Luiz Inácio Lula da Silva

Ancien président du Brésil

La vie n’a pas de prix

Le 2 décembre 2013 à 10h30

Modifié 9 avril 2021 à 19h44

Par Luiz Inácio Lula da Silva. Des milliers de malades sont privés de soins médicaux par manque d'argent. Le souci des compagnies pharmaceutiques n'est pas de réduire les souffrances des patients, mais de maximiser leurs profits.  

Dans tous les pays du monde, qu’ils soient riches, en développement ou pauvres, l’accès aux soins de santé très avancés devient de plus en plus difficile. Bon nombre de personnes malades ne peuvent pas bénéficier des soins médicaux de pointe, à même de les guérir ou de prolonger leur vie, à cause de leurs couts excessivement élevés.

Le problème ne concerne pas tant l’existence des traitements médicaux - dans la plupart des cas, les maladies ont leur remède - que la capacité de la personne malade de payer les factures des soins. Des milliers de gens font face à une situation désespérée : savoir que le médicament qui peut les guérir de leur maladie, ou alléger leur souffrance existe, et ne pas être en mesure de se l’acquérir à cause de son prix prohibitif.

Le monde de la médicine de pointe présente une contradiction très frustrante et inhumaine. De formidables découvertes scientifiques ont été réalisées mais elles n’ont réellement bénéficié qu’à une minorité.

Dans l’équation des soins de santé, on a d’un coté, les compagnies pharmaceutiques qui développent des médicaments nécessitant de grands investissements et des essais sophistiqués et rigoureux et de l’autre coté, on a ceux qui payent pour les traitements médicaux : le gouvernement et les systèmes de soins de santé du secteur public, et les compagnies d’assurance-santé dans le secteur privé. Au milieu, il y a le patient qui lutte pour vivre, mais sans avoir les moyens de payer : s’il ne paye pas, il ne peut pas survivre.

Aux Etats-unis, le président Barack Obama s’est battu pendant longtemps contre l’opposition des conservateurs à la réforme des soins de santé qui vise l’élargissement de l’accès à l’assurance-santé. En Europe, même si généralement accessible, le système de soins ne peut pas garantir l’accès complet aux plus nouveaux traitements. Il en est de même dans les pays riches.

Au Brésil, le gouvernement a besoin de plus en plus de financements pour acheter les médicaments qu’il fournit gratuitement, y compris certains médicaments de première génération. En Afrique, le VIH-sida, qui affecte une partie importante de la population, et les maladies tropicales,  -comme le paludisme-, tout à fait évitables, qui continuent d’être les causes principales de décès, ne constituent plus des priorités de recherche pour les sociétés pharmaceutiques.

Une vidéo, conçue par une compagnie de téléphones portables et circulant sur internet, a touché des milliers de personnes partout dans le monde. Elle raconte deux drames croisés, celui d’un garçon thaïlandais obligé de voler des médicaments pour sa maman, et celui d’une jeune fille, qui des années plus tard, n’avait pas les moyens de payer les frais médicaux exigés pour sauver son père.

J’ai moi-même connu ce drame de perdre quelqu’un de cher, faute de soins médicaux adéquats. En 1970, pendant l’accouchement, ma femme et mon premier fils ont décédé dans l’hôpital, à cause de fautes professionnelles médicales. Les années qui ont suivi ont été les plus dures de ma vie.

Par contre, en 2011, en tant qu’ancien président, j’ai survécu à mon cancer, grâce aux moyens modernes d’un excellent hôpital, et j’étais couvert par mon assurance maladie. La thérapie était longue et douloureuse mais grâce à la compétence, au sérieux des médecins et au traitement médical avancé j’ai réussi à vaincre la maladie.

C’est facile de condamner les compagnies pharmaceutiques, mais cela ne résoudra pas le problème. Ces compagnies sont presque toujours cotées en bourse ; leurs activités sont largement financées par la vente de leurs actions dans les marchés boursiers.

Elles se font concurrence à elles-mêmes et à d’autres entreprises du même type, pour trouver les financements nécessaires au recouvrement du coût croissant des recherches et des essais.

La principale source d’attraction des investisseurs est le profit, un motif qui est en contradiction avec la noble cause de satisfaire les besoins des malades.

Pour dégager le rendement souhaité avant l’échéance du brevet des médicaments d’origine, ces derniers sont vendus à des prix exorbitants. Certains traitements pour le cancer par exemple, coûtent 40. 000 dollars l’année.  

Contrairement à la logique habituelle du marché libre, la compétition ne réduit pas les prix des médicaments, lesquels grimpent toujours plus haut à chaque production d’un nouveau traitement.

Cette recherche du profit amènent les compagnies pharmaceutiques à prioriser les recherches pour les maladies qui offrent une meilleure rentabilité financière.

Les managers des systèmes de soins de santé publics, avec des moyens limités, sont confronté à un dilemme : Faut-il améliorer le système de soin dans sa globalité, sur la base d’un niveau standard de qualité ou prioriser l’accès élargi aux traitements médicaux de pointe, lesquels dans beaucoup de cas, ont sauvé beaucoup de vie ?

Le prix absurde des nouveaux médicaments a empêché, ce qu’on appelle les économies d’échelle, de se développer. Au lieu de faire payer à très peu de gens des médicaments qui coûtent très cher, on pourrait amortir leur coût en les rendant accessibles à un plus grand nombre de personnes malades.

Il n’y a pas de solution facile, mais on ne peut pas non plus, tout simplement accepter la situation. Les gens demanderont de plus en plus, et à juste titre, un accès plus démocratique aux traitements médicaux de pointe. 

Aucune personne, ayant un minimum de conscience, n’arrêterait son combat pour l’acquisition d’un meilleur traitement, quand il s’agit de son père, de sa mère, de sa partenaire ou de son enfant, surtout quand il est question de grande souffrance et de risque de mort.

Ce problème a un tel impact sur les vies –et les morts- de millions de personnes qu’il mérite bien une attention particulière de la part des gouvernements et des organisations internationales, et non pas uniquement des agences de soins de santé.

On ne peut pas continuer à traiter le sujet comme s’il s’agit d’une question technique ou de marché. On doit appréhender le problème d’un point de vue politique, en faisant appel à tous ceux qui sont directement impliqués, mais également aux organismes sociaux et économiques, afin de créer un nouveau modèle, viable, qui arrange et les compagnies qui produisent les médicaments et les malades qui peuvent en bénéficier.

Aujourd’hui je n’occupe pas de fonction publique, je parle en tant que citoyen, concerné par la souffrance inutile de tant de personnes.

Je pense qu’un défi politique et moral d’une telle portée devrait faire l’objet d’une conférence internationale que sponsoriserait l’organisation mondiale de la santé.

Tous les concernés pourront y débattre d’un plan de partage des coûts de la recherche et de réduction des coûts des produits finaux, afin de les rendre accessible à tous ceux qui en ont besoin. C’est ce qui devrait se faire de toute urgence.

Bien-sûr qu’il faut tenir compte de tout les acteurs dans l’équation des soins de santé avancés, mais les décisions de vie et de mort ne peuvent en aucun cas dépendre du prix à payer.

© 2013 Instituto Luiz Inácio Lula da Silva

© Copyright 2013 The New York Times Company

Publiée au New York Times, le 1er novembre 2013

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