Sanae Saadani

Doctorante

Sociologie: comment définir la pauvreté?

Le 19 octobre 2015 à 16h44

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

La journée internationale contre la pauvreté s'est tenu le 17 octobre. L'occasion de revenir sur la portée sociologique du terme "pauvreté".

Le terme "pauvre" vient du latin pauper et du grec pénes (pauvre) et penia (pauvreté), vocables apparentés à peina (faim) et à ponos (douleur) et poiné (châtiment, peine). (1) Il se traduit en grec par aporia (absence de chemin, situation de difficulté dans laquelle se trouve le pauvre) et en arabe par faqir (pauvre) et faqr (le besoin et la misère). En Inde, c’est l’ascète qui vit d’aumônes et se livre à des mortifications en public.

En outre, Ali Ibn Othman al-Houjwiri (2) souligne que le terme de pauvreté prend une variété de sens disparates. C’est tantôt le fait d’être démuni matériellement, tantôt le fait de se mettre volontairement dans cet état et tantôt ce terme est attribué à une des stations (maqam) de la voie mystique.

Dès son origine, la sociologie s’est intéressée à la pauvreté et au paupérisme. Au XXe siècle, quand la discipline s’est spécialisée et a découpé la réalité en grands espaces, elle n’a pas fait de la pauvreté un de ses "champs". C’est dans ce cadre général que la question mérite d’être posée: qu’est-ce que la pauvreté pour un sociologue?

La pauvreté s’impose d’abord comme une question sociale, avant d’être un problème sociologique. En sociologie, la pauvreté est d’abord un paradigme, une manière particulière d’aborder les problèmes des populations, qui postule l’idée de privation, de manque, notamment matériel. La pauvreté est bien une question majeure, incontournable, pour saisir le sens des mutations actuelles de la société – partant, elle constitue un problème sociologique majeur.

Un concept difficile à définir

La pauvreté présente différents aspects et donc prend de multiples formes dans les différentes zones du globe terrestre. Il importe donc de déterminer ce que signifie ce fait social et donc d’approcher sa définition.

Si la pauvreté paraît être un phénomène visible, concret, aisément reconnaissable, elle reste un concept difficilement définissable et mesurable. Pauvre, mais privé de quoi? Manque de ressources, manque d'éducation, absence de sécurité?

La pauvreté est un phénomène complexe en raison de la pluralité des formes qu'il peut prendre. Elle peut renvoyer à des parcours d'individus marginalisés, symbolisés par les figures du vagabond ou du sans-abri. En période de récession, elle renvoie à des situations conjuguant chômage et perte de liens sociaux. Elle peut aussi concerner des travailleurs à bas niveau de salaire et aux conditions de vie dégradées. Toutefois, la pauvreté se vit différemment en fonction du tissu social et des solidarités qui s'y déploient.

Lorsqu’on parle de pauvreté, un des problèmes consiste à lui donner une définition. La pauvreté se subdivise en deux catégories: la pauvreté absolue et la pauvreté relative.

La pauvreté absolue désigne une situation dans laquelle les personnes ne disposent pas des biens de première nécessité assurant leur survie. Les pauvres peuvent souffrir de famine, ne pas disposer d’eau propre, d’un véritable logement… Et ils luttent pour rester en vie.

La pauvreté relative désigne quant à elle une situation dans laquelle le mode de vie et le revenu de certaines personnes se situent largement en-deçà du niveau général de vie dans le pays ou la région où ces personnes vivent. Bien qu’elle ne soit pas aussi extrême que la pauvreté absolue, la pauvreté relative est toujours très grave et préjudiciable.

Charles Booth, réformateur anglais, initia une grande transformation dans la façon de catégoriser les pauvres et de penser la pauvreté en mettant au point le seuil de pauvreté – la poverty line – à la fin des années 1890. (3)

Une personne est reconnue comme vivant dans la pauvreté si son revenu et ses ressources sont insuffisants au point de l'empêcher d'avoir un niveau de vie considéré comme acceptable. En raison de la pauvreté, cette personne peut se trouver défavorisée de multiples manières: chômage, faible revenu, logement insalubre, soins de santé inadéquats et obstacles à son accès à l'apprentissage tout au long de la vie, à la culture, au sport et aux loisirs. Elle est souvent marginalisée et exclue de la participation aux activités (économiques, sociales et culturelles) qui sont la norme des autres personnes, et son accès aux droits fondamentaux peut être restreint. (4)

Des statistiques mondiales 

La pauvreté dans le monde a fait l’objet de recherches statistiques menées par plusieurs organisations internationales et principalement par la Banque mondiale et le Programme des Nations Unies pour le développement. L’UNICEF promeut une approche multidimensionnelle de la pauvreté, qui ne se base pas seulement sur la pauvreté monétaire, mais qui prend également en compte d’autres carences telles que l’accès à la nourriture, à l’eau, à la santé, à l’éducation, au logement et à l’information, entre autres. (5)

Au fil des ans, les approches de ces deux organisations onusiennes ont convergé en ce qui concerne la définition du concept de pauvreté (en l’assimilant de plus en plus aux idées de vulnérabilité, de précarité et de risques), mais sont restées distinctes s’agissant des méthodes utilisées pour définir et quantifier ce phénomène: le PNUD s’efforce de dégager des critères multiples de la pauvreté (on parle à cet égard d’"indicateurs alternatifs") alors que la Banque mondiale reste fidèle à une approche essentiellement monétaire.

Sur le plan statistique, les quatre principaux instruments d’évaluation de la pauvreté qui ont été utilisés dans le passé par les organisations internationales sont le seuil de pauvreté, le produit intérieur brut par habitant, l’indicateur de développement humain et l’indicateur de pauvreté humaine. Un nouvel indicateur plus perfectionné est utilisé depuis 2010 par le PNUD; il s’agit de l’indicateur de pauvreté multidimensionnelle.

Une motivation normative bien connue pour mesurer la pauvreté multidimensionnelle provient du fait que les pauvres peuvent être confrontés à de multiples privations qui ont chacune leur propre importance. (6)

Une absence de sécurités

L’autre motivation essentielle provient du décalage empirique entre la pauvreté mesurée dans un espace unique donné – comme le revenu – et d’autres mesures importantes uniques et multidimensionnelles, du désavantage. Si le revenu (ou toute autre mesure unidimensionnelle) était une variable indicatrice d’autres désavantages suffisant à certaines fins pratiques (cibler les populations, suivre l’évolution dans le temps ou orienter la politique), alors, la parcimonie nous inciterait à nous en contenter.

Lorsqu’on utilise la notion de pauvreté en continuité avec le sens commun, cette notion constitue une "définition" par la négative (non seulement en termes de valeurs mais aussi en termes cognitifs) des personnes et des groupes sociaux appréhendés.

Le père Joseph Wresinski (1917 – 1988), créateur de la "Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté" avait proposé au Conseil économique et social dans un rapport intitulé "Grande pauvreté et précarité économique et sociale", adopté le 11 février 1987, la  définition suivante de la pauvreté:

"La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins grave et définitive. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante, qu’elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de réassumer ses responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible." (7)

En guise de conclusion, à chaque époque, les types de pauvreté se renouvellent et les caractéristiques qui tendent à les définir changent puisque les conditions de production ne sont pas les mêmes. (8)



(1) Wagner de Reyna, Alberto, 1990, p. 37.

(2) Nicholson, Reynold Alleyne, 1911, pp. 19-29

(3) Jeanne LAZARUS, "Les enjeux de la sociologie de la pauvreté", CERISCOPE Pauvreté, 2012, [en ligne], consulté le 18/10/2015, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/pauvrete/content/part1/les-enjeux-de-la-sociologie-de-la-pauvrete

(5) L’UNICEF a publié un éventail de documents concernant les différentes inégalités/carences affectant les femmes, les enfants et les familles pauvres. Voir http://www.unicef.org/socialpolicy/index_43137.html (consulter le 12 mai 2015)

(6) Sen, Amartya, 1992.

(7) WRESINSKI, Joseph, 1987, p 14. Le père Joseph Wresinski (1917 – 1988), créateur de la « Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté » avait proposé cette définition au Conseil économique et social dans son rapport adopté le 11 février 1987.

(8) Brébant, Brigitte, 1984, page 15.

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