Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Il était une fois, “l’été 55”

Le 26 janvier 2024 à 13h02

Modifié 26 janvier 2024 à 14h36

Raconter et traiter de l’Histoire, lorsqu’on est un cinéaste, et non un historien, est une entreprise délicate et semée d’embuches. Elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de la traiter sous l’angle de la reconstitution d’un passé proche ou lointain.

Toute reconstitution pour plonger dans le passé est une reconstruction du temps de cette Histoire ; et, très souvent, anachronismes, incohérences et faux décors sont le lot d’un tel exercice. De plus, sur le plan narratif et dramaturgique, le déroulement et la teneur factuelle des événements du récit portent sur une histoire que le public, contrairement à la fiction, connaît déjà ou identifie, et ne s’attend dès lors à aucune surprise.

Dans son dernier film, Fès, été 55, Abdelhaï Laraki, s’il a bien été obligé de passer par l’exercice de production − financièrement difficile − de la reconstitution historique, il a bien su éviter le piège du récit historiographique en recourant à une narration fictive et subjective à travers le regard d’un enfant. Il a été ici en accord avec ce qu’écrit l’historien et théoricien du cinéma Marc Ferro, car "ainsi avec des faits imaginaires, l’artiste retranscrit le vrai, rend l’histoire intelligible" (Cinéma et Histoire, Gallimard, Folio, 1993).

L’été de l’année 1955 de l’histoire du Maroc sous le protectorat fut, à Fès, comme partout ailleurs dans le pays, l’été de tous les dangers. Le Sultan Mohammed V est déporté et exilé sur l’île de Madagascar deux ans auparavant, le pays est en ébullition et la lutte pour l’indépendance est en marche. La résistance de la population, menée par de jeunes leaders nationalistes, est mise à rude épreuve, et attend, révoltée et anxieuse, le moment de l’émancipation. C’est cette période charnière de l’histoire du Maroc que le cinéaste a choisie pour livrer des scènes de résistance dans la médina de Fès. Le fil rouge est un enfant, Kamal, qui traverse la vieille cité de terrasse en terrasse, à la fois comme messager à son insu et témoin ignorant tout sur la teneur de l’histoire qui s’écrivait sous ses yeux.

L’auteur du film, dans cette évocation plus ou moins autobiographique d’une partie de son enfance à Fès, tient à mettre en avant la participation de la femme dans la lutte pour l’indépendance et investit les femmes, notamment  Aïcha, de rôles importants et positifs dans une distribution et un jeu d’acteur bien réussis et très diversifiés.

En effet, il n’y a pas que les Fassis pure souche qui mènent le combat, mais aussi des résistants issus d’autres régions du pays. De plus, le cinéaste ne passe sous silence ni la collaboration éhontée de certains habitants de la médina, ni la lâcheté ou les velléités d’autres protagonistes. Certes, il y a parfois des séquences et quelques dialogues forcés qui relèvent d’un didactisme assumé que le cinéaste veut probablement insuffler, et qui sont destinés au jeune public. Mais cela n’est pas plus mal quand on sait que nous avons si peu d’images ou de récits sur notre histoire, même la plus contemporaine. Il reste que le film historique de Laraki est plus qu’une collection d’images vraisemblables du passé ou un catalogue de faits et d’informations, prétexte et toile de fond, d’une intrigue. C’est une belle et nouvelle expérience cinématographique marocaine réussie (cette fois-ci) pour revisiter un passé colonial, non pour le reconstituer ou le simplifier, mais afin d’y réfléchir tout en sensibilisant ceux qui l’ignorent ou d’autres qui s’en affranchissent.

Par ailleurs, Laraki a su filmer la médina de Fès en la présentant comme un site urbain historique et esthétique. Mais il lui a conféré, en sus, un rôle de protagoniste au même titre que les autres, mais sans la tentation pour la carte postale à laquelle céderait tel cinéaste nostalgique ou fasciné par le mystère tortueux de ses mille et une ruelles et venelles.

Enfin, l’auteur de Fès, été 55 a introduit dans sa narration historique le récit des premiers émois et l’attirance de cet enfant voltigeur des terrasses pour l’héroïne − dans tous les sens du mots − Aïcha qui, de son coté, entretient et nourrit une passion pour le leader rifain de la résistance. Tout cela confère au film des moments de respiration qui dédramatisent, humanisent et romantisent les autres séquences plus ou moins violentes du scénario.

Certes, le film a essayé de gérer la reconstitution historique et de compenser par le talent et l’art l’effort budgétaire considérable que nécessite toute production d’œuvre historique. Les costumes et les décors intérieurs sont beaux et bien exécutés. Quant aux extérieurs, la médina et ses terrasses demeurent encore tels qu’en eux-mêmes ; l’éternité, Dieu merci, les préserve de tout anachronisme. Reste peut-être la faiblesse et le traitement (dialogues et humour gras surjoués) peu convaincant dans la reconstitution du rôle et du nombre de forces d’occupation et de leur déploiement : policiers, soldats, goums et autres légionnaires en présence. Mais cette carence n’enlève rien aux autres qualités majeures de ce film, qui va compter dans la filmographie marocaine du genre historique ; un genre dont le nombre, hélas, ne dépasse pas les doigts d’une main, mais que ce film vient enrichir et y briller de mille feux.

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