qui l’a restauré et qui a introduit de nouvelles espèces botaniques.

Etant conservateur de formation, j’arrive à gérer les deux musées car nos équipes de régisseurs et d’assistants de conservation sont mutualisées pour travailler sur les deux lieux en même temps.

- Conserver des pièces textiles et des bijoux berbères sont pourtant deux métiers différents ...

- En théorie oui, mais nos équipes sont spécialisées en conservation de textiles que nous retrouvons aussi bien dans les collections berbères (1.000 pièces) que dans celles du couturier. Au final, les grands principes de conservation préventive sont les mêmes pour à peu près tous les objets.

Quand nous ne sommes pas dans notre domaine d’expertise et que la tâche de conservation s’avère plus complexe, on fait appel à des restaurateurs extérieurs. Mais globalement, notre travail s’applique à toute forme de matérialité. Si on arrive à conserver des pièces fragiles comme un textile ou un papier, on peut protéger une pierre ou un métal qui sont moins exigeants en termes de conservation.

-Y a-t-il suffisamment de Marocains capables de prendre la relève pour la conservation?

- Nous avons recruté plusieurs personnes issues de l’INSAP de Rabat (Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine) qui nous aident à former des gens.

Contrairement à l’idée reçue, le Maroc n’est pas un désert scientifique en termes de conservation des collections muséales; mais la création croissante de musées rétrécit l’offre de personnel qualifié.

- Quid des médiateurs culturels qui font interface entre les œuvres et le public?

- Nos équipes d’accueil ont été sensibilisées par la commissaire associée (Dominique Deroche) qui a travaillé pendant 40 ans dans la maison de couture parisienne. Elle leur a expliqué le modèle, le concept de chaque œuvre exposée afin qu’elles soient en mesure de répondre aux questions du public.

Il n’y a pas encore de visite guidée car ce n’est pas gérable en termes de flux; mais nous sommes en train de mettre en place un programme éducatif gratuit pour les écoliers, les lycéens et les étudiants.

Nous nous adresserons surtout aux scolaires en leur consacrant une demi-journée chaque mercredi de la semaine, avec des équipes pédagogiques qui leur proposeront des ateliers.

Avant que ce programme ne soit opérationnel, il faudra d’abord identifier quelques écoles publiques proches du musée avant d’élargir le spectre; mais ce sera forcément un peu arbitraire car nous ne pourrons pas accueillir tout le monde.

- Finalement, le jardin Majorelle, le musée berbère et celui d’YSL constituent un pack culturel...

- Il y a en effet un effet d’entraînement qui joue de plus en plus, vu que ces trois lieux sont mitoyens. Le report des entrées dans le jardin Majorelle vers le musée berbère est de plus en plus important; et logiquement, le même phénomène devrait se produire à destination du musée Yves Saint Laurent.

- Cela va donc renforcer l’attrait culturel du territoire marocain...

- En toute modestie, je pense que ce sera le cas car je vois tous les jours des files de visiteurs qui ne se tarissent pas. J’ai travaillé dans le monde entier où je compte de nombreux amis dans les milieux des musées, de l’art et de la mode et ils sont tous au courant de l’ouverture de ce nouveau musée.

Cela veut dire que l’information est passée et qu’elle intéresse les gens de tous les continents. Tout cela renforcera le pouvoir attractif et touristique de Marrakech, et, partant de là, de tout le Maroc. 

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