Hanan Morsy

Secrétaire exécutive adjointe et économiste en chef de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique.

Réformer l'architecture mondiale de la dette

Le 6 juillet 2023 à 14h42

Modifié 6 juillet 2023 à 14h42

Un être humain sur cinq à travers le monde vit dans un pays en situation de surendettement, ou risquant de le devenir. Deux tiers des pays à revenu faible – pour la plupart africains – s’inscrivent dans cette catégorie, et huit des neufs États actuellement surendettés se situent en Afrique.

ADDIS-ABEBA - Cette crise croissante est le résultat d’une confluence de facteurs. Abritant des populations en pleine expansion, présentant des besoins considérables en matière d’infrastructures, et sachant la disponibilité déclinante de l’aide officielle au développement ainsi que des financements préférentiels, les gouvernements africains ont tiré parti de taux d’intérêt historiquement faibles au cours des années 2010, et emprunté massivement sur les marchés de capitaux internationaux et auprès de la Chine. C’est ainsi que les stocks de dette de l’Afrique ont plus que doublé entre 2010 et 2020.

Seulement voilà, cette dette est devenue de plus en plus coûteuse. Depuis 2020, le continent a été frappé par une série de chocs exogènes. Covid-19, guerre en Ukraine, et détérioration des conditions climatiques ont conduit de nombreux gouvernements africains à une dégradation de leur notation de crédit, ce qui a rapidement fait augmenter leurs coûts d’emprunt, et rendu hors de prix le recours aux marchés internationaux de la dette. Par ailleurs les hausses de taux d’intérêt massives appliquées par la Réserve fédérale américaine depuis mars 2022 ont infligé une double difficulté aux pays africains, dont les prêts sont pour la plupart libellés en dollar : leurs coûts de service de la dette a augmenté, et le taux de change de leur monnaie par rapport au dollar a diminué. En 2024, les États africains dépenseront environ 74 milliards $ dans le service de la dette, contre 17 milliards $ en 2010. Deux États -le Ghana et la Zambie- sont d’ores et déjà en défaut de paiement, tandis que le Tchad et l’Éthiopie négocient actuellement la restructuration de leur dette.

Les implications de cette crise sont claires : les États africains sont confrontés au spectre d’une décennie de développement perdue. Le Kenya a été contraint de retenir les salaires de ses fonctionnaires pour honorer les paiements de coupons. D’autres pays ont réduit les financements destinés à l’éducation ainsi qu’à la santé. Le service de la dette représente aujourd’hui en moyenne 10,6% du PIB en Afrique, contre 6% pour les dépenses dans la santé. À la suite d’un défait de paiement, l’augmentation des coûts d’emprunt inhibe la capacité d’un État à investir dans des infrastructures hautement nécessaires, sans parler de la transition énergétique.

Les efforts de résolution de cette situation sont rendus encore plus difficiles par la complexité croissante du paysage des créanciers. L’Initiative du G20 pour la suspension du service de la dette (ISSD), qui a mis en pause entre mai 2020 et décembre 2021 les remboursements de dette pour certains pays éligibles, a conféré une bouffée d’oxygène temporaire. Le Cadre commun du G20 pour les traitements de la dette, processus qui permet aux pays à revenu faible de solliciter une restructuration de leur dette, a par ailleurs été mis en place en novembre 2020 pour compléter l’ISSD. Alors que le Tchad, la Zambie et l’Éthiopie ont formulé une demande d’allègement début 2021 en vertu du Cadre commun, la dette de l’Éthiopie n’est toujours pas restructurée. Le Tchad a conclu un accord de principe fin 2022, et la Zambie n’est parvenue à un accord de restructuration de sa dette que le mois dernier. Au vu de ces lenteurs, force est de constater que le Cadre commun ne se révèle pas à la hauteur des attentes. Pour reprendre les termes d’un décideur politique, ce mécanisme "n’a de cadré et de commun que le nom".

En réponse aux défaillances du Cadre commun, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la présidence du G20 (actuellement exercée par l’Inde) ont mis en place une Table ronde mondiale sur la dette souveraine. Le FMI et la Banque mondiale ont convenu de communiquer des projections macroéconomiques et des analyses de durabilité de la dette aux créanciers, lesquels ont en retour accepté de trouver une solution au problème de la répartition de la charge liée à la réduction de la dette. La Chine, qui refusait auparavant de participer à la restructuration de la dette à moins que les banques multilatérales de développement (BMD) ne partagent la charge avec les autres créanciers, a accepté que les BMD augmentent les prêts préférentiels plutôt que de procéder à une décote. La Table ronde semble porter ses fruits : les avancées autour de la restructuration de la dette du Ghana ont permis de débloquer un prêt de 3 milliards $ de la part du FMI, et ont posé les bases d’une potentielle restructuration d’un tiers de la dette du pays.

Trois actions

Il ne s’agit pour autant en aucun cas d’une solution systémique. En phase avec la "relance des ODD" souhaitée par le secrétaire générale de l’ONU António Guterres, une action forte doit être menée dans trois domaines avant le prochain sommet du G20.

Premièrement, le Cadre commun du G20 doit être rectifié. Les pays à revenu intermédiaire, eux aussi en difficulté face à une dette insoutenable, doivent être éligibles à ce mécanisme. Les demandeurs doivent pouvoir obtenir un calendrier transparent, et leurs paiements du service de la dette être suspendus immédiatement afin de conférer de l’espace budgétaire. Idéalement, le FMI fournirait aux pays débiteurs une ligne de financement pour les dépenses essentielles durant les négociations de restructuration. Une comparabilité claire des formules de traitement minimiserait par ailleurs les futures mésententes techniques.

Deuxièmement, le cadre juridique de la dette publique doit être renforcé. Plus précisément, l’inclusion de clauses d’action collective optimisées dans tous les futurs contrats de dette souveraine permettrait de remédier aux difficultés de coordination soulevées par les restructurations. L’État de New York, dont le droit régit plus de la moitié des contrats de dette souveraine avec les créanciers privés, et idéalement positionné pour mener ce processus, qui permettrait d’empêcher les fonds vautours de prendre pour proies les débiteurs surendettés. Face aux défis des crises en cascade, des instruments de dette variant selon l’État, mettant en correspondance les paiements de service de la dette avec la capacité de remboursement de celui-ci, devraient également être envisagés pour les futurs contrats de dette. Des clauses spécifiques liées au climat devraient en particulier être intégrés à ces contrats, afin de différer le remboursement d’une dette en cas de catastrophes naturelles ou de chocs climatiques majeurs.

Enfin, il est nécessaire qu’autour de la table, les organes internationaux laissent de la place aux États africains et aux économies en voie de développement. Si l’Union africaine disposait d’un siège permanent au G20, par exemple, le continent pourrait pleinement participer aux discussions sur les initiatives du groupe, telles que le Cadre commun.

Sans mécanismes améliorés pour les pays surendettés, de plus en plus de gouvernements peineront à honorer le service de leurs obligations, et cesseront d’investir dans l’avenir, avec des conséquences potentiellement majeures pour la lutte contre le changement climatique. Gérer dès aujourd'hui le poids d’une dette insoutenable se révélera beaucoup moins coûteux qu’affronter plus tard une situation environnementale invivable.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2023

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