Mehdi Michbal

Etat social et hausse du chômage : l’effet pervers des aides directes

Le 15 mai 2024 à 15h44

Modifié 16 mai 2024 à 7h03

Avec le déblocage en décembre dernier des aides sociales directes à plus de 3 millions de familles, l’économie marocaine se voit désormais confrontée à un nouveau phénomène, qui va aller crescendo : le chômage volontaire.

Le concept est simple et n’est pas du tout nouveau dans la littérature économique : quand un Etat instaure des aides sociales aux populations à faible revenu, avec un système de protection sociale gratuit comme l’AMO Tadamoun, les gens commencent à faire un arbitrage entre travail et inactivité, celle-ci étant désormais rémunérée directement et indirectement. Et plus les qualifications de la personne sont faibles, son salaire potentiel en cas d’activité est bas, plus l’arbitrage est fait en faveur d’une situation volontaire d’inactivité, ou du moins de chômage déclaré.

Chômage volontaire

Des pays développés qui ont instauré depuis des décennies des systèmes sociaux similaires ont vécu cette expérience. C’est le cas de la France, de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de l’Allemagne ou des pays nordiques. Dans ces pays-là, et tout particulièrement en France, nation la plus généreuse en termes d’assistance monétaire à la population à faible revenu, ce phénomène a toujours été un sujet de grand débat politique, entre un courant de droite qui fustige l’effet de l’assistanat sur le marché du travail et les entreprises, et un courant de gauche qui milite pour le maintien des minima sociaux, voire leur augmentation, niant tout effet pervers sur l’emploi.

Les données montrent pourtant bel et bien que les effets sont là. En France par exemple, plus de 300.000 postes d’emploi sont à pourvoir selon les chiffres de l’agence locale de l’emploi, France Travail. Mais les candidats ne se bousculent pas au portillon, préférant le loisir rémunéré au travail, et le taux de chômage culmine toujours à plus de 7%, le double de celui de pays comparables en Europe. Ce qui a poussé le gouvernement actuel à lancer une grande réforme des minimas sociaux, impopulaire mais qui paraît nécessaire pour résoudre ce paradoxe économique, empruntant la voie de pays comme la Grande-Bretagne ou encore l’Allemagne qui, en conditionnant au début des années 2000 le versement des aides sociales à l’obligation d’accepter tout emploi qui s’offre à la personne concernée, ont pu réduire le chômage de plusieurs points, atteignant même sur certaines années des situations de plein emploi.

Un paradoxe qui arrive au Maroc

Au Maroc, l’on commence un peu à vivre ce même paradoxe avec les débuts de ce que l’on appelle chez nous l’Etat social. Plusieurs grandes entreprises dans les secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire ou du BTP nous ont déclaré avoir d’énormes difficultés à recruter des saisonniers ou des employés permanents depuis quelques mois. Nous ne sommes pas encore dans la situation où les gens préfèrent l’inactivité au travail, du fait de la faiblesse des aides versées par l’Etat par rapport au salaire minimum (SMIG ou SMAG), mais la majorité des candidats à l’emploi dans ces secteurs exigent qu’ils ne soient pas déclarés aux services de l’Etat pour maintenir le scoring qui leur permet de rester éligibles aux aides sociales étatiques et à la gratuité de l’assurance maladie.

Où l'on prégère le travail déclaré au travail au noir

Au Maroc, pour l’instant, on préfère donc, selon les témoignages recueillis auprès de plusieurs gros employeurs, le travail au noir au travail déclaré. Le hic, c’est que toutes les entreprises ne peuvent recruter au noir des agents saisonniers ou permanents en masse et, par conséquent, sont obligées de tourner au ralenti en attendant des jours meilleurs.

Des experts du marché du travail nous disent également que ce phénomène nouveau d’arbitrage entre inactivité désormais payée et travail disqualifiant du système des aides sociales et de l’assurance maladie gratuite y est pour quelque chose dans la hausse vertigineuse du taux de chômage ces trois derniers mois.

La hausse du taux de chômage est certes liée en grande partie à des effets conjoncturels, sécheresse en premier lieu. Mais cette trappe à l’inactivité doit y être pour quelque chose également, puisque les enquêtes du HCP sur le marché de l’emploi se basent, comme toutes les enquêtes mondiales dans le domaine, sur des sondages auprès de la population en âge de travailler. Avec l’entrée en vigueur du système des aides directes, la tentation de se déclarer en situation de chômage ou d’inactivité devient grande, les gens craignant que leur déclaration (pourtant anonyme) au HCP ne se retrouve entre les mains des services de l’Etat. Un risque qui n’existe pourtant pas, comme nous le confirment des sources au HCP.

Fausses déclarations et chômage volontaire ou artificiel sont devenus des données à prendre en compte dans la compréhension des tendances du marché du travail au Maroc. Et elles seront encore plus impactantes dans les mois et années à venir au fur et à mesure que le dispositif social de l’Etat ira en se renforçant, avec la mise en place de l’indemnité pour perte d’emploi et de la pension universelle de retraite.

Essayer de comprendre, rendre le travail plus attractif

Que faut-il faire ? D’abord essayer de comprendre l’ampleur de ces effets pervers de l’Etat social sur l’emploi, en lançant dès à présent des études empiriques sur le sujet. La data existe, il faut la compiler sur plusieurs années, l’analyser, mesurer avec précision l’impact des aides instaurées par l’Etat sur le marché du travail et les chiffres du chômage et effectuer les calculs de sensibilité qui vont avec...

Une condition sine qua none pour faire ce que d’autres pays ont fait avant nous : accompagner le système des aides à la population par des carottes à l’emploi, pour rendre le travail attractif et faire basculer l’arbitrage des bénéficiaires des aides sociales en faveur du travail. Cela peut prendre la forme d’une prime d’activité pour les personnes au chômage qui se déclarent en situation d’emploi, des aides pour le retour à l’emploi, un système d’accompagnement et de suivi des personnes touchant les minima sociaux pour les insérer sur le marché du travail… Le tout accompagné d’un conditionnement des aides à l’obligation d’accepter tout offre d’emploi "convenable" qui se présente au candidat.

Cela suppose la création d’une agence de travail ou une réforme de l’ANAPEC qui serait un peu cette bourse du travail en contact permanent avec les bénéficiaires des aides sociales, pour les aider d’abord à trouver un emploi et lutter contre les situations de chômage volontaire en cas de refus du candidat d’accepter une ou plusieurs offres d’emploi qui lui sont faites. Un peu comme le principe du work first anglais qui conditionne la poursuite du versement des minima sociaux à l’obligation pour le bénéficiaire d’accepter les offres d’emploi qui lui sont présentées.

Cette intervention étatique ne sera pas suffisante à elle seule pour éradiquer le phénomène, puisque le marché doit jouer aussi (et en principe) son rôle de régulateur. Si des gens préfèrent aujourd’hui une situation de chômage au travail, c’est qu’ils estiment que le salaire versé n’est pas assez intéressant pour justifier une mobilisation de sa force de travail et la sortie du dispositif des aides étatiques. Dans un marché efficient, où le jeu de l’offre et de la demande est parfait, les salaires doivent s’ajuster de manière mécanique à la hausse pour créer cet intérêt pour le travail.

Nous ne sommes en tout cas qu’au commencement d’une nouvelle vague de chômage (réel et artificiel) qui va aller en se renforçant dans les prochaines années. Le débat sur les effets pervers de l’État social peut paraître aujourd’hui prématuré. Mais il s’imposera à coup sûr dans le débat politique et économique dans le Maroc de demain, qui devra trouver le bon équilibre entre l’attractivité du travail et l’assistanat.

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