Devorah E. Klein

Directrice chez Continuum et psychologue de la cognition

Gary Klein

Chercheur principal chez MacroCognition LLC

Le problème de la médecine fondée sur des données probantes (EBM)

Le 17 juillet 2014 à 11h52

Modifié 17 juillet 2014 à 11h52

Chaque système de soins de santé doit trouver un compromis entre la couverture, la qualité et le coût. Bien souvent, on y parvient en se concentrant sur un ou deux paramètres au détriment des autres.

Les systèmes européens par exemple ont tendance à se concentrer sur la couverture et sur l'assurance d'un accès universel aux soins. En revanche aux États-Unis, la qualité semble être primordiale.

 

SEATTLE – Mais quel que soit le point de vue de chacun sur les priorités du système, il est clair que les États-Unis peuvent encore améliorer leur système dans ces trois domaines. Heureusement, des efforts sont en cours pour répondre à chacun de ces besoins. Et les efforts des États-Unis ont des implications pour d'autres pays.

Le Patient Protection and Affordable Care Act américain, ou loi sur la protection des malades et les soins abordables, la loi historique maintenant largement connue sous le nom de "Obamacare" vise à élargir la couverture, tandis que les organismes responsables des soins, comme Kaiser Permanente, tentent de limiter les coûts en faisant correspondre les intérêts des fournisseurs et des payeurs. Cependant, les efforts pour améliorer la qualité par l'application de la médecine fondée sur les données probantes (EBM) risquent d'ignorer ce que nous savons sur la cognition et sur l'expertise humaine et peuvent saper le rôle vital joué par le jugement d'expert d'un médecin.

L'intuition qualifiée et l'expérience personnelle du médecin

Il y a au moins trois raisons de se méfier. Tout d'abord, la médecine fondée sur les données probantes (EBM) se fonde sur une méfiance fondamentale en l'intuition des médecins : à savoir les jugements étayés sur des modèles qui s'appuient sur des années d'expérience. Il existe assurément de bonnes raisons d'être sceptique quant à l'intuition, étant donné les innombrables cas où elle s'est avérée fausse. Mais il ne s'ensuit pas que tous les cas d'intuition soient faux ni que l'intuition qualifiée ne remplisse aucune fonction en matière de soins de santé.

Les médecins développent leur expertise pendant de nombreuses années et quand ils ont de nombreuses possibilités de rétroaction sur leurs jugements, leurs intuitions s'avèrent utiles, en particulier dans les cas les plus complexes. Un médecin expérimenté évalue les signes vitaux d'un patient et les résultats de ces essais dans le contexte de la vie du patient : par exemple, s'il s'agit d'un octogénaire sujet au diabète et à la toux du fumeur, ou bien d'un bébé prématuré de trois semaines. Grâce à la méthode heuristique, à l'intuition et à l'expérience, un médecin expérimenté peut mieux comprendre un cas complexe et mettre au point une solution.

En fait, les conclusions d'un médecin expérimenté peuvent être plus précises que celles fournies par la médecine fondée sur les données probantes (EBM). C'est pour cela que la médecine fondée sur les données probantes (EBM), bien que fondée sur des données provenant d'essais randomisés et sur des expériences rigoureuses, est conçue pour des situations qui se rapprochent de l'état de santé des patients dans ces essais. Le problème est que lorsque le contexte change, les résultats de l'essai deviennent moins fiables.

Dans de tels cas, le médecin doit déterminer à quel point la situation de son patient correspond à celle décrite dans les études pertinentes. Si la maladie n'est pas aussi avancée que dans les essais, le médecin devra décider d'entamer ou non le protocole recommandé. Et les cliniciens peuvent avoir des doutes quant aux contraintes qui demeurent inchangées. En fin de compte, le jugement final est informé par l'expérience personnelle et la reconnaissance de modèles, une approche à laquelle les partisans de l'EBM accordent peu de crédit ou qu'ils peuvent parfois décrier.

Un deuxième problème avec l'EBM est qu'elle offre peu d'indications sur l'évolution d'un état de santé. Par exemple, l'asthme aigu faire l'objet de soins à un moment, mais peut se transformer par la suite en diabète chez le même patient. Les directives EBM se concentrent sur le traitement de l'asthme ou du diabète, mais pas sur les deux, ni même sur leurs possibles interactions ou sur leurs changements au fil du temps.

La curiosité clinique

Enfin et cela est peut-être encore plus grave, il faut se demander comment les cliniciens doivent prendre des décisions en cas de lacunes dans la base de connaissances de l'EBM. Les médecins repèrent souvent des tendances et élaborent des hypothèses qui impliquent des conjectures, et qui ne sont validées que plus tard par des essais. Les médecins devraient donc ignorer les tendances observées jusqu'à ce que les données soient recensées ? En effet, on peut se demander comment ces essais sont menés, si les cliniciens ne commencent pas par explorer un problème à partir de données provisoires. Le fait d'insister pour que toutes les décisions de traitement soient fondées sur les meilleures pratiques existantes freine cette exploration et empêche des découvertes médicales potentielles.

Les défenseurs de l'EBM répondent que c'est le travail des chercheurs pour établir des données qui sont transformés en meilleures pratiques. Le rôle du médecin consiste alors à mettre en œuvre les résultats. Mais cette approche va à l'encontre de l'histoire médicale, dans laquelle les avancées viennent seulement après que les praticiens ont remarqué des anomalies ou découvert des failles dans les "meilleures pratiques", ou ont amélioré les approches existantes. De nombreux progrès de la médecine, depuis les traitements de l'ulcère jusqu'à l'arthroplastie, ont évolué par curiosité clinique et non pas comme le résultat d'essais cliniques.

En outre, d'importantes sources d'EBM se sont avérées trompeuses. L'étude Framingham sur les maladies cardiaques, considérée comme le modèle d'excellence dans son domaine, s'est révélée imparfaite, par le fait qu'elle se concentre exclusivement sur les hommes de race blanche. Par exemple, un symptôme clé d'une attaque cardiaque identifié par l'étude (l'impression d'avoir "un éléphant assis sur ma poitrine ") se trouve seulement chez 5% des femmes. Comme un médecin urgentiste l'a tristement reconnu : "Je pense à toutes les femmes que j'ai renvoyées chez elles et qui sont mortes par ma faute parce que je suivais les meilleures pratiques."

Dans la perspective d'un avenir probable où les médecins adhérant à l'EBM seraient payés davantage, nous devons tenir compte des limites cognitives et du coût humain du respect inconditionnel de ce qu'on appelle les "meilleures pratiques". Une approche plus efficace doit être de combiner l'EBM avec l'expertise et l'intuition des soignants expérimentés et de tirer des leçons des deux.

© Project Syndicate 1995–2014

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