Erik Berglöf

Directeur du l’Institut des affaires internationales de la London School of Economics and Political Science 

La nécessité d’un point d’ancrage de l’Éveil arabe

Le 4 juin 2013 à 8h51

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

  LONDRES – La situation économique des pays du célèbre Éveil arabe se détériore aujourd’hui à grande vitesse.  

L’Égypte est à court de liquidités – avant l’octroi des récentes aides, les réserves de change du pays ne pouvaient assurer que moins de trois mois d’importations – et les Égyptiens stockent carburant et denrées alimentaires en prévision des pénuries futures. Les pannes de courant, de plus en plus fréquentes et permanentes, semblent présager que le pire est à venir, dans une économie aux prises avec un chômage de masse, une exclusion généralisée, et en proie à de profondes poches de pauvreté.

C’est la stabilité macroéconomique à court terme qui constitue la priorité immédiate en Égypte et dans les autres pays de l’Éveil arabe. À moyen terme, c’est en revanche la viabilité de l’ordre actuel qui est en jeu – et non seulement dans ces États, mais également dans le reste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Compte tenu de l’ampleur des enjeux, Majid Jafar, de la société Crescent Petroleum basée aux ÉAU, a eu raison de faire part de son inquiétude lors du récent Forum économique mondial sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, qui s’est tenu sur les rives de la mer Morte. Inspirée du Plan Marshall d’après 1945 en Europe occidentale, sa proposition de Plan arabe de stabilisation est certes louable. La nécessité de l’impératif d’une action coordonnée de grande envergure est considérable. Pour autant, le Plan Marshall constitue-t-il le modèle le plus approprié ?

Le Plan Marshall consista en une stratégie macroéconomique faisant intervenir des transferts massifs de capitaux afin d’aider à reconstruire une capacité industrielle anéantie par la guerre, ainsi que de rebâtir l’infrastructure des économies au moyen d’institutions développées. Or, c’est bien d’investissements micro-orientés, basés sur des projets, et lourds en gouvernance, dont la région arabe a besoin, des investissements conditionnés par la réforme profonde d’un environnement commercial généralement considéré comme l’un des plus défavorables de la planète.

Dans un rapport conjoint sur la compétitivité des pays arabes, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et le Forum économique mondial en appellent à une réforme institutionnelle urgente afin de favoriser la croissance du secteur privé. Les lourdeurs administratives ainsi que l’application inefficace des politiques concurrentielles et des règles de gouvernance mettent à mal l’esprit d’entreprise dans l’ensemble de la région. Des investissements massifs sont également nécessaires dans le domaine de l’éducation, afin d’éradiquer les profondes poches d’analphabétisme, d’améliorer les niveaux de compétences globaux, ainsi que de permettre une meilleure rencontre entre les compétences et la demande du marché.

Étonnamment peut-être, il règne dans les pays de l’Éveil arabe un consensus généralisé selon lequel le secteur privé constituerait une composante centrale de la création d’emploi et de la croissance à long terme. C’est ce que nous avons pu constater récemment lorsque la BERD, en collaboration avec l’organisation britannique Forward Thinking, a organisé un atelier à huis clos auprès de 27 représentants majeurs de partis issus de l’ensemble du paysage politique de la région. Ces deux journées de discussions intenses ont révélé d’importantes divergences de points de vue, mais également de nombreux points communs.

Le développement du secteur privé évoque des aspects clairement différents selon les individus. Les partis de droite sont largement partisans du concept de libre marché, les Frères musulmans d’Égypte ainsi que leurs partis apparentés en Lybie et en Tunisie éprouvant quant à eux un profond scepticisme à l’égard de l’État, qu’ils considèrent comme pléthorique, inepte, et en fin de compte corrompu. En outre, les banques existantes ont échoué à satisfaire les électeurs de ces partis, notamment les propriétaires de petites entreprises et d’exploitations agricoles. La réalisation rapide d’objectifs ambitieux de croissance inclusive et de création d’emploi s’avérera extrêmement difficile sans la présence d’un État efficace, et sans recours à un système bancaire.

Il ne fait aucun doute que la responsabilité principale de la construction du système politique de ces pays ainsi que de la réforme de leur économie incombe aux citoyens de ces États. L’intervention extérieure a laissé de trop nombreuses cicatrices dans la mémoire collective de l’opinion publique. La région pourrait néanmoins s’inspirer de la transition réussie qui s’est jouée en Europe centrale, ainsi que du solide point d’ancrage que l’accession de ces États à l’Union européenne a fourni aux réformes. Difficile d’accuser des États comme la Hongrie ou la Pologne de faire preuve d’arrière-pensées lorsqu’ils partagent leur expérience de développement. Il y a également beaucoup à apprendre de pays comme la Turquie, qui est parvenue à instaurer un secteur privé dynamique et innovant.

La bonne nouvelle, c’est que les économies des États de l’Éveil arabe ne souffrent pas des distorsions profondes qui caractérisaient l’Europe post-communiste. Plusieurs réformes initiales ont d’ores et déjà été appliquées, sans oublier la présence de systèmes bancaires raisonnablement aboutis. Dans l’Europe post-communiste, il avait été nécessaire de bâtir les banques à partir de zéro, sur les décombres du communisme.

Ainsi, bien que l’incertitude politique soit vouée à peser sur la croissance économique, les États de l’Éveil arabe ne devraient pas avoir à faire face à cette récession de transition dont a souffert l’Europe post-communiste dans les années 1990. D’un autre côté, ils auront peu de chance de bénéficier de la solide croissance dont les pays européens en transition firent par la suite l’expérience.

Jafar a raison lorsqu’il affirme que les pays de l’Éveil arabe ont besoin d’un plan. Mais il devra s’agit d’un plan en faveur d’une croissance inclusive alimentée par le secteur privé, et d’un plan soutenu par les efforts de l’ensemble du monde arabe et de l’UE. Plus important encore, il devra s’agir d’un plan qui n’appartienne qu’aux États eux-mêmes, et repose sur une approche qui reconnaisse le rôle critique d’un État efficace et d’un secteur financier catalyseur. La transition sociopolitique qui se joue aujourd’hui, sous-tendue par la reconnaissance publique généralisée d’un besoin de changement, offre une opportunité historique d’amorcer des réformes tournées vers la croissance.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2013

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