C’est l’anti-Zemmour pour les questions politiques. L’anti-Elkabbach pour les questions médiatiques. Né à Constantine il y a plus de 63 ans, Paul Amar publie Blessures aux éditions Tallandier. Journaliste il a fait l’essentiel de sa carrière à France Télévisions. Il a été basé à Paris, à Washington et Phnom Penh.

Dans Blessures, Paul Amar parle de sa vie en Algérie et en France, de son identité juive, française et républicaine. Dans ce livre, il dénonce aussi des politiques et des politiques médiatiques cyniques.

Lorsqu'il y a 30 ans vous exprimez à Jean-Pierre Elkabbach vos réserves sur le fait de modérer le débat Le Pen-Tapie sur France 2, celui-ci vous répond : "Je n'ai rien à faire de tes scrupules de juif". Qu'avez-vous ressenti à ce moment-là?

Une grande tristesse. J'exprimais des réserves, non pas pour des raisons "communautaires", mais pour des raisons "républicaines", et déontologiques. La direction de France 2 avait non seulement imposé ce débat, mais avait décidé d'accorder à Jean-Marie Le Pen trois fois plus de temps qu'à l'ancien Chef de l'Etat Valéry Giscard d'Estaing, ou l'ancien Premier ministre Michel Rocard.

Selon vous, pourquoi ce regain actuel de l'islamophobie en France ? Et de l'antisémitisme ?

Les crises économiques ont souvent provoqué des tensions sociales, et parfois des tensions raciales ou communautaires. C'est malheureusement le cas aujourd'hui en France et en Europe. La radicalisation des comportements se fait souvent au détriment des minorités, rendues responsables, à tort, des difficultés. Le terrorisme intégriste, qui frappe, indifféremment, des civils, chrétiens, musulmans, et juifs, ajoute à ces tensions, et génère une peur exploitée par un autre intégrisme, d'extrême droite.

A la lumière des affaires Merah, du conflit de Gaza ou encore des incidents de ces derniers jours à Dijon ou à Nantes, pensez-vous que la cohésion de la société française est en danger ? 

Oui. La cohésion de la société française est menacée. La patrie des droits de l'homme, qui a constitué un magnifique creuset pour tous ses enfants, venus d'horizons divers, est en train de se  "communautariser" de se tribaliser. Et c'est un danger pour les valeurs républicaines, auxquelles je suis très attaché. La laïcité, la fraternité, l'égalité doivent s'imposer à tous. Et la pratique religieuse doit rester dans la sphère privée.

Lorsqu'un jour un ambassadeur arabe vous informe que dans les cités de banlieues le mot d'ordre est de "voter Le Pen", vous n'en croyez pas vos oreilles. Qu'est-ce que de telles consignes, à votre avis, signifient ?

Cela s'appelle une alliance objective. Les intégristes des deux côtés ont un intérêt commun : déstabiliser la République, et créer le désordre, quitte à s'entredéchirer ensuite. Une expression est même employée : "la théorie du chaos".

Il y a 30 ans vous refusiez, mais vous finissez par le faire, d'animer le fameux débat entre Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen à la télévision française. Quel est votre sentiment aujourd'hui alors que le FN est crédité d'un score de 28% aux élections départementales de mars 2015 ?

J'avais effectivement refusé le débat. J'avais même démissionné. Mais la rédaction, qui me soutenait, et qui protestait contre les méthodes de Jean-Pierre Elkabbach, m'avait demandé de rester à mon poste dans la perspective de l’élection présidentielle.Ma crainte, aujourd'hui, est de voir l'extrême droite accéder au pouvoir dans mon pays. L'image de la France dans le monde s'en ressentirait.

Quels rapports entretenez-vous avec le Maroc ? Le connaissez-vous ? Connaissez-vous ses hommes politiques ? Sa communauté juive ?

Je connais mal la classe politique marocaine, mais j'aime votre pays. Pas seulement pour la beauté des paysages. Le Maroc a su préserver une belle cohabitation entre ses différentes communautés. C'est un bel exemple à suivre.

Vous revendiquez le fait de ne pas participer aux débats médiatiques sur le conflit israélo-palestinien. Pourquoi ?

Je suis Français. Le livre que je viens d'écrire porte sur mon pays, la France. Et les tensions, franco-françaises, sont suffisamment aiguës, pour ne pas en rajouter. J'espère ardemment qu'Israéliens et Palestiniens parviendront un jour à s'entendre, et à vivre en paix. Une coexistence pacifique entre ces deux États, que j'appelle de mes vœux, pourrait même servir d'exemple à un Proche-Orient aujourd'hui en feu.

Vous avez quitté l'Algérie et Constantine où vous êtes né il y a un peu plus de 60 ans. Qu'a suscitée en vous "l'idée" d'Eric Zemmour qu'une partie de la solution sociale et politique aujourd'hui en France pourrait être de déporter les musulmans de France vers la rive sud de la Méditerranée ?

Eric Zemmour n'a pas prononcé le mot " déporter", mais il l'a pensé. Et c'est affligeant. Il a le droit de faire un constat sévère sur l'état du pays, mais il n'a pas le droit d'attiser, comme il le fait depuis des années. Il n'a pas le droit de confondre islamistes et musulmans.

Il fait désormais partie de cette cohorte d'hommes, Le Pen, Dieudonné, Soral, Ramadan qui se nourrissent de ces tensions, et qui les exacerbent. Notre devoir, quand on dispose d'une tribune, c'est au contraire de les apaiser, et d'avoir un discours de paix et de fraternité. Un devoir impérieux, au regard de l'Histoire, souvent tragique, et de l'exigence morale.

Blessures, par Paul Amar, éditions Tallandier, 250 DH.