Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Le lourd héritage de Kadhafi

Le 19 juin 2023 à 14h08

Modifié 19 juin 2023 à 14h08

La Mission d’appui des Nations unies en Libye, Manul, avait bien raison d’exprimer sa satisfaction et de féliciter les parties libyennes pour le compromis trouvé lors de la récente réunion tenue à Bouznika du 22 mai au 6 juin 2023. Tous les participants à cette rencontre se sont mis d’accord sur les lois qui régiront les élections prévues à la fin de l’année en Libye, pour sortir le pays du cercle infernal des confrontations armées et de l’instabilité.

Tout en prenant note des éléments positifs obtenus, la Mission des Nations unies a tenu à rappeler que les lois électorales nécessitent l’adhésion et le soutien d’un large éventail d’institutions libyennes, de représentants de la société civile, et d’acteurs politiques pour permettre la tenue d’élections inclusives, crédibles et réussies. Autrement dit, la réussite du processus politique dépend de l’implication réelle de tous les acteurs politiques libyens. Mais quid des intervenants étrangers qui, au gré du moment, soutiennent une partie au détriment de l’autre, envenimant ainsi la confrontation armée ?

Le conflit libyen est devenu avec le temps un conflit complexe qui a émergé à la suite du soulèvement populaire de 2011, dans le sillage de ce qu’on a, improprement, appelé le "Printemps arabe". Cette révolte a conduit à la chute du régime militaire de Mouammar Kadhafi qui avait gouverné d’une main de fer pendant quarante ans. Sans vision pour l’avenir de son pays, il n’a laissé aucune institution solide et viable autour de laquelle les Libyens pouvaient se reconnaître.

Kadhafi a imprégné la politique de la Libye au niveau intérieur comme international, par l’adoption d’un style qu’il voulait orignal mais qui ne pouvait lui survivre. Disposant d’une importante rente pétrolière, il n’a pas su développer une économie nationale répondant aux besoins des Libyens. Au niveau international, il encouragea les sécessions dans les pays voisins bien que paradoxalement il prônait l’unité des arabes. Fatigué de ces derniers, il se tourna vers les pays africains pour se faire nommer roi des rois. Mais ceux qui semblaient adhérer à ses idées étaient plus intéressés par ses faveurs que par son idéologie.

Partant de sa haine viscérale contre l’Occident et leurs alliés, Kadhafi soutenait tous les mouvements indépendantistes à travers le monde. Ces soutiens ne se faisaient pas dans la nuance. Ils s’orientaient souvent vers des groupes terroristes, allant de l’Armée républicaine irlandaise, IRA, au mouvement indépendantiste du Sud-Soudan, MPLS, ou au front polisario. Cette politique immature lui a valu la multiplication des adversaires, et fait de lui un paria sur la scène internationale. Elle a abouti à des dérives, puis à l’isolement de son pays, et enfin à son assassinat.

Les attentats de Berlin en 1986, suivis des représailles américaines, puis l’affaire de Lockerbie en 1988 et les sanctions prises par les Nations unies, ont fini par isoler définitivement la Libye du reste du monde. Échaudé par le sort réservé au président irakien Saddam, Kadhafi commença dès lors à réfléchir sérieusement aux risques qu’encourait, non pas son pays, mais plutôt sa propre personne. Celui qui cherchait à développer des armes chimiques et nucléaires renonça subitement à ces programmes et accepta de soumettre toutes ses installations aux inspections internationales.

Dans son esprit, ses démarches allaient ouvrir la voie à une normalisation progressive de ses relations avec les pays occidentaux. Ces derniers, au contraire, interprétèrent cela comme des signes de faiblesse, d’abandon et de fin de règne, malgré les avantages que Kadhafi leur offrit dans le domaine de l’énergie et des achats d’armements. Généreux avec tout le monde, il trouva dans le candidat français à l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy, le partenaire idéal du moment pour se remettre en scène.

40 années parsemées d’improvisations et de gabegies

Élu en mai 2007, Sarkozy invita Kadhafi en décembre de la même année en France, visite qui lui ouvrit la voie à se rendre en Italie deux ans plus tard. À ce jour, des soupçons de financement de la campagne présidentielle que Kadhafi aurait apporté au candidat Sarkozy restent sans réponse. Tirant avantage des manifestations civiles en Libye en 2011, et à la veille des élections présidentielles de 2012, Sarkozy changea subitement de position en soutenant les forces rebelles libyennes pour évincer Kadhafi.

En obtenant du Conseil de sécurité une résolution stipulant la protection des populations civiles, la France procède, avec l’aide d’une coalition internationale, à un remake de l’intervention américaine en Irak, outrepassant ainsi les prérogatives onusiennes. Sous prétexte de protéger les civils, elle mena des frappes aériennes dont la visée était de renverser le régime en place, et la liquidation physique de Kadhafi. En dépit d’une victoire rapide, Sarkozy ne fut pas élu en 2012, mais la Libye est entrée dans un cercle infernal dont elle n’arrive toujours pas à sortir.

Mais c’est surtout le peuple libyen qui paiera les frais de cette intervention, qui s’ajoutent aux conséquences de l’ère Kadhafi qui a duré quarante années parsemées d’improvisations et de gabegies. Les importantes réserves de pétrole de haute qualité dont dispose le pays sont une source importante de revenus qui profitent peu aux populations. Elles sont également une source de convoitises qui alimentent toutes les interventions étrangères.

Outre les intérêts que portent les grandes puissances au sous-sol, la Libye dispose également d’une situation stratégique de choix face à l’Europe, baignant sur la Méditerranée, et se positionnant comme un trait d’union entre les pays arabes. Après l’intervention française, les craintes se situent aussi sur le proche voisinage déstabilisé à son tour, comme au Tchad, en Tunisie et dans les autres pays du Sahel. La situation dans la sous-région a des implications en termes sécuritaires sur les pays du Maghreb et au-delà sur le Sud européen.

Le premier défi que les Libyens doivent relever est de venir à bout des divisions qui minent encore leur société. Les récentes réunions sous les auspices des Nations unies y apportent certes des voies de sortie qui conviennent à toutes les parties. Mais l’héritage de l’époque de Kadhafi demeure lourd, tant il est difficile de s’en défaire aisément. Le pays est composé de diverses tribus, groupes ethniques et factions politiques qui ont des intérêts divergents et des revendications opposées, alimentées souvent par l’extérieur.

Cette situation a été davantage compliquée par les interventions des puissances étrangères qui lorgnent d’abord les richesses du pays, et tiennent peu compte des souffrances passées et actuelles des populations libyennes. En soutenant différents groupes et factions libyennes, elles participent à dessein à créer un paysage politique et militaire fragmenté, ce qui alimente en retour la violence et prolonge la crise.

Le dialogue actuel entre les deux principales forces, le Gouvernement d’accord national, GAN, soutenu par les Nations unies, et l’Armée nationale libyenne, ANL, pourrait à terme mener vers une cohabitation paisible. Les résolutions du Conseil de sécurité exigent simultanément des parties en conflit à veiller à l’application intégrale de l’accord de cessez-le-feu, et demande aux autres pays d’appuyer le processus en retirant leurs forces et autres mercenaires de la Libye.

Les prochaines élections seront donc cruciales pour sortir de cette crise qui a assez duré, mais elles ne sont pas une fin en soi. Elles ne seront qu’un moyen pour que la Libye trouve enfin le chemin de la paix et de la prospérité, après plus d’un demi-siècle passé entre les errances de Kadhafi et la guerre civile qui en a découlé. Le dialogue politique permanent reste la base de toute réconciliation nationale pérenne pour parvenir à une paix durable.

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