Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Thèse, antithèse, foutaise

Le 1 juillet 2023 à 8h08

Modifié 1 juillet 2023 à 8h08

Des proverbes à la métaphore, des poètes aux chanteurs à textes, une croustillante pérégrination de Abdellah Najib Refaif.

"Là où il y a une volonté, il y a un chemin", écrit le poète. Bien dit, confirmera l’autre incorrigible optimiste qui pense "qu’il n’y a qu’à" pour obtenir ce qu’on désire ou ce qu’on espère. Le problème avec les poètes, c’est qu’ils ont cet art difficile de dire les choses de la vie avec des mots que n’osent ni ne se permettent les pauvres prosateurs du banal et du quotidien.

Pourtant, la phrase citée là-haut est simple et ses mots accessibles. Elle a même la construction grammaticale et la teneur sémantique pleine de bon sens qu’ont souvent les proverbes populaires et les maximes les plus cités. On retrouve d’ailleurs la même phrase, traduite littéralement mais dans un proverbe anglais datant du 17 -ème siècle et attribuée à un écrivain nommé George Herbert : "Where there is a will, there is a way". Mais les proverbes, contrairement aux autres expressions écrites, sont souvent des créations condamnées à l’anonymat et qu’on retrouve dans toutes les cultures à travers le monde, peut-être depuis que l’homme s’est mis à parler et à exprimer des  pensées et une morale.

En effet, comment dater ou revendiquer la paternité d’un proverbe qui a circulé parmi les peuples sur terre depuis la nuit des temps ? Qui a pris quoi à qui ? De cette affirmation philosophique de Nietzsche, par exemple, où il dit : "Tout ce qui ne me tue pas, me rend plus fort", à ce proverbe populaire bien de chez que j’ai souvent entendu et qui affirme que : "Alli ma qatlate T’semmène" ( Ce qui ne tue pas fait grossir).

On peut phosphorer et partir en vrille dans diverses exégèses philosophiques et existentialistes pour  la première, et dire tout simplement que le proverbe de chez nous, lui, été inventé par un quidam qui a laissé tomber un morceau de viande par terre puis l’a ramassé pour le manger sans s’encombrer de considérations ou précautions  hygiéniques. Deux affirmations, deux thèses : un philosophe illuminé, torturé et à demi-fou qui dialoguait avec Zarathoustra et un pauvre bougre qui a tout bêtement faim. Vous n’allez pas me dire que ce dernier aurait plagié l’auteur du "Gai savoir" ?  Thèse, antithèse et… foutaise.

Mais quittons les sommets arides de la philo pour la vallée verdoyante de la métaphore et revenons à notre poète du début pour lui opposer un argument, même si l’on craint que les aèdes ne souffrent pas l’argumentation et tiennent en mépris ceux qui pratiquent l’argutie ; qu’importe, sortons l’argument donc : ce chemin dont parle le poète (ou le proverbe) et qui se trouve là où est la volonté ne mène pas tout le monde à la même destination, ni n’a la même explication.

Le sens du proverbe, lui, est simple et son message clair comme l’eau de roche : si on s’accroche, on y arrive ; la volonté ouvre la voie et montre donc le chemin. Pour le poète, un autre, Machado cette fois-ci, pas Char, ce n’est pas le chemin qui importe mais le cheminement.

Décidemment, les poètes ont des mots pour tout et ils auront toujours raison. L’un d’eux, chanteur et poète, Jean Ferrat, a d’ailleurs soutenu et joliment chanté ceci : "Le poète a toujours raison/ Qui voit plus haut que l’horizon/ Et le futur est son royaume / Face à notre génération/ Je déclare avec Aragon/ La femme est l’avenir de l’homme".

Le Même Aragon avait pourtant avoué : "Je ne connais rien de rien de l’avenir…", mais se contredisant, juste après, dans "Le fou d’Elsa", il avait en effet bien écrit avec des mots si simples ces vers hautement féministes pour l’époque : "L’avenir de l’homme est la femme. Elle est la couleur de son âme. Elle est sa rumeur et son bruit et sans Elle, il n’est qu’un blasphème". Mais, politiquement et pas seulement, le "Fou d’Elsa" n’était à une contradiction près. Qu’importe, on pardonne tout aux poètes. Enfin presque tout, mais pas à tous les poètes et pas toujours du côté de chez nous.

Il m’arrive parfois de consulter  d’anciennes notes prise ici et là, et quelques vieilles coupures de presse jaunies par le temps puis gardées pour on ne sait quelle raison jusqu’à se rendre compte un jour de leur utilité réelle ou supposée. C’est peut-être le cas en écrivant ces considérations bassement subjectives à propos de quelques poètes, leur tropisme ou leur comportement versatiles.

Il y a quelques années, le déjà vénérable quotidien marocain de langue arabe Al Alam (fondé le 11 septembre 1946 tout de même) avait brocardé ce poète en première page à l’aide d’une manchette ironique et délatrice digne d’un tabloïd anglais : "Ce n’est pas la première fois : Adonis refuse une lecture collective de poésie, exige une indemnité et un billet d’avion en classe business !" L’article revient sur une polémique entre le célèbre poète syrien résidant à Paris et le ministère de la Culture tunisien de l’époque au cours de laquelle le premier aurait exigé, entre autres conditions, d’être indemnisé pour une prestation littéraire pour participer à une rencontre réunissant des poètes arabes à Tunis.

Le journal avait publié le contenu d’un échange épistolaire entre les deux parties où le poète a laissé de côté les métaphores et autres figures de style pour poser ses conditions dont la qualité et la renommée des poètes invités et non le tout-venant comme c’était le cas dans ces kermesses littéraires dithyrambiques et prisées par les régimes arabes de l’époque. Mais le quotidien n’a retenu et monté en épingle que les conditions "bassement matérielles et prosaïques" que le poète estime de nature à préserver à la poésie son magistère et aux poètes leur dignité.

En étalant publiquement les exigences du poète tout en les pourfendant, le quotidien voulait peut-être ouvrir un débat d’idées. Quel débat ? Quelles idées ? N’importe quel poète honnête et impécunieux --ce qui est un pléonasme car un poète est fauché par essence et par vocation-- sera d’accord avec Adonis sur toutes les conditions, morales et matérielles qu’il avait posées. Mais pour certains, ici comme ailleurs, le poète n’a pas toujours raison.

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