Oussama Cherribi

Professeur de Sociologie à l'université Emory à Atlanta

Résonances fascistes : Marocanisation de l’islamophobie

Le 14 octobre 2014 à 16h21

Modifié 9 avril 2021 à 20h24

La controverse sur « moins de Marocains » de Geert Wilders se complique, non seulement par la décision du parquet néerlandais de le poursuivre en Justice, mais aussi par la pratique anti-démocratique de son parti, pour l'immuniser contre toute poursuite judiciaire.

En septembre 2012, le PVV avait en effet présenté une proposition de loi visant à supprimer deux articles du Code pénal susceptibles d’incriminer Geert Wilders de discrimination raciale en cas de comparution : le 137c (diffamation d'un groupe) et le 137d (incitation à la haine et à la discrimination). Ils forment l'enjeu principal, cette semaine, pour le juge néerlandais qui doit trancher sur la question de propos discriminatoires de Wilders envers la communauté marocaine aux Pays-Bas (NRC 11 octobre 2014). Ce texte retrace la sociogenèse de ce problème.

Le 11 septembre 2001 a été, aux Pays-Bas, un tournant qui a amplifié un débat islamique déjà latent. Ce débat a vu le jour à l’issue d’ une série d'incidents dans la ville de Rotterdam - les protestations de musulmans contre la pièce de théâtre intitulée Aïcha, qui porte un regard négatif sur la plus jeune épouse du prophète Mahomet, ou bien la controverse autour du mariage gay suscitée par une interview de l’imam marocain al-Moumni, pour ne citer que quelques exemples – et a culminé lors de la publication du livre, L'islamisation des Pays-Bas, du sociologue, chroniqueur et personnalité médiatique Pim Fortuyn, qui s’est lancé par la suite dans la politique.

Tous ces incidents se sont produits entre 1997 et 2002, quelques jours à peine avant les législatives de mai 2002, remportées par le parti de Pim Fortuyn, assassiné peu avant ces mêmes élections par un militant des droits des animaux dans la ville de Hilversum.

Pim, de son vrai nom Wilhelmus - le nom de l'hymne national néerlandais -, a ouvert la voie et créé les cadrages et les fondements intellectuels de l'islamophobie néerlandaise. Cette islamophobie a prospéré par la suite grâce à deux membres du Parti libéral (VVD), l’un Blanc, Geert Wilders (qui en a été peu après exclu et a fondé par la suite son propre parti, le Parti pour la liberté PVV), et l'autre Noire, Ayaan Hirsi Ali, d'origine somalienne. Le modèle de Pim Fortuyn a créé une quasi-feuille de route pour une islamophobie à part entière par la pratique politique d’Ayaan Hirsi Ali et de Geert Wilders.

L’islamophobie aux Pays-Bas se distingue, dans la politique, de celle des autres sur de nombreux points. Ainsi, le Partij voor de Vrijheid (PVV, Parti pour la liberté), qui base sa raison d’être sur l'islamophobie, est-il toléré par la plupart des partis politiques néerlandais, qui co-signent des motions et des amendements proposés par lui au Parlement ou dans les municipalités.

 

Les cheveux peroxydés et la mouette

 

Les célèbres cheveux blonds peroxydés de Geert Wilders contrastent bien avec son sujet de prédilection : les musulmans, les Marocains et l'islam. Pour légitimer son hostilité extrême, il utilise les arguments suivants : l'islam est, selon lui, une « idéologie totalitaire », qui présente les « mêmes caractéristiques que le cancer » et doit être éradiquée de ses racines.

Par ailleurs, l'Union européenne et les politiciens « naïfs » se rendent coupables, toujours selon Wilders, en inondant les Pays-Bas de migrants musulmans et de demandeurs d'asile.

Selon le chef du PVV, les remèdes aux problèmes sont faciles : la restauration des limites physiques (frontières) du pays afin d'être à nouveau « un pays souverain ». La liberté est la clé de toute solution efficace, selon Wilders. C’est pourquoi, le logo que Wilders a choisi pour son parti représente une mouette, les deux ailes bleues et blanches, le plumage rouge, la queue et le corsage blancs. Cette mouette n'est pas neutre. Elle a une signification historique ancrée dans une tradition fasciste qui remonte à l’époque précédant la Seconde Guerre mondiale.

La page 34 du manifeste « Leur Bruxelles, nos Pays-Bas » montre une photo de la mosquée Taiba à Amsterdam, avec quatre minarets et deux dômes. Une demi-lune avec une étoile pentagonale est placée sur les dômes et les minarets. Sous la photo figure un article intitulé « Notre politique de l’immigration ». Le manifeste oppose deux images :

-le cinéaste Theo van Gogh, qui a été abattu par un jeune islamiste néerlandais d’origine marocaine,

-et l'ancien maire d'Amsterdam et ancien chef du parti travailliste PvdA Job Cohen, qui dit aux Marocains : « Jullie horen bij ons » (Vous faites partie de notre pays).

Le PVV rejette ses déclarations et défend l'attitude de Theo van Gogh, qui demandait : « Wat doen jullie eigenlijk hier ? » (Qu’est-ce que vous faites ici, en fait?). Après quoi, le PVV ajoute : « Qui a laissé venir les Marocains dans ce pays ? » Et de répondre aussitôt : la génération du politiquement correct. « Les vannes ont été ouvertes à des centaines de milliers de musulmans, qui ont été attirés ici avec des emplois, des avantages, des logements et l'éducation, tout gratuitement. Les conséquences sont désastreuses, et à présent tout le monde en est conscient », poursuit le PVV.

Encore une fois, une photo d'un minaret colossal est imprimée. Puis vient une liste des mesures à prendre pour mettre fin à l'immigration. Cependant, je vais me limiterai aux mesures liées à l'islam :

- Il ne faut plus considérer l'islam comme une religion. Par conséquent, les musulmans ne doivent plus bénéficier du même régime d’arrangement de l’état providence  que les autres religions.

- Aucune nouvelle mosquée ne doit être construite. De plus, il faut interdire les mosquées et es minarets dans les zones urbaines.

- Toute mosquée où la violence est signalée doit être fermée.

- Les mosquées n’ont plus le droit d’être financées par des sources étrangères.

- Toutes les écoles islamiques doivent être fermées.

- Pas de foulard dans les domaines de soins, de santé, de l'éducation, des municipalités ou dans les bâtiments publics ou bien encore dans tout organisme subventionné part l’Etat.

- Interdiction du port du foulard au Parlement, le « cœur de notre démocratie ».

- Toute personne ayant la double nationalité n’aura pas le droit de vote.

- Interdiction du Coran, de la burqa ou toutes sortes de foulards.

 

Tweeter la haine: l'islamophobie et l'europhobie

 

Wilders est devenu le tweeteur le plus célèbre du Parlement. Ses tweets sont surprenants et sont devenus pour ainsi dire un sujet de conversation quotidien.

Le 13 avril 2014, Wilders a écrit une lettre ouverte au Premier ministre à propos de ceux qu’il appelle les "voyous marocains". Une lettre, dans laquelle il attribue de l'assassinat du cinéaste Van Gogh à la communauté marocaine : « Dans un pays décent, Pim Fortuyn et Theo van Gogh auraient pu vivre comme des hommes libres. Le Premier ministre est déconnecté du peuple ». Wilders fait come si Pim Fortuyn a, lui aussi, été tué par quelqu’un issu de l’immigration marocaine.

Il demande au Premier ministre de fermer les frontières pour l’"immigration de masse et l'islamisation de masse".

Le PVV met sous pression le gouvernement et les forces de police qui, selon lui, nient le « problème des Marocains »). Selon lui, 65% des jeunes Marocains entre 12 et 23 ans ont été accusés d'infractions pénales, mais c’est là une interprétation exagérée des statistiques disponibles.

Le PVV a posé des questions écrites au Parlement néerlandais concernant ce qu’il appelle les « municipalités à grande concentration marocaine », et tente de procéder ainsi à la racialisation territoriale des villes ayant de grandes concentrations de groupes ethniques.

Les tweets anti-Marocains ressurgissent d’une façon "virale". Par ailleurs, on peut voir sur YouTube une foule scandant après Wilders « moins, moins de Marocains » lors d’un meeting à La Haye juste avant les élections du Parlement européen.

Avant la diffusion de la vidéo, le 19 mars 2014, en moyenne 22 tweets négatifs sur les Marocains étaient postés chaque jour. Puis, après le 19 mars, le nombre de tweets négatifs enregistrés s’est élevé à 978 par jour. Le 19 mai 2014, plus de 60.000 tweets négatifs avaient été postés.

 

Le grand boomerang : « moins de Marocains »

 

« Voulez-vous plus ou moins de Marocains dans cette ville, dans ce pays ? », demandait Geert Wilders à ses supporters lors d’un meeting à La Haye. A haute voix, ces derniers répondaient aussitôt : « Moins, moins, moins ! » Et Geert Wilders de leur promettre : « On va régler ça » (Le Monde 20/3/2014).

Quand les médias estiment que l'incitation à la haine « moins Marocains » peut se transformer en potentielle élimination physique, on ne joue plus avec le feu. Quand les mots commencent à avoir des connotations fascistes, une sorte de morsure autoritaire, par exemple « Je vais y arriver », cet objectif d'avoir moins de Marocains si le parti de Wilders remporte les élections est problématique pour tout régime démocratique.

C’est embarrassant pour les médias de travailler sur un déjà-vu de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle les membres de la communauté juive ont été déportés vers les camps de concentration. Si la haine peut être tolérée, mais il ne faut cependant jamais suggérer l' « extermination » sous risque d’avoir une complicité tacite.

Sinon, quel est le sens de la phrase de Wilders « je vais résoudre l'appel à une baisse du nombre de Marocains? »

À leur crédit, même certains politiciens du PVV se sont distancés des déclarations de Wilders sur ce « moins de Marocains ». Certains euro-parlementaires du PVV n’ont pas pu accepter les paroles discriminatoires de Wilders. Ces mots ont des résonances fascistes. Comment Wilders compte-t-il atteindre son objectif ? En expulsant les Marocains, en les mettant en prison ou quel autre moyen a-t-il à l'esprit ?

L'impact des propos de Wilders sur la jeunesse marocaine et les enfants musulmans est énorme. De nombreux jeunes enfants ont eu peur d’être expulsés ou même d'être tués, rapporte sur sa page Facebook Fatima Elatik, ancienne maire-adjointe dans la circonscription Oost (Est) d’Amsterdam.

Les réactions des médias néerlandais aux mêmes propos, y compris le Telegraaf, un quotidien à grand tirage, ont été plus violentes que durant l'année qui a suivi l'assassinat de Van Gogh. Les déclarations de Geert Wilders ont été amplement couvertes par les médias néerlandais. Il semble que ces derniers ont tiré des leçons de leur attitude non-critique d’antan, après la période Fortuyn et l'assassinat de Theo van Gogh.

Les médias néerlandais ont été moins complaisants. Les propos de Wilders sur une réduction du nombre de Marocains aux Pays-Bas ont déclenché plus de critiques que jamais. Mais ce n'est pas le ton de la critique à propos de Wilders qui compte, mais ses apparitions quasi-quotidiennes et leur couverture dans les médias. Les médias sont suspendus à ses lèvres. Wilders parvient à définir le ton dans les médias et le débat politique. Wilders continue de faire des vagues et les grands titres dans les médias. On dirait presque que les médias admirent secrètement un homme qui les aide à générer un plus grand nombre de lecteurs et de revenus.

Le discours de Wilders transforme les prédispositions d’une éventuelle discrimination sur la base de la visibilité des musulmans et des Marocains en dispositions permanentes dans la sphère publique. Ces dispositions durables ne fonctionnent pas comme des étiquettes raciales, mais comme des mécanismes d'exclusion et de honte.

Etre musulman ou marocain est quelque chose de honteux. Être marocain au temps de Wilders, aux Pays-Bas, veut dire appartenir au rang le plus bas de la société. Le discours de Wilders donne une légitimité à la ségrégation dans une société fondée sur la religion et le pays d'origine. Ainsi, le Schilderswijk, quartier à majorité marocaine à La Haye, devient rapidement étiqueté comme le centre du califat islamique, quelque chose de mythique et imaginaire qui puise sa saillance dans les nouvelles du Moyen-Orient, surtout après la désintégration de l'Irak et le début de la guerre civile qui ravage la Syrie.

Chaque quartier à majorité musulmane est un territoire potentiel pour les djihadistes, selon le PVV. Aussi le Schilderswijk est-il devenu, selon la terminologie du PVV, le nouveau Gaza de la capitale politique des Pays-Bas.


 

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