Les économies avancées, des portefeuilles grand fermés

Le 13 mars 2014 à 11h00

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

Certains économistes l’appellent la «stagnation séculaire». D'autres parlent de «Japonisation». Mais tous s’accordent sur le fait que, après de trop nombreuses années de croissance insuffisante dans les économies avancées, des risques importants à plus long terme ont vu le jour.  

NEWPORT BEACH, CALIFORNIE –  Ceux qui cherchent des moyens de réduire les risques d’une croissance insuffisante sont d’accord pour dire que, entre toutes les solutions possibles, c’est l'augmentation de l'investissement des entreprises qui peut faire la plus grande différence. Or, beaucoup d’entreprises de moyenne et grande taille, ayant récupéré de façon impressionnante de l'énorme choc qu’ont constitué la crise financière mondiale de 2008 et la récession qui l’a suivie, ont aujourd’hui les moyens d'investir dans de nouvelles usines, du nouvel équipement et de l’emploi.

En effet, grâce à une rentabilité à ou proche des niveaux records, les liquidités détenues par le secteur des entreprises aux États-Unis se sont amassées, trimestre après trimestre, atteignant des sommets jamais atteints jusqu’alors – et générant un rendement extrêmement faible aux taux d'intérêt actuels proches de zéro. En outre, parce que les entreprises ont considérablement amélioré leur efficacité opérationnelle et allongé les maturités de leurs dettes, elles ont besoin de beaucoup moins d’épargne de précaution que par le passé.

Quel que soit le côté par lequel on le regarde, le secteur des entreprises dans les économies avancées en général, et aux Etats-Unis en particulier, est aujourd’hui aussi fort que ce qu’il a été pendant de nombreuses années. Les entreprises non financières ont réalisé un mélange de résistance et d’agilité qui contraste fortement avec la situation de certains ménages et gouvernements à travers le monde qui n'ont pas encore affronté de manière adéquate un héritage de surendettement.

Cependant, au lieu de déployer leurs liquidités abondantes dans de nouveaux investissements pour augmenter la capacité et exploiter de nouveaux marchés – ce qu’elles ont été très réticentes à faire depuis que la crise financière mondiale a éclaté – de nombreuses entreprises ont jusqu'à présent préféré (ou ont été contraintes par des investisseurs activistes) à les redistribuer aux actionnaires.

Rien que l'an dernier, les entreprises américaines ont autorisé plus de 600 milliards de dollars de rachats d'actions – une quantité impressionnante selon tout standard de mesure et un niveau record. Par ailleurs, de nombreuses entreprises ont augmenté leurs versements de dividendes trimestriels aux actionnaires. Cette activité a continué dans les deux premiers mois de 2014.

Mais, tandis que les actionnaires ont clairement bénéficié de la réticence des entreprises à investir leur ample trésorerie, la majeure partie de l'argent injecté circule seulement dans le secteur financier. Peu de celui-ci a bénéficié directement aux économies qui luttent pour améliorer leurs taux de croissance, développer l'emploi, éviter de créer une génération perdue de travailleurs et remédier aux inégalités de revenu excessives.

Les contraintes des économies avancées

Si les économies avancées veulent prospérer, il est nécessaire (même si cela ne suffira pas) que la volonté d’investir du secteur privé corresponde à son portefeuille considérable. Six facteurs semblent poser des contraintes particulièrement importantes.

Premièrement, les entreprises sont préoccupées par la demande future pour leurs produits. La récente reprise économique, aussi faible qu’elle ait été (à la fois en termes absolus et par rapport à la plupart des attentes), a été tirée par les politiques expérimentales que les banques centrales ont menées pour soutenir la consommation. Aujourd’hui, alors la Réserve fédérale des États-Unis a commencé à mettre fin à sa relance monétaire et que la croissance dans les pays émergents est en train de ralentir, la plupart des entreprises ne sont tout simplement pas en mesure de viser des possibilités d'expansion massives.

Deuxièmement, étant donné le poids tellement important de la Chine dans la demande mondiale (à la fois directement et indirectement au travers d’effets de réseau importants), les perspectives pour la deuxième plus grande économie du monde ont un impact disproportionné sur les projections de revenus des entreprises mondiales. Et, dès lors que la croissance excessive du crédit intérieur et le système bancaire informel de la Chine attirent une attention accrue, de nombreuses entreprises sont de plus anxieuses.

Troisièmement, bien que les entreprises reconnaissent que l'innovation représente un avantage comparatif important dans l'économie mondiale d'aujourd'hui, elles sont également découragées par sa nature de plus en plus « tout pour le gagnant ». Une innovation réussie dépend aujourd'hui beaucoup moins du financement et beaucoup plus de la trouvaille de La "killer app". Par conséquent, de nombreuses entreprises, moins convaincues que les innovations "normales" génèrent des retombées considérables, finissent par investir globalement moins qu'avant.

Quatrièmement, l'analyse coûts-avantages à plus long terme pour les futurs investisseurs est assombrie par des questions légitimes concernant certains environnements d'exploitation. Aux États-Unis, de nombreuses entreprises s'attendent à une importante réforme budgétaire, mais elles ne sont pas encore en mesure d'évaluer l'impact sur leurs bénéfices d'exploitation futurs. En Europe, les politiciens sont conscients de la nécessité de réformes structurelles majeures, y compris celles qui sont nécessaires pour consolider l'intégration régionale, mais les entreprises manquent de visibilité suffisante sur les composants de ces réformes.

Cinquièmement, la gamme de mesures d'atténuation des risques n'est pas aussi large que ce que les progrès financiers auraient pu suggérer de prime abord. Certes, les entreprises ont plus d'outils de couverture à leur disposition. Mais la capacité à gérer le risque de baisse de manière globale reste limitée par l’incomplétude des marchés à long terme et par des partenariats public-privé qui ne peuvent pas être suffisamment exploités.

Enfin, la plupart des chefs d'entreprise reconnaissent qu'ils ont une grande dette de reconnaissance envers les banquiers centraux pour la tranquillité relative de ces dernières années. Grâce à des expériences de politiques audacieuses, les banques centrales ont réussi à éviter une dépression mondiale de plusieurs années à gagner du temps pour permettre aux entreprises de se soigner.

Mais, en travaillant essentiellement seules, les banques centrales n'ont pas été en mesure de réorganiser correctement les moteurs de la croissance des économies avancées ; elles n'ont d’ailleurs pas non plus les outils pour le faire. Bien que de nombreux chefs d'entreprise puissent encore être incapables de comprendre les menaces précises, ils semblent mal à l'aise quant aux dommages collatéraux à plus long terme que peut entrainer une alimentation des économies de marché modernes au moyen de taux d'intérêt artificiellement réprimés et des bilans des banques centrales gonflés.

La bonne nouvelle est que chacune de ces contraintes sur l'investissement peut – et devrait – être solutionnée, et les données récentes de l'investissement des entreprises américaines suggèrent d’ailleurs certains progrès. La mauvaise nouvelle est que cela prendra beaucoup plus de temps, d'efforts et de coordination au niveau mondial. D’ici-là, le secteur des entreprises n’augmentera que progressivement sa contribution à la lourde tâche. Ce sera suffisant pour maintenir la croissance des économies avancées cette année ; malheureusement, ce ne le sera pas pour atteindre la croissance plus rapide que le bien-être de leurs citoyens – et de l'économie mondiale – exigent de toute urgence.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

© Project Syndicate 1995–2014

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