De tout temps, le personnage de Hassan II a fasciné les foules et chaque ouvrage qui lui est consacré est assuré d’être un succès commercial. Le livre de Binebine ne dérogera sans doute pas à cette règle même s’il ne traite qu'indirectement du quotidien du défunt Roi raconté par le fils de son bouffon attitré, le fquih Binebine.

Oscillant entre réalité romancée et conte shakespearien, le livre transporte dans l’intimité surannée d’un souverain qui aimait se faire entourer d’un carré de courtisans.

L’amuseur Binebine (senior), le devin Bilal, l’herboriste Moussa, le nain noir Boudda, le musicien Saher, et le docteur Mourra composent les personnages principaux autour d’un roi adepte de théâtralité et de pratiques parfois féodales. Les noms sont tous créés pour la circonstance.

L'auteur, joint par Médias24, affirme qu’il avait des milliers d'anecdotes à rajouter, mais qu'il a préféré limiter son texte à 146 pages car il était angoissé à l'idée de faire un livre anecdotique.

"J’aurais dû rajouter 100 pages de plus mais j’avais peur d’ennuyer mes lecteurs car mon but est de mettre en avant la dimension narrative que j’ai essayé de pousser au maximum. Ayant la hantise d’en faire trop, je me suis concentré pour cultiver et nourrir des personnages dotés d’une vraie psychologie", regrette le romancier.

Interrogé sur la part de romance et de réalité des scènes rapportées, Binebine affirme que toutes les anecdotes croustillantes ont été réellement relatées par le fou (son père). Relater ne signifie cependant pas dire la stricte vérité.

"Tout est vrai même s’il faut relativiser car tous les conteurs sont de grands menteurs et mon père était sans doute le plus grand menteur de la planète. Pour glaner les anecdotes contenues dans mon livre, je me suis basé sur des éléments filmés que j’ai longuement visionnés. Mon frère cadet a en effet filmé pendant 25 ans mon père chaque fois qu’il rentrait à la maison. Une caméra posée sur un énorme téléviseur d'époque se chargeait d’immortaliser ses propos après chacune de ses journées passées avec Hassan II et la plupart du temps, il oubliait même qu’il était filmé", affirme Binebine.

Notons que la réalité de certaines scènes sont difficiles à croire tant elles semblent romancées. Ou bien elles donnent (un peu trop) le beau rôle au fquih Binebine. D'autres sont carrément en contradiction avec ce que l'on sait de l'histoire. Par exemple, la veille de son décès, Hassan II a dîné avec le Chef de l'Etat yéménite qu'il a raccompagné jusqu'à sa voiture, il n'était pas terrassé par la douleur et n'a pas succombé à un mal qui le rongeait, plutôt à un infarctus. 

On oscille donc entre la volonté d'y croire, car le roman est captivant, et la tentation de tout rejeter en bloc. On s'interroge sur l'intention de l'auteur: a-t-il voulu apporter un témoignage historique romancé ou bien a-t-il écrit à son père pour se réconcilier avec lui?

Selon lui, la famille a compilé puis dupliqué le quart de siècle d’archives filmées sur un disque dur qu’elle compte verser à la Bibliothèque nationale du Royaume car "ce sont les petites histoires qui nourrissent la grande histoire". Il précise qu’il a dû effectuer un tri pour rapporter les anecdotes les plus crédibles.

"Quand je disais que les conteurs mentent beaucoup, c’est parce que mon père racontait souvent la même histoire avec des versions différentes. Je me suis donc limité à rapporter celles dont la version n’avait pas vraiment changé", ajoute l’écrivain pour étayer la véracité (selon lui) des anecdotes souvent surprenantes.

Il poursuit que ce livre lui a permis de se réconcilier avec son père qui avait renié son frère militaire emprisonné durant 20 ans au bagne de Tazmamart après avoir été impliqué dans le coup d’Etat de Skhirat.

"Cet ouvrage a une vertu cathartique car pendant tout son long, je lui ai donné la parole alors que jusque-là, je prenais systématiquement le parti de mon frère Aziz. Je l’ai même laissé le traiter d’assassin en prenant la précaution de prévenir mon frère que cette accusation émanait de la bouche de notre père et pas de ma plume" (rires).

Concernant le personnage en toile de fond, qu’est le défunt Hassan II, Binebine reconnaît que ce Roi qui terrorisait et fascinait en même temps, suscitera sans aucun doute l’intérêt des lecteurs marocains mais aussi de la presse internationale, nombreuse à le solliciter pour couvrir la sortie de son roman.

Devant les nombreuses marques d’intérêt, il n’écarte d’ailleurs pas la possibilité d’une adaptation cinématographique avec le réalisateur Nabil Ayouch qui avait déjà mis à l’écran son roman "Les étoiles de Sidi Moumen".

"Cela fait trois ans que Nabil me pousse à le finir mais maintenant qu’il l’a lu, il doit voir si mon roman est adaptable ou pas, mais ce n'est pas pour demain sachant qu'actuellement, il est très occupé avec le montage de son dernier film Razzia", conclut Binebine.

Au final, même si le livre comprend quelques scènes extravagantes difficiles à croire, il n’en demeure pas moins que "Le fou du Roi" possède un rythme palpitant et haletant qui allie humour, et émotion et constitue en même temps un indéniable pan d’histoire revisitée.

Proposée au prix de 95 Dirhams, l’édition marocaine parue chez "Le Fennec" sera disponible mercredi 15 mars dans toutes les bonnes librairies du Royaume.