Crise du Rif: la triple réponse de Rabat

Depuis le déclenchement de la crise qui touche Al Hoceima et plusieurs localités de la province, Rabat a développé une stratégie à triple détente.

Crise du Rif: la triple réponse de Rabat

Le 30 octobre 2017 à 14h52

Modifié 11 avril 2021 à 2h43

Depuis le déclenchement de la crise qui touche Al Hoceima et plusieurs localités de la province, Rabat a développé une stratégie à triple détente.

Un an après la mort de Mohsine Fikri le 28 octobre dernier et près de six mois après les premières arrestations touchant des figures du Hirak, la politique menée par Rabat en matière d’ordre public a essoufflé le mouvement de protestation mais ne l’a pas étouffé.

Pour Ali Sedjari, professeur universitaire à Rabat, interrogé par Médias 24, “la crise du Rif s’inscrit dans une continuité historique. Le silence des partis de la majorité ou leurs réactions hostiles envers les manifestants au début de la crise ont encouragé la politique de fermeté de l’Etat“. A ce jour, près de 500 interpellations et 300 arrestations ont eu lieu.

Ce week-end, une pétition signée par 200 personnalités internationales allant de députés européens à l’Américain Noam Chomski ou aux députés français Eric Coquerel et Clémentine Autin de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, a été rendue publique demandant la libération des manifestants et des militants du Hirak.

Fermeté sans solution à terme

Depuis l’importante manifestation de la veille du mois de Ramadan, les grèves des commerçants et le boycott du sacrifice de l’Aid Al Adha, les manifestations n’ont pas cessé à Al Hoceima et à Imzouren notamment.

Ce 28 octobre, après l’interdiction des manifestations signifiée par les autorités provinciales d’Al Hoceima, certains rassemblements ont pu se tenir dans certains quartiers de la ville. Imzouren a connu une importante manifestation en présence du frère de Mohsine Fikri, Imad.  

A l’étranger, ce week-end du 28 octobre, la mobilisation a été importante à Rotterdam et un rassemblement s’est tenu à Paris. En Espagne où le mouvement pro-Hirak est important, la crise entre Madrid et Barcelone réduit désormais ses capacités de mobilisation.

Un an après le début des manifestations à Al Hoceima et le déploiement d’importantes forces de l’ordre sur place et l’arrestation de près de 300 militants et manifestants, le mouvement est affaibli. “Mais à terme, juge le professeur universitaire Ali Sedjari, la solution ne peut être sécuritaire“.

“L’Etat doit cesser de faire les choses de manière hâtive et autoritaire »

Sur le plan du programme de développement Al Hoceima Al Manarat Al Moutaouassitia présenté au cours d’une cérémonie en octobre 2015 devant le Roi à Tétouan, une première réponse est tombée mardi dernier 25 octobre, jour de l’ouverture du procès de Nasser Zefzafi, figure du Hirak. 

Avalisant le contenu du rapport de la Cour des comptes, le Roi limoge trois ministres dont Mohamed Hassad et Nabil Benabdallah, le ministre de la Santé, un secrétaire d’Etat, ainsi que le directeur général de l’ONEE Ali Fassi Fihri. D’autres anciens ministres ont également appris ce soir-là qu’ils ne pouvaient plus prétendre à exercer des fonctions officielles.

Pour Sedjari, les leçons à tirer du rapport de Driss Jettou sont au moins au nombre de trois: 1. Il pose le problème des rapports entre les différentes administrations du pays ; 2. Il pose le problème des rapports entre l’Intérieur et les autres ministères ; 3. L’Intérieur doit redevenir un ministère normal qui ne consomme pas autant de ressources pour si peu de résultats.

“L’Intérieur, souligne Sedjari, ne peut pas s’occuper de l’ordre public et du développement local et régional en contrôlant communes et régions, voire national avec les Centres régionaux de l’investissement (CRI)“.

“Si l’on tire les leçons du rapport de la Cour des comptes, ajoute Sedjari, ce qui vient d’être amorcé ne peut être que le début d’un processus qui sera long, avec une gestion rigoureuse nécessaire, et une gestion humaine et efficace. Ce qui veut dire une gestion avec des valeurs“.

“La régionalisation avancée est devenue un fétiche, poursuit l’universitaire. L’Etat n’est légitime que dans sa relation démocratique avec les citoyens. L’Etat doit se mettre à l’écoute des gens et cesser de faire les choses de manière hâtive et autoritaire“.

“Après une année mouvementée, il est temps de pacifier les esprits et de préparer l'avenir en incluant la population locale dans toutes les politiques de développement en cours et à venir“, juge pour sa part, le journaliste Mohamed Tijjini interrogé par Médias 24.

Al Hoceima Manarat: un programme contesté et accusant des retards

Pour mesurer l’ampleur de l’échec du programme de développement d’Al Hoceima que les manifestants du Hirak ont dénoncé en réclamant des services hospitaliers et une université régionale, il faut rappeler qu’il a été lancé en octobre 2015 pour une durée de quatre ans.

15 mois plus tard, l’engagement des crédits des projets annoncés atteignait péniblement les 14 %. Plusieurs ministères et la Région s’étaient tout simplement défaits de leurs engagements en délégant le montage des appels d’offres, l’ouverture des plis et la maîtrise d’œuvre des projets à une Agence du Nord au staff de 87 personnes et avec ses propres programmes. Une situation que le rapport Jettou a dénoncée.

“Le problème du Rif et d’Al Hoceima est un problème de développement territorial avec une adaptation des projets aux spécificités régionales“, souligne Sedjari.

Le PAM, le PJD et Al Hoceima

Aujourd’hui, de nombreux observateurs notent que le programme Al Hoceima Manarat Al Moutaouassit a été présenté quelques semaines après les élections communales et régionales de septembre 2015 et un an avant les législatives d’octobre 2016.

Aux régionales de Tanger-Tétouan- Al Hoceima, c’est le leader du PAM et élu d’Al Hoceima Ilyas Elomari qui est élu président du conseil régional en septembre 2015. Un an plus tard, le PJD arrive en tête aux législatives en améliorant son score de 2011.

Alors que le programme d’Al Hoceima est présenté au Roi et à l’opinion publique entre deux séquences électorales, le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane s’absentera de la séance de présentation du 15 octobre 2015 à Tétouan. Ce jour-là, c’est Mohamed Hassad, ministre de l’Intérieur, qui est mis en avant. Il sera sanctionné deux ans plus tard.

Après la formation laborieuse du gouvernement d’El Otmani intervenu en avril 2017, soit plus de six mois après la tenue des législatives et la victoire du PJD, le programme d’Al Hoceima enregistre un taux d’engagement des crédits supérieur à 55% avec une accélération donnée à ses différentes composantes. Mais les interrogations sur la cohérence du projet et de sa gestion subsistent. 

Tentatives de bonne gouvernance

Sur le plan de la gouvernance du programme d’Al Hoceima ou d’autres, la méthode choisie par le Roi de faire auditer l’action du gouvernement par les inspections des Finances, de l’Intérieur et par la Cour des comptes voudrait marquer le début d’une ère de la reddition des comptes.  

 

Déjà l’on évoque le programme de Marrakech qui est à revoir et celui de Casablanca lancé il y a déjà quelques années. Pour Ali Sedjari, “le programme de Tanger Métropole par exemple est réalisé sans vision à moyen ou long terme. On a enlevé les palmiers de la corniche sans réfléchir et tout sera à refaire sur la baie de Tanger dans 10 ans“. “Tous ces projets méritent relecture, estime Sedjari“.

La conception de la corniche piétonne de Tanger se révèle déjà être une mauvaise affaire pour les balnéaires de la plage qui ne peuvent eménager dans leurs nouveaux locaux en raison d’un défaut de conception qui ne tient compte ni du sens des vents et de l’ensablement, ni des normes de sécurité. Prévue à l’été 2016, la réouverture des balnéaires de la plage n’a pas eu lieu.

Pour Ali Sedjari, “la réforme de la gouvernance dépendra de l’organisation à revoir de l’administration marocaine et du ministère de l’Intérieur“. “L’Etat n’a pas de gouvernance de gestion des conflits. Le Hirak a créé un séisme politique. L’Etat vend de la décentralisation et de la régionalisation utopiques“. 

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