Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Pluies bienfaitrices et beau temps malfaisant

Le 5 avril 2024 à 10h47

Modifié 5 avril 2024 à 11h02

On peut parler de la pluie et du beau temps sans pour autant dire des banalités. Chronique du temps qui passe et du temps qu’il fait lorsque la météo se fait complice de la poésie et de la fiction.

Là où il y a un vide ou une incompréhension, l’art et la création viennent le combler par un symbole, une métaphore ou toute autre figure de style pour une meilleure lecture de la vie des hommes. "Il pleure dans mon cœur/ Comme il pleut sur la ville", écrit Verlaine pour dire son chagrin et faire accroire au lecteur que ses pleurs et ses larmes sont autant de gouttes de pluie. Autre métaphore, tout aussi tourmentée d’un autre auteur : "D’un vif éclat brille ce soleil, mais il chauffe peu…" Ici, la pluie ou le soleil, temps météorologiques, donnent un sens secondaire à l’expérience personnelle et au temps du poète.

Indications météorologiques, la pluie et le beau temps sont souvent venues à la rescousse de quelques poètes et romanciers en mal d’inspiration, au point où, nombre de romans débutent par cet incipit devenu lieu commun : "Par une belle journée ensoleillée ; une douce matinée réchauffée par un soleil printanier". Ou au contraire, changeant d’humeur et de météo : "Ce fut par une journée pluvieuse sous un ciel bas et lourd…" A ce propos, dans une de ses célèbres chroniques, le pape de ce genre journalistique, Alexandre Vialatte, écrit  : "Je sais que les trois quarts des romans commencent en disant, au hasard : 'Par une belle matinée de printemps', ou : 'Par une belle journée d’automne ; mais justement ce sont des romans. Ils enjolivent. Il n’y a pas de belle journée de printemps, il n’y a pas de belle journée d’automne. Il y a des jours où il pleut constamment. Et d’autres où il pleut davantage. C’est tout."

Cette chronique, intitulée "Chronique des géants d’autrefois" et datant de l’année 1966, parle justement du temps qu’il faisait, chez lui, autrefois. De nos jours, ailleurs comme ici, et ici plus qu’ailleurs, il ne pleut pas tout le temps mais quand il pleut, c’est hors saison. La preuve par le mois de mars. Ce mois a été le plus arrosé depuis des années et certaines régions ont connu des records avec des indicateurs pluviométriques qui ont réjoui la population. En effet, ici, l’expression éculée : "parler de la pluie et du beau temps" qui signifie n’avoir rien à dire, n’est pas de mise. D’ailleurs cette locution de l’hémisphère nord n’existe pas dans nos contrées. Pas plus celle qui veut qu’un temps est mauvais ou médiocre lorsqu’il pleut, voire "un temps de chien" quand il pleut des cordes. Non, ici et c’est heureux, la pluie est bienfaitrice et elle se met au pluriel pour faire beaucoup avec force épithètes triomphants pour conjurer le sort : "Amtar al khaïr wa Annamae" (Pluies de l’abondance et de la prospérité).

Parler donc de la pluie et du beau temps n’est pas une conversation futile. C’est une discussion sérieuse et essentielle, avec des connotations sociales, économiques et bien sûr religieuses nourries de louanges et de prières lancées vers un ciel clément et miséricordieux. Pour le paysan comme pour le citadin, elle est la bienvenue quand elle veut et aussi fréquemment qu’elle le souhaite.

Par ailleurs et pour revenir à notre introduction, c’est aussi le mois de mars de cette année qu’on a choisi pour organiser deux grandes manifestations culturelles sur la relation entre la météo, la littérature et la linguistique. La première en Roumanie, lors d’un colloque sous le thème "Après la pluie, des éclaircies… Les météores en langue et littérature". Le but de ce colloque est "d’engager la réflexion sur la météorologie, un sujet de vif intérêt pour le monde littéraire, culturel et linguistique avant même de se constituer en discipline scientifique." Plusieurs axes ont été examinés ainsi que nombre de regards et thématiques de la linguistique et de l’analyse du discours météorologique. Loin des lieux communs et autres locutions galvaudés sur la pluie et le beau temps, les participants ont pu évoquer l’usage du langage météorologique et du discours sur le temps dans les œuvres prestigieuses du patrimoine littéraire universelle.

Toujours dans le cadre de la littérature et son rapport avec la météo, un autre colloque a été organisé, quasiment à la même date, par une université à Amiens en France sous le thème "Le temps et le moment. Poétique temporelle de la météo en littérature." Les axes, assez pointus, ont trait à la perception du temps et "la représentation fictionnelle du cours des choses humaines." Dans un communiqué sur l’argumentaire présentant la thématique de ce colloque, les organisateurs ambitionnent d’interroger le rôle dévolu à la fiction dans la modélisation de la représentation littéraire de la météo et les attitudes de l’Homme face à celle-ci.

La météorologie, selon la définition de Wikipédia est "une science qui a pour objet l’étude des phénomènes atmosphériques tels que les nuages, les précipitations ou le vent dans le but de comprendre comment ils se forment et évoluent en fonction des paramètres mesurés tels que la pression, la température et l’humidité." Prédictive à court terme, (jours ou semaines) lorsque cette science s’adjoint l’imaginaire de la fiction et ses fulgurances métaphoriques, elle est en mesure de fournir tout un dispositif d’intrigues et une ferveur symbolique qui dit l’histoire de l’Homme toujours la même et sans cesse en mouvement. C’est dire que l’on peut parler de la pluie et du beau temps non pas comme un prétexte conversationnel pour proférer des banalités, mais afin de donner du sens et du rêve à notre vie quotidienne. Et lorsqu’après des pluies bienfaitrices, vient un "beau temps" malfaisant, on peut faire la réponse de "l’Étranger" dans le dialogue des "Petits poèmes en prose" de Baudelaire :

" --(…) He ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

--J’aime les nuages… les nuages qui passent…là-bas…là-bas… les merveilleux nuages !"

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