Darija: Le débat Laroui-Ayouch conforte le statu quo actuel

Le très attendu débat entre Laroui et Ayouch a tenu ses promesses d'audience au delà du Maroc.  Au final, un débat qui fige les positions et conforte le statu quo, bloquant  les velléités de réformes, mais un tabou est tombé.

Darija: Le débat Laroui-Ayouch conforte le statu quo actuel

Le 28 novembre 2013 à 8h25

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

Le très attendu débat entre Laroui et Ayouch a tenu ses promesses d'audience au delà du Maroc.  Au final, un débat qui fige les positions et conforte le statu quo, bloquant  les velléités de réformes, mais un tabou est tombé.

Le débat Ayouch-Laroui sur 2M mercredi soir, au sujet de la place de la darija dans l’enseignement, a tenu ses promesses en matière d’audience et d’intérêt du public. Tard le soir et tôt ce jeudi matin, beaucoup de commentateurs comptaient les points. On les comprend, le débat a été présenté comme un duel alors que le sujet est trop grave pour être réduit à cela.

La télévision justement, reste un média puissant mais réducteur. Les postures, les attitudes, les émotions, prennent le pas sur la réflexion. Au final, les deux intervenants étaient d’accord sur l’essentiel: la darija a toute sa place dans l’enseignement, et on évoluera certainement vers une langue médiane, arabe simplifié pour Laroui, darija écrite ou rehaussée pour Ayouch.

Un match, un duel, un débat?

Mais si l’on veut juger le débat en termes de match, Laroui est mieux passé pour beaucoup de commentateurs: un homme posé, qui respire la science par toutes ses pores. Il a utilisé une langue arabe simplifiée largement compréhensible. Il a donné l’impression de maîtriser son sujet, en tous les cas d’avoir des lettres et la science qui va avec. Alors que Ayouch a montré qu’il était bien plus à l’aise en langue française, ce qui n’est pas une tare certes. Ayouch l'homme d'action et de la société civile, francophone, publicitaire et activiste. Laroui, l'hommes de science et de lettres, bilingue parfait, agrégé d'arabe, penseur connu au delà des frontières.

Pour d'autres commentateurs, c'est un match nul avec un petit point en faveur de Ayouch qui a imposé un débat et brisé quelques tabous et qui a eu le courage de défendre ses idées dans des émissions télévisées, dans un domaine où il a reçu beaucoup de coups et dans une ambiance souvent hostile. Il a été personnellement attaqué au moment de la publication des recommandations de son colloque sur l'Education, d'une manière parfois indigne.

On peut déplorer parfois sur le plateau de 2M, une attitude méprisante, consciemment ou inconsciemment, à l’égard de la langue darija, présentée ou cataloguée comme un folklore, ou une sous-langue que l’on ne peut que cantonner à l’oral. Alors que la langue d’Al Jahedh, auteur que glorifie à tous crins Abdallah Laroui, a bien été une langue orale jusqu’à plus de deux siècles après la mort du Prophète de l’Islam.

Convergence darija orale-arabe écrit

Au final donc, les deux intervenants étaient d’accord sur le fait que le Maroc, comme bien d’autres pays arabes, évolue vers une convergence entre la darija et l’arabe écrit. Mais personne ne répond, ni ne veut répondre à la problématique principale: le fait que l’arabe classique ou moderne, l’arabe écrit, n’est parlé par aucun citoyen arabe dans sa vie quotidienne et les incidences de cette situation sur l’apprentissage, la vie publique, l’alphabétisation, la vie politique et la démocratisation.

Le statut de la darija tout comme les questions linguistiques sont des problèmes trop graves pour qu’on accepte de les traiter avec passion.

Au final, un débat qui a confirmé le statu quo, celui qui consiste à nier les problèmes, et à prendre acte d’une forme de convergence des deux langues, darija orale et arabe écrit.

Le déroulé du débat

Très attendu, le débat aura permis de cerner les arguments des uns et des autres et d’esquisser les premières convergences entre les thèses conservatrices et les thèses de réforme. Ce débat intervient après la tenue d’un colloque international sur l’éducation à Casablanca les 4 et 5 octobre dernier, organisé par N. Ayouch et à l’issue duquel avait été formulée des recommandations de réforme de l’enseignement préscolaire et primaire.

Sur 44 recommandations au total, 3 portaient sur le préscolaire et le primaire et l’idée qu’il fallait, au cours des premières années, favoriser la transmission des savoirs en langue maternelle darija, amazigh ou hassani par exemple.

L’argument aura été redéveloppé et explicité par Ayouch hier soir sur 2M: «Enseigner dans la langue maternelle de l’enfant entre les âges de 3 et 10 ans permet une meilleure transmission des connaissances, respecte la culture de l’enfant et donc décourage l’abandon scolaire, un fléau national» dont les enfants et les familles modestes sont les premiers à pâtir.

C’est particulièrement sur la place de la darija à l’école, point sur lequel Laroui finira par concéder que «son usage est possible entre les âges de 3 et 6 ans» que les échanges ont porté.

Mais l’érudit Laroui aura également multiplié les références intellectuelles, coloniales françaises et américaines pour la plupart (dont celles de Régis Blachère, Emile Laoust, Louis Brunot) pour défendre le point de vue que «rien ne vaut la langue fus'ha» pour éduquer les jeunes Marocains. Selon Laroui,  E. Laoust s’est opposé à l’enseignement de la darija sous l’ère coloniale car «il estimait que celle-ci n’avait pas de lien avec la culture et la religion».

Plus tard dans le débat, Laroui finira par exprimer ses craintes que l’usage de la darija «ne nous éloigne du centre arabe et d’une langue plus noble».

Sur ce point-là Ayouch insistera plutôt sur le côté populaire et créatif de la darija, son rôle dans la musique et la communication et sa place grandissante dans le monde de l’édition.

De manière assez intéressante sur 2M mercredi soir, le débat entre les deux hommes avait été précédé de longues séries de spots publicitaires de Dop, Jawal, Dacia, Renault, Méditel ou les conserves Aïcha, une fois en darija, une autre fois en français et en darija «classicisée», d’autres fois en un mix pas encore cataloguable.

Si Abdallah Laroui n’a pas eu droit aux interrogations sur sa légitimité à prendre part à ce sujet et à se fendre de déclarations conservatrices avec un usage généreux du verbe ouhafid , conserver, Ayouch n’y a pas échappé.

L’expérience et le palais

Invoquant une démarche pragmatique,  N. Ayouch a rappelé devant les téléspectateurs son expérience dans le microcrédit qui lui a fait découvrir les niveaux d’illettrisme et d’abandon scolaire dans le monde rural, l’amenant progressivement à développer une activité d’ONG d’alphabétisation des adultes et de scolarisation des plus jeunes. Aujourd’hui, 450 écoles de ce réseau, parfois d’une taille d’une pièce, alphabétisent et scolarisent dans le monde rural et dans les douars.

Sur le colloque des 4 et 5 octobre lui-même, N. Ayouch a dû répondre à des interrogations sur les véritables initiateurs de l’événement et la présence à la Fondation Abdelaziz de Casablanca durant les travaux de Fouad Ali El Himma, Omar Azziman ou d’autres politiques.

Sur ce point, Ayouch a affirmé que «le palais n’intervient pas dans ses affaires» et que s’il est «un ami du Roi, il ne demande la permission de personne». Depuis un mois, plusieurs médias ont attaqué N. Ayouch et par ricochet l’intérêt des recommandations du colloque des 4 et 5 octobre en tentant de le décrédibiliser comme homme d’affaires aux relations haut placées et en faisant l’impasse sur ses activités dans le monde associatif.

Pour tenter de clore ce point, Ayouch indiquera que «ces recommandations ne sont pas les miennes, mais celles des experts» et que «l’usage plus important de la darija à l’école est d’abord une solution à l’abandon scolaire».

Interrogé sur le fait de savoir quel était le problème si un individu prenait de telles initiatives, Laroui a reconnu les qualités citoyennes de Ayouch et retourné la question en se demandant si «promouvoir la darija est une initiative superflue?» ce à quoi il répondra oui sur les chapitres du lien avec l’arabe égyptien et du lien avec une langue plus riche.

Dans la deuxième partie du débat après un reportage qui fera parler un enseignant qui utilise un arabe intermédiare et une enseignante qui ne jure que par la fus'ha,  Abdallah Laroui signalera un rapprochement de ses vues sur la darija avec celles de Ayouch en insistant sur le seul préscolaire et le saut vers l’arabe classique avant la fin du primaire.

De même à la question de savoir «si l’amazigh peut sauver des enfants de l’abandon scolaire», la réponse de Laroui fut un oui timide en indiquant que la politique de la régionalisation peut permettre une évolution vers la mise en place des langues maternelles dans l’enseignement préscolaire.

Mais avant cela, Laroui, qui avait déjà auparavant rejeté avis et recommandations de l’UNESCO en matière d’usage des langues maternelles dans l’enseignement, questionnera également la légitimité des experts marocains et étrangers réunis à Casablanca les 4 et 5 octobre derniers et dont plusieurs étaient dans le studio de 2M hier soir.

Cet argument aura fait bondir N. Ayouch qui a répliqué par un vif «vous êtes contre l’UNESCO, vous êtes contre les experts marocains et étrangers, vous ne voulez rien changer alors que notre système éducatif est en faillite». Quelques minutes auparavant Ayouch venait de rappeler que sur 100 jeunes marocains qui étaient scolarisés, moins de 15 auront leur bac, 6 obtiendront leur licence et seulement 4 un emploi. Ajoutons à cela que l'Académie royale dont Abdellah Laroui est membre publie des livres en Darija.

Finalement, entre un arabe classique simplifié prôné par Laroui, il ne veut plus de mouthanna (duo) dans la langue et la darija ou langue maternelle améliorée, non seulement, l'émission permis de constater que le débat était possible sans polémiques inutiles mais que des évolutions aussi étaient possibles. Les exemples du maltais, du swahili, du turc ou de l’hébreu le montrent, comme le fait qu’en Suisse il y ait 5 langues officielles et que l’on communique en plus de 30 langues en Afrique du Sud et en plus de 300 langues en Inde.

De larges extraits du débat peuvent être visionnés ici.

 

 

 


 

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