La menace envers la marque de la Banque centrale

Le 6 juin 2013 à 9h26

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

  NEW YORK – Le « marquage » des opérations des Banques centrales contemporaines a commencé aux Etats-Unis au début des années 1980 sous la férule de Paul Volcker, alors Président du Conseil d'administration de la Réserve Fédérale.    

Face à une inflation anormalement aigue et affaiblissante, Volcker lui a déclaré la guerre et a remporté la victoire. En provoquant un phénomène tendanciel de désinflation, il a fait plus que modifier les perspectives et le comportement économique. Il a également grandement amélioré l'image de la Fed auprès du grand public, des marchés financiers et des cercles politiques.

La victoire de Volcker a été institutionnalisée par la législation et par les pratiques qui ont accordé aux banques centrales une plus grande autonomie, voire dans certains cas l'indépendance formelle quant à certaines contraintes politiques de longue date. Aux yeux de nombreuses personnes, les banques centrales représentent aujourd'hui un pouvoir fiable et responsable. En d'autres termes, on a pu leur faire confiance pour faire le bon choix et elles ont tenu leurs promesses.

Comme tout chef d'entreprise vous le dira, les marques peuvent être d'importants facteurs de comportement. Une marque est pour l'essentiel une promesse. Et les marques puissantes tiennent systématiquement leurs promesses : que ce soit sur la qualité, le prix ou l'expérience. Dans certains cas, les consommateurs sont réputés agir en fonction de la seule force de la marque, achetant même un produit en disposant de très peu d'informations à son sujet.

En effet, les marques envoient des signaux qui facilitent la tâche. Dans certains cas particuliers (par exemple Apple, Berkshire Hathaway, Facebook et Google) elles ont aussi agi comme un catalyseur important de modification des comportements. Dans le processus, elles creusent souvent un fossé qui dissocie essentiellement les données économiques fondamentales et la tarification.

En s'appuyant sur le succès de Volcker, les banques centrales occidentales ont utilisé leur image de marque pour aider à maintenir une inflation faible et stable. En signalant leur intention de limiter les tensions sur les prix, elles auraient influencé les prévisions d'inflation et essentiellement convaincu de cette manière le public et le gouvernement à faire le gros du travail.

Les banques centrales face aux défaillances du marché

Pourtant au cours des dernières années, la menace de l'inflation n'a pas été un problème. Au lieu de cela, les banques centrales occidentales ont dû faire face aux défaillances du marché, aux systèmes financiers fragmentés, à l'obstruction des mécanismes de transmission de la politique monétaire et à la croissance lente de la production et de l'emploi. Faisant face à de plus grands défis pour atteindre les résultats escomptés, elles ont essentiellement poussé à la limite leurs mesures et leur pouvoir de marque.

C'est ce qui ressort de l'orientation agressive des banques centrales sur la communication et l'orientation de la ligne politique. Toutes les deux ont été utilisées plus largement (en effet, à des niveaux extrêmes) pour compléter l'expansion non conventionnelle des bilans dans le contexte des pièges à liquidité.

Maintenant les dirigeants d'entreprise vous diront aussi que la gestion de marque est une affaire délicate. Il est particulièrement difficile de maintenir ou de contrôler une surchauffe de l'opinion publique.

C'est ce qui est arrivé cette année à l'action Apple. Comme l'a brillamment expliqué Guy Kawasaki dans son livre sur cette entreprise, la marque a créé pour l'essentiel « de l'enchantement ». En extrapolant cela en une vue du marché où Apple pourrait non seulement innover en permanence, mais aussi repousser tous ses concurrents, les investisseurs ont porté le cours des actions de la société vers des sommets vertigineux.

Ailleurs en Californie, Facebook a découvert que sa marque alimentait un énorme battage publicitaire pour l'offre publique initiale de la société. Encouragés par l'excitation des investisseurs et des indications de sursouscription, les souscripteurs ont fait grimper le prix de l'IPO bien au-delà de ce qu'ils avaient d'abord jugé raisonnable. En mettant il y a un an les actions sur le marché à un prix gonflé, les actions se sont négociées dans un premier temps à un prix encore plus élevé.

Dans ces deux cas comme dans beaucoup d'autres, le pouvoir de la marque a fait plus que conduire à un comportement de prix déconnecté des données économiques fondamentales : elle a aussi causé une surchauffe dangereuse qui, une fois inversée par la suite, a causé du tort à la marque.

Cependant les marques puissantes ne peuvent dissocier les prix des données économiques fondamentales totalement et pour toujours. En conséquence et malgré une relance importante du marché qui a porté de nombreuses actions individuelles à des niveaux records, Apple et Facebook se négocient actuellement à près de la moitié de leur niveau record. Leur domination et leur influence ne sont plus incontestées.

Les banques centrales occidentales devraient passer un peu de temps à méditer sur ces expériences. Certaines ont activement encouragé les marchés à porter les prix de nombreux actifs financiers à des niveaux que ne justifient plus les données économiques fondamentales. D'autres ont résisté passivement. En effet, il semble que seuls les départs en retraite des dirigeants des banques centrales, comme que Meryvn King de la Banque d'Angleterre, soient prêts à susciter l'inquiétude de l'opinion publique.

Ce comportement est compréhensible. Les banques centrales espèrent en général que le battage publicitaire sur les marchés financiers puisse à lui seul aider à tirer les données économiques fondamentales vers le haut. L'idée que le prix des actions déclenchera « l'effet de richesse » et « les esprits animaux » incite de ce fait les consommateurs à dépenser plus et les entreprises à investir dans la future capacité.

Je fais partie de ceux qui s'inquiètent de cette situation. Loin de vivre dans le meilleur des mondes possibles, les dirigeants des banques centrales sont contraints à une dépendance prolongée sur des approches imparfaites. De mon point de vue professionnel, je détecte un risque croissant de dommages collatéraux et de conséquences inattendues.

Les signaux du marché sont plus déformés, ce qui alimente une mauvaise allocation des ressources. Les investisseurs multiplient les prises de risques à des prix de plus en plus hauts. Les investissements fondés sur les données économiques fondamentales cèdent la place à une recherche effrénée des bonnes affaires relatives dans un monde financier de plus en plus cher.

Tout cela n'aura pas beaucoup d'importance si les banques centrales restent à la hauteur de leur réputation en tant qu'institutions responsables et puissantes qui tiennent leurs promesses économiques. Mais si elles n'y parviennent pas, essentiellement parce qu'elles ne reçoivent pas le soutien nécessaire des politiciens et d'autres décideurs, alors la baisse impliquera plus que des attentes déçues. Elles auront matériellement mis à mal leur réputation et par conséquent, l'efficacité future de leur prestige politique.

En s'étendant bien au-delà de leur zone de confort, les banques centrales d'aujourd'hui s'exposent à des risques inhabituels de gestion de marque. Leur capacité passée à tenir leurs promesses et à répondre aux attentes fait que les marchés financiers d'aujourd'hui prennent la fixation des prix à terme à des niveaux qui dépassent les promesses que les dirigeants des banques centrales peuvent raisonnablement tenir à eux seuls.

Il ne s'ensuit pas que les banques centrales doivent immédiatement mettre fin à leurs mesures non conventionnelles d'hyper-activisme. Mais c'est qu'elles devraient être beaucoup plus ouvertes sur les limites inhérentes à l'efficacité de leurs mesures dans les circonstances actuelles.

Les dirigeants des banques centrales occidentales doivent s'exprimer beaucoup plus et, nous l'espérons, devenir plus convaincants en faisant pression sur les politiciens et sur les autres décideurs. Sinon, au risque de graves dommages envers leur marque, ils finiront par ajouter encore une autre tâche à une somme de défis déjà colossale pour la prochaine génération.

Traduit de l'anglais par Stéphan Garnier.

© Project Syndicate 1995–2013

 

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