Pourquoi il faut se réjouir de la censure de “Sciences & Avenir” au Maroc

Le 14 janvier 2016 à 6h33

Modifié 11 avril 2021 à 2h37

TRIBUNE. El Mahdi El Mhamdi, polytechnicien et travaillant dans le secteur de l’E-learning, réagit à l’interdiction du dernier numéro de “Sciences & Avenir“ au Maroc.

J’ai du lire mon premier “Sciences et Avenir“ vers la fin de l’année 1998, je finissais à peine l’école primaire. C’était un numéro de novembre 1997.

À Khouribga, on ne recevait ce type de magazine qu’après une chaîne logistique assez chaotique, probablement selon le schéma suivant: le lecteur petit-bourgeois à Casablanca l’achète au kiosque chic de la capitale économique, quelques mois après il se retrouve chez les revendeurs de livres anciens du secteur nord-est du marché de Derb-Ghellef, puis le vaillant propriétaire de la librairie de livres d’occasion le ramène pour la revente à Khouribga. Un numéro de novembre 1997, tout frais à l’achat en décembre 1998 donc.

Mes parents avaient la bonne habitude -après m’avoir fait subir les négociations du prix du kilo de petits pois et l’art de la datation du poisson sans carbone 14 au marché- de m’emmener de temps à autre dépenser le restant du budget des courses à la librairie de livres d’occasion: on y trouvait ce qu’on voulait à des prix très accessibles, des plus anciens traités philosophiques de la civilisation musulmane aux ouvrages du XXème siècle de Sayed Qutb, en passant par le tout dernier numéro de “Sciences et Avenir“, tout juste sorti il y a un an, le frais du frais.

La couverture de ce numéro, c’était “La Grande Histoire de la Terre”, avec l’astrophysicien et excellent pédagogue canadien Hubert Reeves comme narrateur principal. (couverture en bas de l’article).

Le dossier portait sur l’essentiel de ce que la science savait sur l’Histoire de la Terre, tout simplement.

De la naissance de l’Univers il y a une douzaine de milliards d’années, du système solaire il y a environ cinq milliards d’années, puis la naissance de la Terre tout juste après, il partait ensuite sur les différentes phases d’évolution de cette dernière comme la collision qui a probablement donné naissance à la lune et stabilisé à jamais l’axe de rotation terrestre, permettant, ainsi que d’autres facteurs comme le champs magnétique terrestre et la présence d’eau, d’offrir à la Terre tous les ingrédients pour une vie durable.

Le professeur Reeves évoquait brièvement la comparaison Terre-Mars et mentionnait les similarités et les différences, puis il expliquait la chronologie détaillée de l’émergence de la vie sur Terre…

À une époque où il n’y avait ni wikipédia ni google-books, et où le prix de l’accès internet pouvait déstabiliser complètement le budget d’un ménage de salariés, je trouvais dans ce numéro une approche globale du savoir qui manquait aux cours de physique, de biologie et de géologie.

Le storytelling de Hubert Reeves donne une expérience au gamin de lecteur qu’il ne peut trouver dans les encyclopédies, qui se lisaient froidement et par petits morceaux, ennuyeuses comme des cours. J’ai du lire ce dossier une demi-douzaine de fois, à plusieurs étapes de ma scolarité secondaire, jusqu’au baccalauréat.

J’épargne aux lecteurs les anecdotes typiquement rencontrées par un lecteur de “Sciences et Avenir“, comme la fois où j’ai vainement essayé d’expliquer à des amis d’adolescence, entre deux discussions portant sur l’oeuvre d’Ibn Taymya, qu’il est désormais possible pour une souris de laboratoire de “tomber enceinte” et “d’accoucher” d’une dent.

Au delà du côté agréable à lire, les magazines de ce type permettaient de s’affranchir du contenu scolaire ou documentaire où certaines théories, comme celle de l’évolution des espèces, étaient le tabou ultime de la connaissance moderne.

Quand, au lycée, je tombe sur le premier professeur de sciences de la vie et de la terre qui nous parle très explicitement et sans autocensure d’évolution des espèces, de terra-formation théoriquement possible de planètes comme Mars (ce pour quoi Elon Musk va faire le buzz mondial plus d’une décennie plus tard en rendant le sujet accessible au grand public), je me sentais enfin moins seul. Ce prof avait la pire réputation au Lycée Ibn Yassine, il sortait trop du cadre du programme et ce n’était pas du goût de tout le monde…

Mercredi, en prenant connaissance de la censure par les services du ministère de la communication marocaine du hors série de “Sciences et Avenir“, ma première réflexion fut de me dire qu’Ibn Rochd (Averroès) doit se retourner dans sa tombe.

Moins de 24 heures après, en voyant le nombre de liens où les Marocains se partagent sous le manteau le fichier PDF du dernier “Sciences et Avenir“, je ne peux que me réjouir de voir s'agrandir le club de lecteurs de ce très respectable magazine de popularisation des sciences.

D’autant plus que dans la foulée, beaucoup découvriront l’avis de l’astrophysicien algérien Nidhal Guessoum, qui a des points de vues salutaires pour le monde musulman sur des sujets comme le concordisme (î’jaz) ou l’évolution (encore elle), ce dont je me réjouis encore plus.

Puisse cette vaine et ridicule censure nous rappeler l’époque où c’était “nous” qui publions et étudions des écrits philosophiques et scientifiques censurés par les autorités religieuses et politiques des autres civilisations, et nous faire demander pourquoi cette époque où nous menions le bal scientifique est révolue.


 

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