Joschka Fischer

Ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier allemand de 1998 à 2005. Ancien dirigeant du Parti Vert allemand pendant près de 20 ans.

Une politique étrangère allemande adulte

Le 9 décembre 2014 à 11h12

Modifié 9 avril 2021 à 20h26

BERLIN – Il y a bientôt 25 ans, la réunification de l'Allemagne a une fois de plus mis au cœur de l'Europe une grande puissance dont la place, le potentiel économique et l'histoire, ont soulevé à nouveau des soupçons sur ses ambitions hégémoniques. Les principaux leaders européens d'alors (en particulier Giulio Andreotti, Margaret Thatcher et François Mitterrand) s'inquiétaient de ce que l'Allemagne puisse vouloir réviser les résultats des deux guerres mondiales.  

Dans les milieux politiques allemands en 1990, cette idée-là aurait paru absurde et monstrueuse. Mais la fin de la partition de l'Allemagne signifiait également la fin de l'ordre du monde bipolaire de la Guerre froide. Et au moment où le monde fait face à une accumulation de tensions et de dangereuses crises régionales (en Ukraine, au Moyen-Orient et en Asie), l'absence d'un nouvel ordre est devenue dangereusement manifeste.

Les inquiétudes sur le retour des fantômes de l'histoire ont été jusqu'à présent sans fondement, du moins en ce qui concerne l'Allemagne. Bien que la crise financière mondiale et ses effets sur l'Europe aient transformé de facto l'Allemagne en la principale puissance économique, ce rôle n'est ni recherché ni apprécié par le gouvernement. L'Allemagne réunifiée reste une démocratie pacifique qui reconnaît toutes les frontières voisines et reste fermement ancrée dans l'Otan et dans l'Union européenne.

Les nouvelles préoccupations de politique étrangère

Mais alors que l'Allemagne ne cause aujourd'hui aucune menace envers ses voisins ni envers l'ordre européen, cela n'a évidemment pas toujours été le cas. Durant les 70 premières années après son unification en 1871, l'Allemagne a cherché à appliquer (plus ou moins seule et contre la France) sa domination politique et militaire en Europe. L'échec lors de la Première Guerre mondiale a conduit à la radicalisation sous Adolf Hitler, qui a pris fin dans la défaite totale et dans la partition de l'Allemagne.

L'Allemagne de l'Ouest fondée en 1949, était tout sauf une puissance souveraine en termes de politique étrangère. Le début de la Guerre froide a signifié la forte intégration de la jeune démocratie ouest-allemande dans le bloc de l'Ouest, sous tutelle des trois alliés occidentaux : la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis.

L'intégration avec le bloc de l'Ouest a eu préséance sur l'unité allemande. La neutralité en échange de la réunification n'avait pas le soutien de la majorité dans la République fédérale et certainement pas celui des puissances alliées. Mais une intégration réussie avec la réconciliation avec la France, le vieil ennemi et voisin, était présupposée par l'Ouest.

L'Allemagne a dû aussi surmonter la catastrophe morale du nazisme. L'essentiel de ses préoccupations de politique étrangère a consisté à regagner le respect de la communauté internationale et à finalement conserver la possibilité d'une éventuelle réunification. Ces objectifs ont constitué la base du soutien de la République fédérale pour l'intégration européenne, son approche du bloc de l'Est (Ostpolitik) et sa réconciliation avec les anciens ennemis et avec les victimes du nazisme, en particulier les Juifs.

Lorsque la réunification a eu lieu le 3 octobre 1990, l'Allemagne a recouvré sa pleine souveraineté. Elle a tenté de comprendre comment l'utiliser depuis lors.

L'Allemagne principale puissance de l'Europe

La principale puissance de l'Europe ne pouvait plus prétendre à un rôle spécial au sein de l'Otan et s'abstenir de toutes les opérations militaires au-delà de son territoire. Une telle décision aurait risqué de créer un vide stratégique au cœur de l'Europe et de susciter des questions quant à savoir si le pays poursuivait peut-être à nouveau sa propre voie, cette fois entre l'Est et l'Ouest. L'Allemagne a donc dû donc trouver une solution qui satisfasse à la fois le pacifisme de la grande majorité de l'opinion publique allemand et les exigences militaires de l'Otan.

La fragilité des fondements de politique étrangère de l'Allemagne s'est révélée au cours des conséquences de la crise financière de 2008. Bien que les principaux partis démocratiques aient convenu après 1990 que la continuité et la prévisibilité de la politique étrangère allemande était essentielle, c'est l'Allemagne qui s'est opposée à une réponse européenne à la crise et qui a insisté sur des solutions nationales qui soient coordonnées par l'UE.

En tant que puissance économique la plus forte de l'Europe, l'Allemagne a soudain été forcée de prendre le commandement. Mais elle a réussi la prouesse d'imposer les leçons de sa propre expérience (en particulier un souci quant à la stabilité des prix qui remonte à l'hyperinflation de l'entre-deux-guerres) au reste de l'Europe. Le gouvernement de l'Allemagne confond encore les recettes réussies de la République fédérale avec les besoins très différents de la première puissance d'une économie continentale. En conséquence, l'UE a été dans une crise permanente, caractérisée par la stagnation économique et par un chômage élevé.

La politique étrangère allemande recherche ses marques

Mais le retour de la Russie au militarisme dans l'Est de l'Europe semble maintenant entraîner un changement progressif. Soudain la sécurité du propre territoire de l'Allemagne est à nouveau en jeu. En effet, la politique du président russe Vladimir Poutine implique une menace directe envers les principes les plus fondamentaux de l'UE, qui ont défini la politique étrangère allemande depuis des décennies.

Ce n'est pas par hasard si l'un des objectifs centraux de Poutine est de désengager l'Allemagne du bloc de l'Ouest (ou au moins de la neutraliser). Mais la Chancelière allemande Angela Merkel a subi une transformation remarquable. Même si elle reste prête à discuter avec le Kremlin, son engagement en faveur de l'unité de l'Ouest a été sans faille.

Cela est apparu clairement dans un discours récent à Sydney, où elle a rompu avec la «politique des petits pas» qui l'avait guidée après la crise de l'euro en 2008. Elle a clairement désigné la menace que Poutine pose à l'Europe, précisément parce que cette menace ne se limite pas à l'Ukraine.

Ce fut un discours remarquable. Et il laisse un espoir que, face à la crise actuelle au sein de l'UE et en Europe de l'Est, la politique étrangère allemande puisse enfin trouver ses marques.

 

© Project Syndicate 1995–2014


 

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