José Antonio Ocampo

Professeur à l'Université de Columbia, il a servi en tant que sous-secrétaire général des Nations unies pour les affaires économiques et sociales. 

Mettre fin au privilège exorbitant de l’Amérique

Le 22 octobre 2013 à 10h17

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

  NEW YORK – L’impasse politique actuelle aux États-Unis recèle deux implications majeures pour le système monétaire international. La conséquence la plus connue a été un approfondissement de l'incertitude sur le dollar américain, la principale monnaie de réserve mondiale et sur les titres du Trésor américain, soi-disant l’actif financier le «plus sûr» au monde. Sans surprise, les principaux investisseurs en bons du Trésor américain, la Chine et le Japon, ont exprimé leur inquiétude. Pour dire les choses simplement, l'économie mondiale a en son centre un régime politique dysfonctionnel qui génère des menaces de défaut récurrentes sur le principal actif de réserve du monde.  

La deuxième conséquence est un nouveau report de la mise en application des réformes des systèmes de gouvernance et de quotas du Fonds monétaire international de 2010, qui doivent doubler les contributions des pays membres et augmenter modestement le poids décisionnel des grandes économies émergentes. Avant son approbation par le Conseil du FMI en décembre 2010, la réforme, adoptée lors du sommet du G20 de Séoul, avait été saluée comme une percée «historique». Pourtant, l'histoire est au point mort en l’absence d’approbation par les Etats-Unis, qui a un droit de veto effectif sur les principales décisions du FMI.

La menace d'un défaut américain pourrait bien se terminer par un accord politique visant à augmenter le plafond sur la dette du gouvernement US, comme cela s'est produit en 2011. Néanmoins, quel que soit le résultat, le récent épisode indique de manière extrêmement claire que notre monde globalisé mérite un système monétaire international meilleur que le «non-système» actuel, qui a évolué de manière ad hoc depuis l'effondrement au début des années 1970 des dispositions de Bretton Woods initiales.

La nécessité de réformer le système monétaire et financier international a été l'un des enseignements fondamentaux de la crise financière mondiale. Même s'il y a eu des réformes majeures, quoique incomplètes, de la finance internationale, les efforts de 2009 et 2010 pour réformer le système monétaire international – y compris les modifications proposées au sein du FMI – n’ont donné lieu à aucune action significative.

Les propositions de réforme provenaient de milieux divers : le gouverneur de la Banque populaire de Chine; une commission convoquée par l'Assemblée générale des Nations Unies sur la réforme du système monétaire et financier international, présidée par le prix Nobel Joseph E. Stiglitz ; et l’Initiative du Palais-Royal française, dirigée par l'ancien directeur général du FMI Michel Camdessus. Il y a eu également une myriade de contributions académiques au débat.

Le premier élément de réforme devrait donner un plus grand rôle à l’unique véritable monnaie internationale dont le monde dispose désormais : les Droits de tirage spéciaux du FMI, créés en 1969 à la suite d'une autre crise du dollar. La création des DTS s’était accompagnée d'un engagement, inclus dans les Statuts du FMI, à «faire du droit de tirage spécial le principal actif de réserve du système monétaire international» (article VIII, paragraphe 7 et article XXII). Mais cet engagement est resté lettre morte, à l’exception des émissions périodiques de DTS pendant les crises, comme en 2009 où l'équivalent de 250 milliards de dollars de DTS a été émis.

Les Statuts du FMI devraient être modifiés afin de permettre une utilisation plus souple des DTS, reproduisant la façon dont opèrent les banques centrales. Autrement dit, les DTS pourraient être créés au cours de récessions mondiales et retirés lors des périodes d'expansion. Ils devraient également devenir la principale source de financement du FMI, en remplacement des quotes-parts ou des prêts octroyés au Fonds par les pays membres (ce qui pourrait à terme faire du FMI une institution exclusivement basée sur les DTS, comme l’avait proposé feu l’économiste du FMI Jacques Polak il y a plusieurs dizaine d’années). L'approche la plus simple serait que les pays «déposent» les DTS qu'ils reçoivent au sein du FMI, qui pourrait ensuite les prêter aux pays et investir le reste en obligations souveraines.

Cela devrait être combiné avec un rôle plus actif du FMI – à la place du G-20 – en tant que véritable instrument de coordination mondiale des politiques macroéconomiques. Un objectif essentiel (et généralement accepté) d'une telle coordination devrait être de réduire les déséquilibres mondiaux, comme ceux causés ces dernières années par la hausse du surplus extérieur de l'Union européenne, qui a obligé de nombreuses économies émergentes à accumuler des déficits croissants.

Puisque d’autres devises mondiales – le dollar, l'euro et, de plus en plus, le renminbi – continueraient à coexister avec les DTS en tant qu’actifs de réserve mondiaux, un autre élément essentiel de la coopération macro-économique mondiale devrait être de définir les obligations particulières des pays (ou régions) qui émettent des monnaies de réserve.

Un autre élément de la réforme monétaire internationale est une meilleure gestion du système (ou, encore une fois, du «non-système») de taux de change global, qui devrait viser à éviter toute «manipulation» monétaire – mais seulement après avoir défini précisément ce que cela signifie. Elle devrait également réduire les niveaux élevés de volatilité des taux de change – «une taxe sur la spécialisation internationale», comme l'économiste Charles Kindleberger l’a un jour formulé – que nous avons connus ces dernières années, y compris parmi les principales devises.

Les discussions de long terme sur la finance globale ont également clairement indiqué que, sous certaines conditions, la régulation des flux de capitaux (des «mesures de gestion des flux de capitaux», selon la terminologie actuelle du FMI) peut se justifier à des fins «macroprudentielles» – un principe accepté par le G- 20 lors de sa réunion à Cannes en 2011 et par le FMI l'année dernière.

Le dernier élément, mais pas le moindre, est que le système monétaire international a besoin d’une réforme de la gouvernance, y compris afin de donner une voix plus forte aux pays émergents et en développement. Outre l'adoption définitive de la réforme de 2010 et les prochains débats sur les quotas en 2014, les changements devraient incorporer les recommandations de la Commission Stiglitz, de l'Initiative du  Palais-Royal et du Comité sur la réforme de gouvernance du FMI dirigée par Trevor Manuel, entre autres.

Un élément central de ces propositions est d'éliminer, une fois pour toutes, le droit de veto des pays individuels. Au moment où le monde attend avec impatience que certains dirigeants politiques de l'Amérique se comportent enfin comme des adultes, le coût du maintien du non-système actuel est devenu trop évident.

Traduit de l’anglais pas Timothée Demont

© Project Syndicate 1995–2013

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