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Portée réelle et limites du calendrier musulman basé sur l'observation de la nouvelle lune (2/4)

Le 23 septembre 2013 à 9h44

Modifié 23 septembre 2013 à 9h44

A l'appui de la méthode d'observation visuelle, de nombreux oulémas soulignent que le calendrier basé sur le calcul décompte les jours du nouveau mois à partir de la conjonction, laquelle précède d’un jour ou deux l’observation visuelle de la nouvelle lune.  

S’il était utilisé, le calendrier basé sur le calcul ferait commencer et s’achever le mois de ramadan, et célébrer toutes les fêtes et occasions religieuses, en avance d’un jour ou deux par rapport aux dates qui découlent de l’application du hadith du Prophète, ce qui ne serait pas acceptable du point de vue de la charia.

Cependant, ce dernier argument ne résiste pas à l'analyse. Ainsi, dans une étude publiée en 1999 dans le mensuel français «La Recherche», les astronomes algériens Karim Meziane et Nidhal Guessoum expliquent qu'ils ont procédé à la comparaison des dates religieuses telles qu'elles ont été décrétées par les autorités officielles en Algérie, entre 1963 et 1994, avec les calculs astronomiques pour trois événements : dates du début du mois du jeûne (1er ramadan), de la fête de la rupture du jeûne (1er chawal) et de la fête du Sacrifice (10 dul-hijja). Les données historiques ont été rassemblées à partir des archives de la presse algérienne et confrontées aux éphémérides astronomiques relatives à la ville d'Alger.

L'observation visuelle de la nouvelle lune est régulièrement entachée d'erreurs

Sur 98 dates analysées par Meziane et Guessoum, il s'est avéré que, dans 14 cas, le mois avait été décrété par les autorités alors que la conjonction n'avait même pas encore eu lieu et/ou que la Lune s'était couchée avant le soleil (l'observation du croissant était alors strictement impossible). Dans environ 50% des cas, une des limites absolument établies a été violée. Dans 75% des cas, les prédictions officielles étaient en contradiction avec les prédictions astronomiques.

De même, d'après une étude de Kordi publiée en 2003, sur 42 rapports d'observations de la nouvelle lune du ramadan, annoncées par le Conseil supérieur de la magistrature d'Arabie Saoudite (Majlis al-Qadaa al-aala) entre 1962 et 2001 (1381 H - 1422 H), plus de la moitié des observations avait été faite trop tôt, sur des bases erronées (telles que la confusion avec une étoile, une planète lumineuse comme Vénus, une traînée d'avion à l'horizon...).

D'autres astronomes arabes ont procédé au cours des dernières années à des études sur le même sujet, qui ont démontré que les mois décrétés dans les pays musulmans sur une période de plusieurs décennies débutaient régulièrement en des jours différents dans différents pays. «Aid al mawlid annabawi» (anniversaire de la naissance du Prophète) ou «Laylat al Qadr» (nuit du destin) sont ainsi célébrés en des jours différents dans différents pays musulmans (parfois avec un écart de deux ou même trois jours).

Cette année encore, ce fut le cas du 1er ramadan 1434, qui fut célébré dans 17 pays et communautés le 9 juillet 2013, dans 82 pays et communautés le 10 juillet 2013, et dans 5 pays et communautés le 11 juillet 2013.

De même, le 1er chawwal ou aid al fitr 1434 fut célébré dans 3 pays et communautés le 7 août 2013, dans 72 pays et communautés le 8 août 2013, et dans 32 pays et communautés le 9 août 2013.

Ces exemples démontrent que les dates du début du ramadan, de l'aid el fitr ou des autres célébrations religieuses obtenues par l'observation visuelle de la nouvelle lune sont régulièrement différentes d'un pays à l'autre. Elles ne peuvent prétendre à aucun mérite particulier par rapport aux dates qui auraient été obtenues par le calcul astronomique. Peut-on, en effet, imaginer que «Laylat al qadr» (la nuit du destin), avec tous les attributs qui lui sont associés, soit étalée sur 4 ou 5 nuits successives, en fonction du calendrier musulman de chaque pays ?

Au contraire de cette situation, le calcul aurait donné la même date pour tout le monde musulman pour chacune de ces célébrations, ce qui est bien l'objectif que tous les membres de la communauté musulmane souhaitent atteindre. Cependant, le consensus des oulémas s'est solidement forgé, pendant 14 siècles, autour du postulat selon lequel il ne faut pas aller à l’encontre d’une prescription du Prophète. Du moment qu'il a recommandé la procédure d’observation visuelle, c'est elle qui s'impose pour connaître le début des mois lunaires, à l'exclusion de toute autre méthode. Les exemples ci-dessus démontrent, cependant, que l'argument de précision des mois basés sur l’observation de la nouvelle lune ne peut pas être retenu.

Les pays musulmans entre la théorie et la pratique de l'observation de la nouvelle lune

Les principaux Etats et communautés musulmanes du monde sont, bien sûr, parfaitement conscients des faiblesses du système basé sur l'observation de la nouvelle lune. Dans le souci d’affirmer leur souveraineté et d'affiner leurs procédures, ils ont donc adopté, chacun pour son propre usage, les méthodes les plus diverses pour déterminer le début des mois lunaires. Certaines de ces méthodes continuent de relever de l'observation visuelle, alors que d'autres s'apparentent à une observation «virtuelle» ou simple «prise de connaissance» de l'apparition de la nouvelle lune.

D'après le site «moonsighting.com», voici, à titre indicatif, certaines des méthodes utilisées aujourd'hui :

En Inde, au Pakistan, au Bangladesh, à Oman, au Maroc, au Nigéria, à Trinidad, etc., l'observation de la nouvelle lune doit être attestée par un cadi (juge) ou une commission officielle spécialisée.

L'Arabie Saoudite se base sur l'observation de la nouvelle lune, à l'œil nu, pour déclarer le début des mois associés à des célébrations religieuses (ramadan, aid al Fitr, dul Hijja, etc.). Des commissions spécialisées sont chargées, en de telles occasions, de scruter le ciel à l'œil nu pour apercevoir la nouvelle lune, avant que le Haut conseil judiciaire d’Arabie Saoudite ne décrète le début du nouveau mois.

Mais, pour connaître le début des autres mois, l'Etat saoudien utilise le calendrier d'Umm al Qura, basé sur le calcul astronomique, qui lui sert de support pour la gestion de toutes les activités administratives, budgétaires, financières, etc. du pays.

En Egypte, le nouveau mois débute après la conjonction, lorsque la nouvelle lune se couche 5 minutes au moins après le coucher du soleil.

En Indonésie, en Malaisie et à Brunei, il débute après la conjonction, lorsque l'âge de la nouvelle lune est supérieur à 8 h, l'altitude < 2° et l'élongation > 3 ° .

En Turquie, il débute après la conjonction, quand la nouvelle lune forme un angle de 8° au moins avec le soleil, à une altitude d'au moins 5 ° .

En Libye, sous l'ancien régime de Kaddhafi, le nouveau mois débutait si la conjonction se produisait avant l'aube (« fajr »), heure locale.

L'étude de cas spécifiques démontre, cependant, l'existence d'un écart important entre les règles que les différents Etats et communautés islamiques affirment appliquer et leurs pratiques.

Portée réelle et limites du calendrier musulman basé sur l'observation mensuelle de la nouvelle lune

Comme il a été noté, ni les individus ni les Etats n'ont plus recours au calendrier basé sur l'observation de la nouvelle lune pour gérer leurs affaires personnelles ou publiques, préférant depuis plus d'un siècle utiliser le calendrier grégorien pour ce faire.

L'Arabie Saoudite utilise, à cet égard, deux calendriers pour gérer ses différentes activités : l'un basé sur l'observation mensuelle de la nouvelle lune pour connaître le début des mois associés à des célébrations religieuses ; l'autre basé sur le calcul pour gérer ses affaires administratives, budgétaires, financières, etc.

Avant elle, déjà au XIXe siècle., l'Empire Ottoman, bien qu'utilisant officiellement le calendrier lunaire, avait également recours au calendrier solaire Julien (le prédécesseur du calendrier grégorien) pour gérer la comptabilité de l'administration et la paie des fonctionnaires et des soldats.

Comme il ressort clairement des exemples donnés ci-dessus, aussi bien les individus musulmans que les Etats sont unanimes à considérer que le calendrier musulman basé sur l'observation de la nouvelle lune n'est guère capable de répondre aux besoins des sociétés musulmanes des temps modernes, en remplissant les fonctions usuelles qu'on attend d'un calendrier. Cette incapacité provient, comme il a été indiqué, du fait qu'il a été déconnecté de ses fondements conceptuels et méthodologiques astronomiques, ce qui rend caduques ses fonctions calendaires.

La question doit donc être posée : «Quand le Prophète a indiqué à ses compagnons d'observer la nouvelle lune pour connaître le début des mois de ramadan et de chawwal, a-t-il simplement donné une réponse appropriée à la question qui lui était posée ? Ou bien a-t-il eu l'intention de poser les bases méthodologiques immuables d'un calendrier musulman?»

Dans les deux hadiths les plus fréquemment cités à ce sujet, il semble que le Prophète ait simplement répondu à la question qui lui était posée. Il a d'abord noté que les Arabes de son époque étaient «illettrés», ne sachant «ni écrire, ni compter». Sur la base de ce constat, il leur a indiqué une procédure à utiliser pour connaître le début des mois de ramadan et de chawwal. De fait, le Prophète ne fit que les confirmer dans la pratique courante de leur époque, consistant à «observer la nouvelle lune pour connaître le début du mois».

Bien plus, on peut logiquement déduire de l'observation du Prophète que si les Arabes n'avaient pas été «illettrés», ne sachant «ni écrire, ni compter», une autre procédure aurait été possible. Laquelle ?

Les fondements théologiques du calendrier basé sur le calcul

Compte tenu de tout ce qui précède, de nombreux maîtres à penser musulmans estiment qu'il est temps, en ce début du 21e siècle, de procéder à un réexamen et à une réadaptation du calendrier musulman, en le basant sur le calcul astronomique pour lui permettre de remplir les fonctions qu'on attend d'un calendrier.

A leur avis, il n'y a aucune justification à l'utilisation du calendrier grégorien par les musulmans, qui relèguent leur calendrier à un rôle de figuration, alors qu'il peut parfaitement remplir les fonctions qu'on attend d'un calendrier, quand il est basé sur le calcul. Ils soulignent, à cet égard, que le Coran n'interdit pas l'utilisation du calcul astronomique, sous quelque forme que ce soit, dans quelque contexte que ce soit. En matière de calendrier, il indique simplement que le nombre des mois dans l'année s'élève à 12 (chacun d'eux pouvant avoir, comme l'a noté le Prophète, 29 ou 30 j).

Ils pensent qu'il est approprié de revoir, aujourd'hui, l'interprétation donnée par la majorité des oulémas au hadith du Prophète sur cette question. A leur avis, le Prophète a simplement recommandé aux fidèles une procédure pour déterminer le début d’un nouveau mois. Il ne s'agissait que d'un simple moyen, et non pas d'une fin en soi, d'un acte d’adoration (îibada). Le hadith relatif à l’observation n’établissait donc pas une règle immuable, pas plus qu’il n’interdisait l’utilisation du calendrier astronomique.

Il est donc parfaitement licite, de leur point de vue, d'élaborer un calendrier lunaire basé sur le calcul, à l'usage du monde musulman. Ils rappellent que ce fut la position de quelques juristes isolés, dans les premiers siècles de l'islam, même si, sur le plan institutionnel, seule la dynastie (chi'ite) des Fatimides, en Égypte, a utilisé un calendrier basé sur le calcul, entre les Xè s. et XIIe siècle, avant que cette méthode ne retombe dans l’oubli à la suite d’un changement de régime.

Le cadi égyptien Ahmad Muhammad Shakir est probablement le 'alem le plus connu qui a défendu cette thèse. Il s'agit d'un juriste éminent de la première moitié du XXe siècle, qui occupa en fin de carrière les fonctions de président de la Cour suprême de la charia d’Égypte (tout comme son père avait occupé la même fonction au Soudan). Il reste, de nos jours encore, un auteur de référence en matière de sciences du hadith.

Il a publié, en 1939, une étude importante et originale axée sur le côté juridique de la problématique du calendrier islamique, sous le titre : «Le début des mois arabes … la charia permet-elle de le déterminer en utilisant le calcul astronomique ?». D'après lui, les arguments théologiques couramment présentés à l'appui du rejet du calcul ne se justifient plus, dans les temps modernes, même s'ils se sont justifiés dans le passé.

Shakir observe que le Prophète a tenu compte du fait que la communauté musulmane de son époque était «illettrée, ne sachant ni écrire ni compter», avant d’enjoindre à ses membres de se baser sur l’observation de la nouvelle lune pour accomplir leurs obligations religieuses du jeûne et du hajj.

Mais, la communauté musulmane a évolué de manière considérable au cours des siècles suivants. Certains de ses membres sont même devenus des experts et des innovateurs en matière d’astronomie. Les savants musulmans ont fait, pendant des siècles, la réputation scientifique et culturelle des Etats auxquels ils appartenaient. En vertu du principe de droit musulman selon lequel «une règle ne s’applique plus, si le facteur qui la justifie a cessé d’exister», la recommandation du Prophète ne s’applique plus aux musulmans, une fois qu’ils ont appris «à écrire et à compter» et ont cessé d’être «illettrés».

Pour Shakir, les oulémas d’aujourd’hui commettent donc une erreur d’interprétation lorsqu’ils donnent au hadith du Prophète sur cette question la même interprétation qu’au temps de la Révélation, comme si ce hadith énonçait des prescriptions immuables, alors que ses dispositions ne sont plus applicables à la communauté musulmane depuis des siècles, en vertu des règles mêmes de la charia.

Shakir rappelle le principe de droit musulman selon lequel «ce qui est relatif ne peut réfuter l’absolu, et ne saurait lui être préféré, selon le consensus des savants». Or, la vision de la nouvelle lune par des témoins oculaires est relative, pouvant être entachée d’erreurs, alors que la connaissance du début du mois lunaire basée sur le calcul astronomique est absolue, relevant du domaine du certain.

Il rappelle également que de nombreux juristes musulmans de grande renommée ont pris en compte les données du calcul astronomique dans leurs décisions, citant à titre d’exemples Cheikh Al-Mraghi, président de la Cour suprême de la charia d’Égypte ; Taqiddine Assoubki et Takiddine bin Daqiq al-Eid.

Shakir souligne, en conclusion, que rien ne s’oppose, au niveau de la charia, à l’utilisation du calcul pour déterminer le début des mois lunaires et ce, en toutes circonstances, et non à titre d’exception seulement, comme l’avaient recommandé certains oulémas.

Il observe, par ailleurs, qu’il ne peut exister qu’un seul mois lunaire pour tous les pays de la Terre, basé sur le calcul, ce qui exclut la possibilité que le début des mois diffère d’un pays à l’autre. L’utilisation du calendrier basé sur le calcul rendra possible la célébration le même jour, dans toutes les communautés musulmanes de la planète, d’événements à caractère hautement symbolique sur le plan religieux, tels que le 1er muharram, le 1er ramadan, l’aïd al fitr, l’aïd al adha ou le jour de Arafat, lors du hajj. Cela renforcera considérablement le sentiment d’unité de la communauté musulmane à travers le monde.

Cette analyse juridique du cadi Shakir n’a jamais été réfutée par les experts en droit musulman, trois-quarts de siècle après sa publication. Le professeur Yusuf al-Qaradawi s’est récemment rallié formellement à la thèse du cadi Shakir. Dans une importante étude publiée en 2004, intitulée : «Calcul astronomique et détermination du début des mois», al-Qaradawi prône pour la première fois, vigoureusement et ouvertement, l’utilisation du calcul pour l’établissement du calendrier islamique, une question sur laquelle il avait maintenu une réserve prudente jusque-là. Il cite à cet effet avec approbation de larges extraits de l’étude de Shakir.

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