Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

La pomme de Churchill

Le 7 juillet 2023 à 14h10

Modifié 7 juillet 2023 à 14h10

Au Maroc, nous disposons d’un riche et varié corpus proverbial où, comme dans d‘autres cultures la sagesse côtoie un certain bon sens lequel est parfois parasité par l’irrationnel ou la pensée magique.

Les proverbes, mêmes ceux pétris de sagesse ou de bien-pensance --et ils le sont presque tous-- disent parfois tout et son contraire. Voire n’importe quoi. Après tout, ce sont des sentences et des formules langagières inventées par des humains à différentes époques, transmises par d’autres humains et destinées à tous les humains. Ou presque. Presque parce qu’il y en a, parmi ces derniers, qui n’y croient pas ou n’y prêtent pas attention. Cette parole proverbiale dont certains font une conduite de vie et d’autres un folklore trivial ou un genre patrimonial respectable traduisent l’expression des opinions dominantes à l’époque de leur invention. Bien sûr, comme on l’avait précisé dans une précédente chronique, ni l’époque ni la paternité de ces proverbes ne sont connues. Leur anonymat et leur historicité leur confèrent cette dimension mythique qui fait leur force et assure leur pérennité et parfois leur universalité tant on trouve des équivalences dans nombre de proverbes de par le monde.

Au Maroc, nous disposons d’un riche et varié corpus proverbial où, comme dans d‘autres cultures la sagesse côtoie un certain bon sens lequel est parfois parasité par l’irrationnel ou la pensée magique. Beaucoup invitent à prendre son temps, d’autres font carrément l’éloge de la lenteur ; d’autres encore conseillent l’obéissance, voire la servitude. Mais on compte aussi une myriade de proverbes qui prennent le contre-pied des premiers, vantent le dynamisme, encouragent l’effort et la vigilance. Bref, on a les proverbes qu’on veut ou qu’on peut, selon les circonstances, la conjoncture, l’humeur ou l’éducation. Il existe en effet des dits qui relèvent de la philo et de la haute voltige intellectuelle et d’autres plus légers ou au ras des pâquerettes. Il en est aussi qui sont frappés au coin de l’humour noir ou de l’impertinence. Sans compter ceux dont les expressions crûes nous empêchent de citer en famille ou dans certaines assemblées. Souvent, quelques proverbes se réfèrent métaphoriquement au corps humain pour illustrer tel propos ou dégager telle morale. Le message est d’autant plus clair, expressif et paraboliquement compréhensible par tous lorsqu’il fait appel à ce langage du corps humain. Mais comme certaines parties de ce corps sont suspectes et relèvent du tabou et du non-dit, on retrouve des proverbes grivois qui ne manquent pas de sel, voire d’autre chose, mais où la sagesse et le bon sens n’en sont pas moins mis en avant. Il faut dire qu’ils sont les plus rares mais pas les moins rigolos et pour cause. Cependant, pour garder à cette chronique une certaine tenue et aussi pour les mêmes raisons indiquées avant, on ne va pas citer ou traduire quelques spécimens sachant que certains perdront toute leur teneur et aussi leur saveur en passant dans une autre langue. Les plus "hard" ou les plus politiquement incorrects, eux, ne peuvent être traduits qu’en justice.

S’agissant de ce langage du corps dans la culture arabo-musulmane, Abdelkbir Khatibi en analyse la signification dans la culture populaire comme il l’a fait avec d’autres signes et dans d’autres ouvrages sur le tatouage des femmes, le tapis ou la calligraphie. C’est notamment dans son essai publié en 1974 et intitulé joliment "La blessure du nom propre" (Éditions Denoël) que Khatibi prospecte entre autres le corpus populaire oral marocain et arabe dans une "archéologie du savoir originel". Une mise au jour qui laisse voir et s’exprimer le corps et aussi les mots qui le trahissent ou qui en disent long sur son désir tu.

Restons loin de cette aride analyse des signes, pour retrouver un peu de légèreté et relever que dans la culture populaire -du moins chez ceux qui maitrisent son corpus proverbial et sa sémantique- le proverbe est l’équivalent d’une citation d’auteur qui illustre le propos et agrémente la conversation. On reconnait le beau parleur, le rhéteur et parfois le hâbleur à son art de lancer le bon proverbe à bon escient et au moment opportun pour enrichir, conduire ou monopoliser la conversation. Cependant, et c’est le lot de toutes les cultures, il y a aussi des proverbes en forme de truismes qui relèvent parfois de la niaiserie la plus confondante. En français, le plus simpliste qui ne fera pas briller son usager dans une conversation reste le météorologique : "Après la pluie, vient le beau temps". A éviter, surtout par ces temps caniculaires. Il y a aussi ce dicton créé par un petit malin qui veut verrouiller et couper court à toute réfutation en affirmant que "proverbe ne peut mentir." Oh, un peu quand même mon ami, la preuve, le géologique : "Pierre qui roule, n’amasse pas mousse", auquel un autre petit malin qui connait la musique répliquerait que le "les Rolling Stones (pierres qui roulent en français), eux, ont amassé beaucoup de flousse". Enfin, il y a ce proverbe britannique aux prétentions médicales et nutritionnistes qui conseille : "An apple a day keeps the doctor away", qu’on pourrait traduire par : "Une pomme par jour, éloigne le docteur des alentours". Winston Churchill qui n’aimait pas beaucoup les médecins et avait un grand sens de l’humour ajoutait cyniquement : "Surtout si on vise bien !"

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