Devant le Roi, Jouahri appelle à des ruptures dans les politiques économiques

Le Roi Mohammed VI, a reçu, vendredi 29 juillet au palais royal à Tétouan, Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, qui a présenté au Souverain le rapport annuel de la Banque centrale sur la situation économique, monétaire et financière au titre de l'exercice 2015.

Devant le Roi, Jouahri appelle à des ruptures dans les politiques économiques

Le 29 juillet 2016 à 17h10

Modifié 11 avril 2021 à 2h38

Le Roi Mohammed VI, a reçu, vendredi 29 juillet au palais royal à Tétouan, Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, qui a présenté au Souverain le rapport annuel de la Banque centrale sur la situation économique, monétaire et financière au titre de l'exercice 2015.

La présentation du rapport annuel de Bank Al-Maghrib était très attendue cette année. Abdellatif Jouahri, gouverneur de la Banque centrale, avait été en plusieurs occasion extrêmement critique à l'égard des politiques économiques suivies et on se demandait jusqu'où il irait en présence du Souverain.

En fait, il est resté dans la tonalité habituelle, c'est-à-dire critique certes, mais mesuré. Ses messages principaux concernent les limites de la politique économique lancée en 2008 et basée sur la demande intérieure, la nécessité d'un nouveau modèle économique basé sur l'industrialisation, les exportations et la création d'emplois; et enfin placer les orientations stratégiques du pays à l'abri des aléas et des rivalités politiques.

Voici de larges extraits de cette présentation de Abdellatif Jouahri:

"Notre pays aura réalisé des avancées importantes, avec notamment un redressement sensible des équilibres macroéconomiques et une amélioration de son attractivité et de son rayonnement. Ces progrès lui sont reconnus par les institutions et les investisseurs internationaux, comme en témoignent les flux importants d’investissements dont il bénéficie, le renouvellement de son accord au titre de la ligne de précaution et de liquidité avec le FMI et les appréciations positives des agences de notation.

"Grâce aux grands chantiers économiques, sociaux et institutionnels lancés depuis le début des années 2000, notre pays dispose aujourd’hui d’une infrastructure institutionnelle et économique conséquente. Cet environnement favorable lui a permis une nette accélération de la croissance et des avancées notables sur le plan du développement humain.

"Ces réalisations sont certes des acquis précieux, qui gagneraient à être consolidés, mais force est de constater cependant que le rythme du progrès s’est inscrit ces dernières années dans une tendance baissière.

"En effet, malgré la conjonction de plusieurs facteurs favorables aussi bien internes qu’externes,l’atonie des activités non agricoles et de l’emploi se poursuit, notre tissu productif se fragilise et les progrès sur le plan du développement humain restent en deçà des attentes et faibles en comparaison internationale.

"Une telle situation nous amène à nous interroger sur nos politiques et nos stratégies et nous interpelle sur la capacité de notre modèle de développement à continuer à répondre aux attentes et aspirations de nos concitoyens.

"C’est ce questionnement qui a été au centre du discours du Trône de juillet 2014, appelant à une nouvelle approche dans l’élaboration des politiques publiques, plaçant le capital immatériel au centre des priorités.

"Le modèle basé sur la demande intérieure comme moteur de la croissance, qui a prévalu jusqu’à présent a montré ses limites. Outre la faiblesse de la croissance et de la création d’emplois, la sensible détérioration ces dernières années des déficits jumeaux, l’aggravation du niveau d’endettement et la persistance d’un faible niveau de compétitivité de notre tissu productif sont autant de signes de fragilité qui reflèteraient son essoufflement.

"Aujourd’hui, notre pays a besoin d’initier une véritable refonte de ce modèle et une série de ruptures au niveau de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques.

"L’industrialisation créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité devrait être au centre de ces mutations, à côté des autres stratégies sectorielles lancées ces dernières années, mais dont les résultats jusqu’à présent restent contrastés.

"La dynamique à l’export du secteur automobile et, dans une moindre mesure, de certains autres métiers mondiaux se poursuit, mais les effets d’entraînement sur l’économie demeurent encore limités. A cet égard, la mise en place d’écosystèmes est une orientation prometteuse, qui devrait, si les objectifs qui leur sont assignés se matérialisent dans des délais raisonnables, améliorer les résultats de ces stratégies et renforcer les petites et moyennes entreprises, épine dorsale du tissu industriel.

"Ce constat rappelle encore une fois la nécessité d’évaluer le rendement de ces plans sectoriels, leur phasage et leur cohérence d’ensemble. Cette évaluation devrait être systématique et revêtir un caractère institutionnel, à travers la mise en place de dispositifs ou d’entités dédiées, permettant une analyse ex-ante, un suivi régulier et rapproché, pour opérer les ajustements éventuels dans des délais appropriés.

"Plus globalement, nous estimons que pour un meilleur encadrement du développement économique et social de notre pays, la mise en place d’une planification stratégique serait appropriée. Celle-ci permettrait de mieux répondre aux exigences d’une vision globalisée et cohérente, avec une priorisation des objectifs et une optimisation dans l’utilisation des ressources.

"Sur le plan de notre politique d’ouverture, les difficultés économiques persistantes auxquelles fait face la zone euro, notre partenaire traditionnel et l’inertie de l’intégration maghrébine confortent l’orientation vers la diversification des partenariats, en particulier en direction de l’Afrique et des pays du CCG, ainsi que vers les pays influents sur la scène économique et politique internationale.

"Elle permet aussi bien à notre système bancaire qu’à nos entreprises de s’appuyer sur de nouveaux relais de croissance et de consolider la position du Maroc en tant que plateforme de transition entre l’Afrique et le reste du monde. La réussite de ces partenariats nécessite cependant un suivi rapproché des autorités et une mobilisation par les opérateurs de moyens à la hauteur des engagements pour que notre pays préserve son statut de partenaire crédible.

"Le choix de l’ouverture fait par notre pays nous a amenés à initier ces dernières années une réflexion sur l’opportunité d’opérer une transition graduelle vers la flexibilité de notre régime de change.

"L’objectif visé est l’amélioration de la capacité de notre économie à absorber les chocs extérieurs, tout en donnant un signal de confiance aux partenaires extérieurs. Une telle approche est de nature à permettre aux opérateurs de disposer de délais suffisants pour s’adapter progressivement à un environnement plus exigeant et pour développer la capacité et le savoir-faire nécessaires.

"Ce choix permettra par ailleurs de renforcer l’autonomie de la politique monétaire et d’améliorer la transmission des décisions de la Banque centrale à l’économie réelle.

"Bank Al Maghrib pourra ainsi opérer le passage au ciblage d’inflation, ce qui lui permettra de mieux ancrer les anticipations et de rehausser sa contribution au développement économique.

"S’il est vrai que de nombreux pays émergents ou en développement ont déjà opéré cette transition par le passé, il n’en demeure pas moins que le Maroc est l’un des rares pays à l’entamer sur une base volontaire et ordonnée et non sous la contrainte de crises de change.

"Le timing retenu et la préparation préalable de ce chantier lui assureront de meilleures chances de succès.

"Bank Al-Maghrib et le Département en charge des finances s’attellent actuellement à définir le phasage adéquat, en tenant compte aussi bien des spécificités de notre tissu économique que des enseignements des expériences internationales. La réussite de ce projet reste toutefois tributaire de la conjugaison des efforts de l’ensemble des autorités et opérateurs concernés et du respect permanent des prérequis à ce passage.

"Pour pallier l’attitude d’hésitation et d’attentisme qui freine la dynamique économique ces dernières années, il convient également d’accélérer les chantiers en cours.

"L’élan qu’a connu la réforme de la justice mérite d’être réenclenché. Il s’agit d’un chantier fondamental pour les droits humains et sociaux, mais également pour l’amélioration de l’environnement des affaires, de l’investissement et de l’entrepreneuriat. L’aboutissement de ce projet dans des délais raisonnables permettra de faire évoluer la perception négative de la justice par l’investisseur et le citoyen en général.

"Le chantier de la régionalisation avancée constitue un pas important vers un développement territorial inclusif et équilibré, renforçant la démocratie locale et favorisant l’investissement et l’émergence de pôles économiques régionaux. Néanmoins, la mise en oeuvre de ce chantier en est encore à ses débuts et les expériences internationales montrent que mal planifié, il pourrait se transformer en gouffre financier. Son aboutissement nécessite une approche minutieuse, pour éviter les redondances des centres de décision et assurer une utilisation rationnelle des ressources.

"Il reste cependant fortement tributaire de la disponibilité de compétences aptes à assumer la gouvernance du développement au niveau local.

"Le problème de compétences et de renouvellement de l’élite rappelle encore une fois la nécessité de renforcer la mobilisation générale pour accélérer la réforme de l’éducation et assurer son aboutissement. Tout un chacun se doit d’apporter sa contribution à la mise en œuvre et à la concrétisation de la vision stratégique de l’éducation élaborée à cet effet.

"La priorité devrait être axée sur l’amélioration du rendement interne du système, dont l’actuel niveau se traduit par une énorme perte en capital humain. En effet, une frange importante de notre jeunesse, en particulier féminine, souffre de formes multiples d’exclusion, près d’un jeune sur trois n’étant ni en emploi, ni en éducation, ni en formation.

"Outre ces niveaux élevés d’exclusion, les défaillances du système d’éducation et de formation contribuent à la faible qualité de l’emploi, un actif sur cinq étant non rémunéré et quatre sur cinq ne bénéficiant pas de couverture médicale.

"La problématique de l’emploi qui en découle, à un moment où plus de la moitié de la population en âge d’activité est en dehors du marché du travail, devrait être hissée parmi les priorités nationales. Si la solution durable requiert une croissance économique vigoureuse et soutenue, des politiques et des mesures appropriées peuvent en atténuer la gravité, en réduisant les distorsions sur le marché du travail.

"Il s’agit notamment de la mise à niveau de la réglementation et de la déclinaison de la stratégie nationale de l’emploi en dispositifs et programmes réalistes et efficaces.

"Sur le même registre, les nombreuses initiatives destinées à renforcer les filets sociaux au profit des populations les plus vulnérables ont connu un succès indéniable sur le plan de l’adhésion.

"Néanmoins, la faible capacité à répondre à la demande additionnelle au niveau des services concernés, notamment ceux de santé, risque de compromettre la crédibilité même des engagements de l’Etat.

"L’amélioration du ciblage et de la gouvernance de ces dispositifs conditionne leur viabilité financière. Certains d’entre eux se trouvent déjà menacés à court terme et leurs difficultés risquent de s’amplifier, si des réponses appropriées ne sont pas apportées dans les plus brefs délais.

"La conception de mécanismes de ciblage efficaces permettrait également d’élargir et d’achever la réforme du système de compensation. Celle-ci se traduira certes par l’instauration de la réalité des prix, mais permettra de dégager des marges pour mettre en place des mécanismes de soutien, au profit des populations les plus défavorisées.

"Par ailleurs, la lenteur de l’avancement du projet de réforme des retraites devient préoccupante.

"L’ampleur des coûts générés par les retards de la mise en œuvre devrait amener les différents partenaires à accélérer ce chantier, d’autant plus que sa nécessité et son urgence font la quasi unanimité et que sa préparation technique est achevée depuis plusieurs années.

 

"Ces coûts, s’ils continuent de s’alourdir, pourraient compromettre la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. La consolidation des acquis à ce titre requiert également une revue de la composition des dépenses, pour en améliorer davantage la qualité et le rendement.

"La nouvelle loi organique, en particulier la règle budgétaire et la programmation pluriannuelle qu’elle instaure, devraient d’être d’un grand apport dans ce sens, à condition que sa mise en œuvre soit effective et dans les délais préétablis.

"Sur le plan de la fiscalité, de nombreuses mesures ont été adoptées depuis les Assises nationales en 2013, à l’instar de la taxation des grandes exploitations agricoles et de l’harmonisation progressive des taux de la TVA.

"Toutefois, le rythme de la mise en œuvre de plusieurs autres recommandations de ces assises reste lent. Il s’agit en particulier de l’élargissement de l’assiette fiscale, de l’intégration de l’informel et de la réduction des nombreuses et onéreuses dérogations fiscales, notamment celles dont le rendement économique et social n’est pas démontré.

"Les défis auxquels fait face notre pays pour réaliser ses ambitions sont considérables, laissant peu de marge aux hésitations et à la passivité dans la conduite de la politique publique.

"Des ruptures sont aujourd’hui nécessaires pour accélérer les réformes structurelles et rehausser la confiance du citoyen et de l’opérateur économique.

"Si les rivalités politiques sont une réalité intrinsèque aux démocraties modernes, les enjeux les plus stratégiques pour le pays doivent être placés au-dessus des considérations d’ordre politique ou catégoriel.

"Une telle réorientation renforcera davantage encore le front interne à un moment où notre pays doit relever de grands défis dont notamment ceux liés à son intégrité territoriale et à sa sécurité.

"Il pourra ainsi mobiliser ses forces et ses ressources pour assurer de meilleures conditions de vie à sa population et des perspectives prometteuses à sa jeunesse".

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