Naomi Wolf

Activiste politique et critique sociale

Récolte des tomates aux Etats-Unis : de l’esclavage moderne

Le 1 novembre 2013 à 11h30

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

Aux Etats-Unis, mais pas seulement, des salariés souffrent de conditions de travail inacceptables, proches de l’esclavage. Si le kilo de tomates est souvent très bon marché, c’est aussi en raison des salaires très bas de la main-d’œuvre agricole.  

NEW YORK – Votre dernier hamburger acheté au fastfood ne vous a sûrement presque rien coûté. Mais que coûte la tranche de tomate sur ce hamburger à l'employé qui l'a faite venir jusqu'ici ? Presque partout dans le monde - y compris aux Etats-Unis - ce coût peut être extrêmement élevé.

 

Les salaires déplorables ne sont qu'un début. En Floride les cueilleurs de tomates gagnent en moyenne seulement 0,50 dollar pour chaque seau de 32 livres (14,5 kg). Un employé qui cueille toute la journée (un travail éreintant qui commence avant l'aube) a la chance de gagner 10.500 dollars par an, ce qui le place en-deçà du seuil de pauvreté.

Viennent ensuite les inquiétantes violations des droits de l'homme. Au Mexique, les autorités ont dernièrement libéré près de 300 personnes, dont 39 adolescents «détenus dans des conditions d'esclavage dans un camp où les tomates sont triées et emballées pour l'exportation.» Les autorités fédérales américaines ont appelé les champs de tomates de Floride «l'épicentre de l'esclavage moderne.» Les abus constatés sur les employés agricoles par les intérêts agroalimentaires sont sévères et systématiques.

Combats contre les violations des droits de l'homme

Entre alors en scène la Campaign for Fair Food - un combat pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, pour lequel les cueilleurs de tomates de Floride et leurs associés ont combattu et ont largement gagné. Leur combat non seulement met en évidence les obstacles auxquels sont confrontées les organisations d'employés à l'ère de l'externalisation et des chaînes mondiales d'approvisionnement, mais il pourrait aussi servir de modèle aux employés d'autres industries.

Pendant de nombreuses années, l'industrie de la tomate de Floride reposait sur des employés Blancs et afro-américains pauvres. Elle repose aujourd'hui principalement sur des employés agricoles à bas salaires en provenance d'Haïti, du Mexique, du Guatemala et d'autres pays d'Amérique centrale : un changement qui doit beaucoup à deux décennies de libéralisation des échanges. Des mesures comme l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) ont permis à des multinationales de vendre des produits bon marché au Mexique et dans d'autres pays, en sous-payant les agriculteurs locaux et en poussant des millions de personnes à quitter leur terre. A la recherche d'un emploi, beaucoup ont émigré aux États-Unis où, comme employés privés de leur autonomie, ils sont allés travailler pour les (quasiment) les mêmes multinationales.

Mais la mondialisation affecte maintenant les tactiques que les employés agricoles ont choisies. Comme le fait remarquer Jake Ratner, un jeune militant qui travaille pour Just Harvest USA, les multinationales sont souvent isolées des tactiques traditionnelles comme les boycotts. Donc les ouvriers agricoles et leurs alliés ont choisi une nouvelle approche de «brand-busting» qui cible l'image de marque des entreprises et qui a attiré l'attention des décisionnaires au sommet de la hiérarchie mondiale de l'alimentaire.

L'ordre du jour de Campaign for Fair Food consiste à convaincre chaque acheteur de tomates important à signer le Fair Food Program, ce qui - contre une petite prime (un cent par livre) - change radicalement la vie des employés et celle de leur famille. Dans le cadre du FFP, les employés qui étaient payés 0,50 cents par seau de 32 livres (un tarif qui n'a pas augmenté depuis plus de 30 ans) ont obtenu 0,82 dollar, soit une augmentation de 64%. Une organisation tierce, le Fair Food Standards Council surveille la conformité des salaires et le respect des droits de l'homme pour le secteur.

Avant le lancement du FFP en novembre 2010, le puissant secteur de la tomate de Floride avait longtemps résisté à l'augmentation du tarif par seau et avait refusé de signer les codes de conduite pour protéger les travailleurs contre les abus. Cela a changé quand les militants ont commencé à cibler les multinationales en haut de la pyramide et non plus les producteurs (qui sont maintenant simplement des intermédiaires contraints par des multinationales). Ainsi, onze des plus grandes entreprises alimentaires mondiales qui achètent leurs tomates auprès des producteurs de Floride (dont McDonald, Taco Bell et Burger King et des chaînes de supermarchés comme Whole Foods et de Trader Joe) ont adopté le FFP.

300 plaintes ont été reçues depuis 2011

Le FFP n'a pas seulement augmenté les salaires des employés. Une hotline de plainte confidentielle permet aux employés de signaler les violations des droits de l'homme. Plus de 300 plaintes ont été reçues depuis 2011 (toutes ont fait l'objet d'une enquête et une grande majorité a été résolue). Et les entreprises qui adhèrent au FFP s'engagent également à une tolérance zéro sur le travail forcé, ce qui crée une incitation commerciale sur leurs producteurs, les poussant à contrôler activement leurs propres  mesures. Dans le passé, les forces du marché ont créé une incitation à regarder ailleurs.

De même, avant le FFP, les cueilleurs de tomates de Floride devaient se réveiller à trois ou quatre heures du matin pour monter dans les autobus et être sur les domaines à la minute où les commandes arrivaient. Mais ils n'étaient souvent pas autorisés à commencer la cueillette jusqu'à 2 à 3 heures plus tard, quand la rosée sur les plantes a séché : un temps pour lequel ils n'étaient pas payés. A présent, grâce à l'introduction de pointeuses autorisées par le FFP, les employés peuvent pointer et enregistrer leurs heures et s'assurer qu'ils recevront au moins le salaire minimum de l'État. De ce fait, les producteurs ne veulent plus commencer si tôt, ce qui donne leur plus de temps pour dormir et prendre le petit-déjeuner en famille.

Sans ces programmes, la pression des multinationales continue. En s'appuyant sur leur pouvoir d'achat massif, les grandes multinationales agroalimentaires font baisser les prix, non seulement en appauvrissant les ouvriers agricoles, mais en érodant les bénéfices des producteurs qui embauchent. Entre temps, la désagrégation et la «désintermédiation» des multinationales leur permet de créer des obstacles formels qui empêchent la direction de voir et encore moins d'être influencée par leurs propres employés (et producteurs).

J'ai vécu ceci en personne quand j'ai rejoint une manifestation de protestation organisée par la Coalition des Employés d'Immokalee contre le fast-food de Wendy sur Union Square à New York City. (Bien que quatre des cinq plus grandes sociétés de fast-food américaines aient adhéré au FFP, Wendy reste l'exception). En citant la politique de la société, les directeurs de Wendy ont même refusé d'accepter une lettre de la part des protestataires pour adhérer au FFP et leur ont donné le numéro de téléphone du porte-parole de la société Wendy. Les militants disent qu'en composant ce numéro, on déclenche une écoute de lettre-type et que personne ne leur parle jamais directement.

Néanmoins les militants du FFP pourront peut-être finir par obtenir l'adhésion de Wendy : cette tranche de tomate aura peut-être un meilleur goût pour les clients doués d'une conscience. Mais plus important encore, bâtir une coalition d'employés, de consommateurs et de militants associés pour appliquer une pression au sommet, pourrait être un modèle pour un changement positif pour les employés des industries mondialisées en Inde, au Bangladesh, en Chine et ailleurs.

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