Entretien. Federico Banzola, tailleur de la jet set à Marrakech

Avec son physique de jeune premier, on s’attendrait presque à ce qu’il vous donne rendez-vous sur un plateau de cinéma. Mais c’est une toute autre voie qu’a choisie Federico Banzola: la mode.  

Entretien. Federico Banzola, tailleur de la jet set à Marrakech

Le 8 juillet 2015 à 12h12

Modifié 8 juillet 2015 à 12h12

Avec son physique de jeune premier, on s’attendrait presque à ce qu’il vous donne rendez-vous sur un plateau de cinéma. Mais c’est une toute autre voie qu’a choisie Federico Banzola: la mode.  

Autodidacte, il a eu la chance d’être repéré très jeune par la Maison Smalto, qui lui a permis de faire ses premiers pas dans ce milieu réputé fermé.

Depuis 5 ans, il est installé au Maroc et il a appris l’arabe. Son showroom de Marrakech voit défiler la Jet Set de la ville, mais aussi des chefs d’entreprises de Casablanca ou des étrangers de passage. Un point commun les réunit tous: la recherche de l’élégance, de la classe, que le sur-mesure, seul, peut offrir.

Rencontre avec un homme qui, à 33 ans, malgré une réussite évidente, a su garder la tête sur les épaules, avec un regard lucide -et modeste- sur son métier…

 

Médias 24: Federico Banzola, comment définiriez-vous votre activité? Vous êtes maître-tailleur? Styliste? Créateur?

Federico Banzola:Je dirais tout simplement un professionnel de l’habillement. Comme j’ai un parcours autodidacte et non académique, je ne réponds à aucune des appellations que vous citez. Je dirige simplement une maison composée d’une dizaine de tailleurs.

 J’ai commencé à travailler dans ce métier à l’âge de 18 ans; mais j’ai franchi toutes les étapes, du rangement des réserves jusqu’à l’apprentissage de la vente, en passant par l’agencement d’une boutique.

Cela m’a permis de devenir, en quelques années, assistant de directeur de boutique puis directeur d’une boutique. Et j’ai fini par en diriger deux. Je me suis donc retrouvé successivement à Paris, Bordeaux et Toulouse.

-En dehors de Francesco Smalto, quels sont les grands couturiers que vous admirez, avec lesquels vous auriez aimé travailler ?

-J’aurais bien aimé travailler avec monsieur Saint-Laurent, pour la vision qu’il avait, particulière, bien à lui. Les grands visionnaires font plus que des vêtements: ils redéfinissent un style.

À l’époque de Saint-Laurent, on pouvait dire que la mode passait, mais que le style demeurait. Dit ainsi, cela peut paraître une grande phrase un peu pompeuse, mais c’est tellement vrai… Créer un style nouveau comme Saint-Laurent l’a fait, comme Chanel l’a fait, c’est le but de tous les créateurs.

Bref, j’aurais aimé travailler avec des gens qui comme messieurs Saint-Laurent, Smalto, Lanvin ou Dormeuil, ont défini un style. J’aurais aimé travailler chez eux, ne serait-ce que 6 mois pour être à leurs côtés et apprendre beaucoup.

-Pour en revenir à ce que vous faites, estimez-vous que vous avez un style bien à vous et comment le définiriez-vous?

-Tout à fait. Je le définis par un sur-mesure décomplexé, moderne, qui s’adresse à quelqu’un de préoccupé par sa mise.

C’est un style où on reconnaîtra les codes tailleur: des épaules particulièrement dessinées, ce que ne fait pas le prêt-à-porter; un revers de costume qui a un angle bien particulier;  une courbe dans le dos: je ne fais pas quelque chose de tout droit qui ressemble à un frigo! Et puis dans le sur-mesure, tous les détails comptent, comme de vraies boutonnières faites à la main… Le style tailleur, c’est tout cela.

-Vous, vous faites la conception. Et puis vous avez des collaborateurs, pour réaliser, ensuite, le travail. Quand vous êtes arrivé au Maroc, il y a 5 ans, avez-vous pu monter facilement votre équipe?

- En fait, il y a eu du hasard, du destin, de la volonté et beaucoup de travail…Les deux premiers membres de mon équipe, je les ai trouvés par hasard: j’avais des retouches à faire pour moi. J’ai rencontré dans une boutique de retoucherie deux tailleurs. Et j’ai réalisé qu’il y a ici des tailleurs confirmés.

 Je me suis aperçu que, certes, ils ne travaillaient pas comme en Italie, en France ou en Angleterre, mais que le métier était là, avec la même passion. Ils n’avaient pas encore la formation nécessaire pour le travail exigeant que des clients attendent de moi, mais ils avaient les bases, notamment grâce à des livres en leur possession venant de coupeurs de Paris! Ils savaient analyser tous les plans de coupe qu’ils voyaient, même si les textes étaient français et qu’ils ne maîtrisaient pas la langue!

Ils n’avaient jamais eu le moindre contact avec une grande académie parisienne, mais il y avait l’amitié entre les tailleurs, la solidarité, la transmission du savoir. L’ancien léguant à un plus jeune son savoir-faire. Dommage que ce principe n’existe plus en France…

-Qui sont vos clients? Des Européens, des Marocains, des Marrakchis, des gens de Casa ou Rabat?

-La palette est encore plus vaste que cela! Elle n’est pas tellement due au style de ma maison: elle est plutôt due au métier lui-même.

Le tailleur, avant de parler de style, est un serviteur de son client. Le tailleur n’a pas de client-type: il va servir l’industriel en recherche d’élégance non ostentatoire, qui affirme sa position hiérarchique, mais aussi le jeune, qui veut le costume de sa vie à l’occasion de son prochain mariage et qui compte sur le tailleur pour faire de lui «le plus beau», sans oublier le directeur d’un grand hôtel, qui doit toujours être impeccable ou le jeune branché des nuits de Marrakech, en attente d’une tenue qui le singularise.

-Une bonne partie de votre clientèle est marocaine… Quel est le niveau d’exigence de cette clientèle?

-Le tailleur est le seul, dans le métier de l’habillement, à avoir l’appellation «maître» devant sa profession. Parce qu’il fait autorité en la matière. Donc tous nos clients ont un rapport particulier avec nous: ils sont à l’écoute. Et les Marocains connaissent bien leur tailleur.

Alors certes, ils ont perdu de leur superbe depuis les années 70, où tout le monde se promenait en costume impeccable. Les temps ont changé…mais on essaye, nous, de faire revivre ce temps là, à notre manière.

Une grande partie de notre clientèle est composée de gens qui voyagent, qui savent ce qui se passe dans le monde de la mode. Ils connaissent parfaitement tous les codes de styles, français, anglais ou italiens: ce sont des gens avertis.

-Votre travail est minutieux, artisanal et cela a un coût. Dans quelle fourchette de prix vous situez-vous?

-Je vais vous étonner, mais on s’est efforcé de briser le tabou du prix; ce n’est pas facile, mais le Maroc le permet: en allégeant les charges, en faisant en sorte que toute nouvelle entreprise qui s’installe soit moins écrasée  qu’en  Europe.

La meilleure manière de rétribuer ces cadeaux que vous fait l’État, c’est de pratiquer des prix raisonnables. On a une première ligne, véritable passerelle entre ce que vous trouvez en demi-mesure en Europe (dans les 2.500 euros), et la vraie haute mesure, où l’on travaille avec un patron unique fait et découpé spécifiquement pour un client donné.

Eh bien pour cette «petite mesure», on démarre à 8.500 DH. Pour la «haute mesure», il faut compter 20.000 DH ou plus, en fonction des tissus, surtout s’ils portent la griffe Holland & Sherry ou Scabal.

Mais ce sont ces tissus qui sont le plus demandés, car, encore une fois, notre clientèle marocaine est très connaisseuse: elle veut ce qui se fait de mieux et elle veut des costumes qui durent.

-En fait, le prix d’un costume ou d’une veste est d’abord déterminé par le choix du tissu…

-C’est le point essentiel, c’est la clé de voute d’un costume, car le travail, lui, est toujours le même. Il coûte moins cher qu’en Europe, encore que chez moi, les tailleurs gagnent 3 à 4 fois ce qu’ils gagneraient ailleurs.

Nous ne sommes pas une maison très riche qui veut faire preuve de largesse au niveau des salaires: mais ce sont des tailleurs qui ont été formés depuis plus de 4 ans et qui ont intégré une équipe. Ils donnent beaucoup d’eux-mêmes pour faire évoluer les produits qu’ils fabriquent. Et je souhaite, tout simplement, les garder en les motivant. D’ailleurs, on travaille vraiment en équipe. Je suis un chef d’orchestre qui incite chacun à pousser sa partition au plus loin.

-Vous avez l’air  heureux d’être venu vous installer au Maroc… Si c’était à refaire, le referiez-vous sans hésiter ?

-Je le referais mille fois ! On a 5 ans de merveilleux souvenirs, et quelques années de beau développement devant nous, je pense. Et donc je le referais sans aucune hésitation.

-En tant que chef d’entreprise, quels sont les points les plus positifs que vous ayez remarqués en venant au Maroc ?

-Ce n’est pas un monde de bisounours non plus! Cela reste le monde de l’entreprise, avec des difficultés normales. Mais dans ce pays, lorsqu’il vous arrive un problème, ce n’est pas simplement votre problème, c’est celui de toute l’équipe autour de vous qui se sent concernée. Vous n’êtes pas abandonné face à un «monstre administratif» prêt à vous dévorer à la sauce qu’il désire.

On a toujours trouvé des solutions à nos problèmes, liés à l’importation de tissus par exemple: on a toujours eu autour de nous des mains tendues ou des conseils. Si je devais faire une grande différence avec l’Europe, elle serait là.

-On dit parfois au Maroc que l’administration est lente, tatillonne, assez fermée. Vous ne rencontrez pas ce genre de problème, avec les douanes par exemple, puisque votre matière première vient de l’étranger ?

-Si vous posez la question à l’entrepreneur que je suis, je vais bien sûr  vous confirmer qu’il est normal que tout le monde se plaigne des lenteurs de l’administration.

Si vous demandez à Federico Banzola en tant que personne, je salue leur professionnalisme: en me mettant 5 minutes à leur place, je comprends que leur travail est d’une complexité à gérer immense.

J’ai passé quelques heures à Casa dans les bureaux des douanes: ce sont des gens impressionnants qui font bien leur travail. Maintenant je dois dire que les lois, concernant l’importation sont plus faites pour des grosses entreprises que pour moi qui récupère de petits colis. Je vois souvent des douaniers qui me sourient, ne comprenant pas que pour de si petits paquets, j’ai de telles sommes à payer. Mais c’est lié à la valeur déclarée du contenu, en l’occurrence, généralement du tissu.

Il faudrait donc, au Maroc, que la loi soit plus souple, mieux adaptée à des personnes comme moi. Et on est très nombreux à être concernés: voyez le nombre d’artisans qui travaillent en important et exportant des matières premières ou des produits.

-Vous avez tenu à vous intégrer le mieux possible au Maroc. Et vous avez estimé que cette intégration passait par l’apprentissage de la langue: vous parlez très correctement la darija…

-Oui, je parle quasi couramment la darija. Dans mon atelier, je n’ai que deux personnes qui parlent français. Mon grand-père me répétait souvent: «à Rome, on doit vivre comme les Romains». J’ai appliqué cette règle en apprenant la langue du pays qui m’a accueilli.

Les personnes avec qui je travaille l’apprécient particulièrement. Et d’ailleurs, ce sont mes professeurs.

À chaque fois que j’apprends de nouveaux mots, ils sont, comme tous bons professeurs, contents de voir que ma darija évolue et que l’on peut partager toujours plus de choses, puisqu’on se comprend parfaitement.

 

-Une dernière question, plus anecdotique, plus personnelle: quelles sont les pièces maîtresses de votre dressing personnel ?

-Bien sûr les costumes et les vestes, sous toutes les formes. Parce que contrairement à ce que l’on pense, un tailleur peut faire des choses très différentes.

Une veste peut se concevoir sport ; elle peut être d’une légèreté absolue ; elle peut être beaucoup plus protocolaire, plus conventionnelle. Donc, pour répondre à votre question, je dirais la veste, la veste sous toutes ses formes. Et c’est vrai que chez moi, elles sont nombreuses, quitte à démentir le dicton selon lequel le cordonnier serait toujours le plus mal chaussé…

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