Arturo Casadevall

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Science, guéris-toi toi-même !

Le 12 juin 2013 à 15h35

Modifié 9 avril 2021 à 19h44

NEW YORK – La science peut être le plus grand succès de l'humanité en tant qu'espèce, grâce à la révolution scientifique commencée au XVIIème siècle.

Les hommes jouissent aujourd'hui de communications instantanées, de transports rapides, d'un régime alimentaire riche et varié ainsi que de la prévention et du traitement efficaces de maladies autrefois mortelles. En outre, la science est le meilleur espoir de l'humanité pour répondre aux menaces existentielles que sont le changement climatique, les agents pathogènes émergents, les météorites extra-terrestres et une population en plein essor.

Mais l'activité scientifique est menacée par des forces externes et internes. La communauté scientifique doit à présent employer sa capacité d'autocorrection, fondée sur de nouvelles informations, des découvertes, des expériences et des idées (la substance du progrès scientifique depuis des siècles), pour répondre à ces menaces.

Un obstacle important au progrès scientifique est la pénurie croissante du financement pour la recherche, une tendance aggravée par la crise économique mondiale. Les perspectives de financement incertain découragent non seulement certains scientifiques de poursuivre des axes de recherche risqués ou non orientés, pouvant conduire à des découvertes cruciales. Elles rendent également plus difficile le recrutement de l'élite pour des carrières scientifiques, étant donné en particulier la formation et la spécialisation étendues exigées par de telles carrières.

En outre, les dirigeants de tous les partis politiques s'interrogent sur des principes scientifiquement établis (comme le changement climatique anthropique, l'évolution et les avantages de la vaccination) sans avoir la moindre formation scientifique de base. Au mieux, de telles déclarations constituent une manœuvre de diversion sur les questions importantes. Au pire, elles faussent les politiques publiques. Bien que ces menaces tombent en dehors du contrôle direct des scientifiques, améliorer la communication avec les dirigeants politiques et la société civile pourrait aider à réduire la désinformation et à renforcer la confiance en la science.

Mais la crédibilité du domaine est également minée de l'intérieur, par une mauvaise conduite scientifique de plus en plus fréquente – traduite par une récente vague de publications scientifiques rétractées depuis lors – et une main-d'œuvre scientifique de plus en plus déséquilibrée faisant face à des incitations perverses. Bien que la grande majorité des scientifiques respectent les plus hautes normes d'intégrité, les effets corrosifs sur la crédibilité de la science, de recherches malhonnêtes ou non reproductibles, ne peuvent être ignorés.

Science : faille dans le système

Les problèmes s'enracinent dans la structure d'incitation du domaine – un système où le vainqueur rafle toute la mise – dans lequel les subventions, prix et autres récompenses vont à ceux qui publient les premiers. Bien que cette mentalité de compétition ne soit pas nouvelle en science – les mathématiciens du XVIIe siècle Isaac Newton et Leibniz ont passé plus d'une décennie à se battre âprement pour des crédits pour la découverte du calcul – elle s'est intensifiée au point que cela entrave les progrès.

En effet, les scientifiques sont engagés aujourd'hui dans une course hyper compétitive au financement et aux publications prestigieuses, qui ont déconnecté leurs objectifs de ceux du public qu'ils servent. L'année dernière, par exemple, lorsque C. Glenn Begley et Lee Ellis ont cherché à reproduire 53 études précliniques «de référence» sur le cancer, ils ont découvert que près de 90% des résultats ne peuvent pas être reproduits. Alors que les chercheurs qui ont publiés à l'origine ces études peuvent avoir profité de l'augmentation du financement et de la reconnaissance, les patients qui ont besoin de nouveaux traitements contre le cancer n'ont rien gagné.

En outre, ce système dans lequel le vainqueur rafle toute la mise ne parvient pas à tenir compte du fait que le travail scientifique est en grande partie réalisé par des équipes de recherche plutôt que par des individus. En conséquence, la main-d'œuvre scientifique commence à ressembler à un système pyramidal : injuste, inefficace et non viable.

Les avantages liés au système dans lequel le vainqueur rafle toute la mise encouragent la tricherie – ils vont des pratiques douteuses et des manquements à l'éthique, jusqu'à la faute pure et simple. Cela risque de créer un cercle vicieux dans lequel la mauvaise conduite et les recherches bâclées sont récompensées, ce qui compromet à la fois la démarche scientifique et sa crédibilité.

Les problèmes sont clairs. Mais leur traitement exige une stratégie prudente qui explique la fragilité structurale de l'activité scientifique, pour laquelle les scientifiques doivent accomplir une formation complète, où la rigueur peut facilement brider la créativité et où les limites du financement peuvent notablement retarder le progrès.

En raison de cette fragilité, peu de pays ont réussi à créer des entreprises scientifiques hautement productives, même si l'innovation scientifique et les avancées technologiques sont essentielles à la productivité, à la croissance économique et à l'influence d'un pays. Etant donné les défis implicites pour établir et conserver un secteur scientifique robuste, des efforts de réforme doivent être soigneusement entrepris.

Les réformes méthodologiques

En même temps, les réformes doivent être complètes, pour répondre aux questions méthodologiques, culturelles et structurelles. Les réformes méthodologiques doivent comprendre une refonte des conditions de formation, tenant moins compte de la spécialisation, et davantage d'une formation améliorée en probabilités et en statistiques. La culture scientifique doit être réformée pour abandonner des pratiques de longue date, dont celles qui déterminent les modalités d'affectation de crédits. Et les réformes structurelles visant à équilibrer la main-d'œuvre scientifique et à stabiliser le financement sont cruciales.

Certaines réformes doivent être assez faciles à mettre en œuvre. Par exemple, il ne devrait pas être trop difficile de gagner un soutien pour améliorer l'éducation touchant aux aspects éthiques de la recherche scientifique. Mais d'autres réformes importantes, comme la création d'alternatives à ce système d'incitation où le vainqueur rafle tout, présentera d'énormes défis.

Une stratégie de réforme efficace doit utiliser les outils de la science – en particulier, la collecte et l'analyse des données. Davantage de données sont nécessaires pour comprendre les déséquilibres de la main d'œuvre, le système d'évaluation par les pairs et la manière dont l'économie de l'activité scientifique influence le comportement des scientifiques.

La science a été étudiée par des sociologues, des historiens, des philosophes, mais rarement par les scientifiques eux-mêmes. Avec des incitations perverses qui minent à présent leur crédibilité et qui entravent la recherche, les scientifiques doivent prendre eux-mêmes les choses en mains. Appliquer la méthode scientifique aux problèmes de la science pourrait être le meilleur espoir des scientifiques pour regagner la confiance du public et pour régénérer la quête de nouvelles découvertes.

Traduit de l'anglais par Stéphan Garnier.

© Project Syndicate 1995–2013


 

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