Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Petite physionomie du rire

Le 29 mars 2024 à 14h47

Modifié 4 avril 2024 à 13h23

Le rire est le propre de l’Homme, dit le proverbe. Mais tous les hommes ne sont pas égaux devant le rire, car le rire des uns ne vaut pas toujours celui des autres. Petites variations sur cette réaction physiologique de bien-être qu’est le rire qui en dit long sur l’Homme.

En matière de rire, il y a les ricaneurs et les rieurs. Les premiers se moquent ou persiflent, alors que les seconds s’esclaffent ou se marrent. Cette catégorisation signifie-t-elle qu’il existerait une hiérarchie dans cette réaction émotive de bien-être, d’abord physiologique, qui décontracte les zygomatiques et dessine sur le visage du rieur un sourire ou un rire ? On peut en convenir lorsqu’on entend ou lit ce qui se dit ou s’écrit sur l’humour en temps de jeûne, ces derniers jours. En effet, les programmes de divertissement concoctés par les chaînes de télévision durant le mois de Ramadan entraînent régulièrement le même débat dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Que l’humour soit un sujet de discorde pendant un mois censé être celui de l’abstinence et empreint de religiosité ne manque pas d’étonner. Mais ce n’est pas le moindre paradoxe social ou sociétal durant ce mois sacré où les humeurs sont souvent massacrées.  Mais que reprochent-on exactement à cet humour post-iftar ? Sa qualité et sa "lourdeur" avancent les uns ; sa légèreté ou son décalage par rapport à la dimension religieuse de la période soutiennent les autres. Mais ce sont surtout les critiques sur sa facture médiocre que l’on entend parce qu’elle fait débat et bruit, alors que la majorité de ceux qui le consomment, au vu des audiences du moins, semblent s’en satisfaire. Est-ce la preuve donc que ce qui fait rire et produit de la bonne humeur chez la majorité déplaît à une minorité qui s’en plaint et le fait savoir avec une certaine mauvaise humeur ?

Difficile de trancher à moins de s’appuyer sur cette hiérarchisation intellectuelle évoquée ci-dessus et admettre qu’il y a une division de classe dans l’humour, qui sépare le rire de la foule de celui de l’élite. Bref, les fameux degrés dans l’humour qui ont fait dire à l’humoriste Pierre Desproges qu’"on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui." En tout état de cause, dès lors qu’il y a division de classe et de degrés, il y a méprise au sens de malentendu, mais aussi, pourquoi ne pas l’avouer, mépris de classe, voire un sentiment de supériorité traduisant du dédain. Mais une chose est certaine, parler sérieusement d’humour en l’analysant ou en creusant ses tenants et aboutissants est le meilleur moyen d’en manquer et de "plomber l’ambiance", comme on dit lorsque celle-ci est la bonne humeur. La preuve : qui peut lire en rigolant un livre aussi réfléchi et ardu que celui du philosophe français Henry Bergson intitulé tout bêtement Le Rire ? En voici un petit extrait sur le sens et la fonction du comique qui pourrait donner à réfléchir, prêter à rire ou faire faire des nœuds au cerveau : "Est comique le personnage qui suit automatiquement son chemin sans se soucier de prendre contact avec les autres. Le rire est là pour le corriger dans sa distraction et pour le tirer de son rêve…Telle doit être la fonction du rire. Toujours un peu humiliant pour celui qui en est l’objet, le rire est véritablement une espèce de brimade sociale".

On est loin ici du rire ordinaire, et encore plus de celui pourfendu par les railleurs de l’humour ramadanesque chez nous. Encore que lorsque le philosophe parle de "brimade sociale", on ne peut ne pas penser aux membres de ces corporations professionnelles (enseignants, chauffeurs de taxi et avocats) qui se plaignent, à tort ou à raison, de telle production télévisuelle qu’ils accusent de les tourner en dérision et d'atteindre à leur dignité. "C’est une étrange entreprise que de faire rire les honnêtes gens", disait déjà Molière à son époque. Certes, n’est pas Molière qui veut, mais l’on peut rarement plaire à tous ceux qu’on raille, même avec un humour dit de qualité. Mais nous laisserons ce débat à haut débit aux critiques de télévision patentés et autres "professionnels de la profession" qui en savent plus que nous sur la construction et l’intelligence du rire. Et comme dirait Cioran non sans humour, lui qui n’avait pas la réputation d’un joyeux luron : "Quelques générations encore, et le rire, réservé aux initiés, sera aussi impraticable que l’extase".

Enfin, à propos de l’intelligence du rire et puisque on a cité celui de Bergson auparavant, on s’est demandé si les philosophes avaient le sens de l’humour. Eh bien figurez-vous que oui, les philosophes se marrent comme des bossus. On peut lire à ce sujet un excellent petit livre de Philippe Arnaud aux éditions arléa en 2017 : Le Rire des Philosophes. Ce professeur de philosophie présente un florilège de penseurs surpris en flagrant délit d’humour, et qui n’en pensent pas moins. De Platon à Michel Foucault, l’auteur a choisi des passages dans l’œuvre ou les biographies d’une myriade de philosophes. C’est un ouvrage court et d’une lecture plaisante, où l’on peut s’instruire tout en s’amusant, même si le proverbe nous met en garde lorsqu’il avance que "Le sage ne rit qu’en tremblant", pendant que cet autre philosophe, Spinoza, nous dit qu’"il ne faut pas rire, mais comprendre". Comprendre quoi ? La réponse est peut-être dans son livre majeur L’Éthique. Ce dernier, ironise l’auteur du Rire des Philosophes, "est un livre plein d’humour ; il a réponse à tout. Il fait penser à cette blague juive : 'J’ai une réponse. Qui a la question ?'"

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