Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Une simple expression géographique

Le 19 avril 2024 à 15h14

Modifié 19 avril 2024 à 16h27

La géographie engendre parfois l’histoire et en explique certains rebondissements. Chronique d’humeur vagabonde basée sur quelques souvenirs et considérations sur l’enseignement de deux disciplines contractées en un seul mot composé. "Histoire-géo" ou géopolitique pour les nuls.

Si "la géographie sert à faire la guerre", comme le soutient le grand géographe et géopolitologue Yves Lacoste (né à Fès en 1929) dans sa célèbre formule (et titre éponyme de son essai paru en 1972 chez Maspéro), on peut se demander naïvement à quoi sert la guerre ? La réponse serait aussi simple que naïve : elle servirait à faire l’histoire ou du moins à l’écrire. Et à la question qui n’a pas changé depuis des siècles : "Qu’est-ce que l’histoire et que font exactement les historiens ?", l’un de ses derniers et non des moindres, Paul Veyne, répond qu’ils "racontent des événements vrais qui ont l’homme pour acteur ; l’histoire est un roman vrai". Et il ajoute, comme s’il en souriait, "Réponse qui, à première vue, n’a l’air de rien."

Ce sont là des questions abstraites que nous ne nous sommes jamais posées, nous autres élèves d’une génération qui, jadis, avait potassé deux matières contractées en un seul mot : "histoire-géo". D’abord en français avant d’être "arabisées", sans crier gare, au grand dam d’un prof formé dans une autre langue que celle qu’on exige de lui désormais. Déjà que nous savions à peine nous situer dans l’espace − ce qui est fâcheux lorsqu’on veut étudier la géo −, nous peinions tout autant lorsqu’il s’agissait du temps et donc de l’histoire. L’espace et le temps : notions réduites à deux autres concepts, aussi étroits qu’éphémères, ici et maintenant. Mais cela n’empêchait pas certains d’entre nous de rêver à un ailleurs que nous espérions meilleur et à un futur que nous pensions proche et tout aussi meilleur.

Le prof, lui, fraîchement et intempestivement arabisé, baragouinait dans un arabe approximatif des notions d’histoire-géo qu’il avait apprises dans une autre langue. Sans nouveaux manuels en arabe, les leçons d’histoire-géo relevaient du conte oral débité par le prof relatant quelques aspects physique de la géographie et passant en revue quelques bribes mythiques à propos de l’histoire du pays. Autant dire qu’on nageait dans l’à-peu-près et le-presque-rien. L’histoire-géo pour les nuls en quelque sorte.

Le lycée est pourtant situé à l’entrée d’une médina restée dans son jus depuis des siècles, abritant des demeures et des monuments qui recèlent des siècles d’histoire d’un passé de splendeurs. Et que dire de l’Antiquité dont des vestiges romains prestigieux jonchaient le sol à une cinquantaine de kilomètres de là. Volubilis, la cité romaine édifiée dans une vaste et fertile vallée surplombée par une petite ville où se trouve la tombe du fondateur de la première dynastie du Royaume, Moulay Driss Zerhoune qui fut le refuge d’Idriss Ben Abdallah, "descendant d’Ali et de Fatima, fille du Prophète, échappé en 786 du massacre perpétré contre la lignée des Alides par les Abbassides en Orient".

Nous baignions dans l’histoire-géo, voire dans la géopolitique, mais nous ne le savions point. C’est bien plus tard, dans les livres, que nous apprendrons à nous situer dans le temps et dans l’espace afin de construire un rapport au monde par la force et l’autorité de la chose écrite. "L’aventure de l’homme, disent les historiens, commence bien avant leur histoire."

Mais on ne peut faire l’histoire des peuples que s’ils ont écrit et s’ils ont lu ; sans cela, on demeure égaré dans un temps immémorial, figé dans une spatialité tellurique archéologiquement indéchiffrable. L’histoire même de l’humanité n’est datée que depuis que l’écrit existe, soit un court récit de moins de quatre millénaires, alors que l’origine de l’Homme remonterait à l’aube du monde ou la nuit des temps…

Tout commence donc par la géographie et finit dans l’histoire. Et si l’on s’amusait à remonter le temps jusqu’à la préhistoire pour comprendre la genèse du monde tel un flash back dans un récit, comme le font paléontologues et historiens, on découvrirait alors que "c’est la contrainte climatique qui transforma probablement certains primates en êtres humains. C’est la même contrainte qui fit succéder l’histoire à la préhistoire".

La contrainte climatique nous ramène à cette géographie servant à faire la guerre, comme l’annonce la formule implacable d’Yves Lacoste citée au début de cette chronique. Si l’on consulte un atlas ou une carte du monde, on peut aisément vérifier la formule de la géographie. Le voisinage géographique engendre souvent des conflits frontaliers, excite la volonté d’expansion et suscite des convoitises. L’histoire regorge d’exemples accréditant cette thèse.

Nous sommes bien placés géographiquement pour le savoir et le déplorer quand on sait l’origine et subodore les noirs desseins des dirigeants de nos voisins de l’Est, comme on dit diplomatiquement. Historiquement, c’est bien à cause d’un mauvais tracé frontalier mal négocié à l’indépendance du pays ; d’un autre hérité d’une colonisation espagnole au profit d’un pays corseté par le régime franquiste sépulcral de l’époque et une France coloniale sûre d’elle-même et dominatrice qui considérait l’Algérie comme un département d’outre-mer. C’est donc de ce tracé qu’est né le conflit qui oppose notre pays aux dirigeants bilieux et belliqueux embusqués à l’Est. Et c’est finalement à cause de ces faits historiques que le "Grand Maghreb" dont on a tant rêvé demeure encore une simple expression géographique.

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