Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Donner sa langue au Chat

Le 16 juin 2023 à 15h24

Modifié 16 juin 2023 à 15h24

Chez nous, comme ailleurs dans la région, une large partie de la génération née avant l’avènement de l’ordinateur, d’internet, des réseaux sociaux et aujourd’hui de Chat GPT et tout le toutim, donne, en la matière, sa langue au chat, l’autre chat, le matou quoi.

"Tout ordre est langage", écrivait Aristote dans ses écrits physiques et sa philosophie de la nature. Restons donc dans l’ordre et le langage pour simplement rappeler que le terme ordre a donné le mot "ordinateur" à partir de sa racine latine "ordinat" ; et que l’ordinateur à son tour a apporté son propre langage, ou plus exactement ses langages informatiques, lesquels, selon les experts dont je ne suis pas, sont au nombre de 10 et répondent à divers petits noms qui vont de l’âpre acronyme HTML au joli prénom de Julia, en passant par le redoutable Python, le mélodieux Scala ou le véloce Swift.

Tout cet incipit intello et faussement érudit pour dire que tout est langage et que chaque invention crée un nouvel ordre et donc un nouveau langage qui lui est propre. A nous autres béotiens, donc, de nous y adapter ou de périr dans l’ignorance crasse et l’analphabétisme technologique, aussi appelé illectronisme, et qui est à l’équivalent d’illettrisme lorsqu’on veut passer sans crier gare de la planche coranique du m’sid à la tablette électronique de l’IPad.

Chez nous, comme ailleurs dans la région, une large partie de la génération née avant l’avènement de l’ordinateur, d’internet, des réseaux sociaux et aujourd’hui de Chat GPT et tout le toutim, donne, en la matière, sa langue au chat, l’autre chat, le matou quoi. Comme si le malin félin connaissait les dix langages informatiques, Julia Scala, Swift sus mentionnés. Quoique en y réfléchissant un peu, on sait pourquoi l’on donne depuis peu, et de plus en plus, sa langue au Chat, cette fois-ci, lorsque l’on ne connaît pas la réponse. Mais ça c’est une autre histoire, ou peut-être la même car voilà un autre ordre qui a lui aussi créé son propre langage. Ici, l’Ignorant, l’assoiffé de connaissance ou le simple glandeur oisif et incompétent donnent, justement, l’ordre au Chat en le sommant de répondre à diverses questions et requêtes. Le Bot repu de données piquées un peu partout s’exécute et obéit au doigt et à l’œil et même à la langue.

"Dessine-moi un mouton !", supplie l’Ignorant. Non, ça on ne peut pas, c’est déjà fait, réplique le Bot agacé. C’est la célèbre phrase extraite d’un livre, ajoute le Chat dont l’intelligence, quoi qu’artificielle et encore superficielle, reconnaît que l’ouvrage est bien fait et bien écrit dans un style simple, enfantin et faussement naïf par un certain Antoine de Saint-Exupéry, pilote de son état. Il l’a écrit lui-même, ironise le Bot, tout seul comme un grand entre deux vols de nuit et l’a intitulé tout simplement : Le Petit Prince. C’est l’ouvrage le plus vendu et le plus traduit au monde après la Bible.

Dans ce cas, insiste l’Ignorant, écrit-moi un poème ! Le Bot se tait. Il phosphore. Sur l’écran vide que sa "blancheur défend", le curseur tremblote au début de la ligne invisible d’un texte à extirper du néant numérique… Comme le Bot a des lettres et de la culture, il est tenté de répondre en citant Mallarmé et son fameux poème Brise marine dont le premier vers est exhalé comme un soupir : "La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres." Mais il se reprend, hésite, jauge l’Ignorant mal assis sur une chaise, introduit un émoji au sourire malicieux et détourne facétieusement le vers mallarméen pour donner à lire ceci : "La chaise est vide, hélas ! et j’ai bu tous les litres."

Pour conclure plus prosaïquement mais toujours à propos de la dictée orale qui deviendra écriture, faut-il rappeler que les écrivains d’antan et de jadis n’écrivaient pas eux-mêmes leurs livres ? Les auteurs latins, grecs ou arabes n’usaient ni de plumes, ni de parchemins et n’écrivaient que rarement leurs textes de leur main. Ils avaient des scribes et des esclaves pour accomplir cette tâche subalterne considérée comme une basse besogne. Montaigne dictait, Voltaire avait des secrétaires qui prenaient note, de même que Chateaubriand ou Stendhal qui aurait dicté son roman La châtreuse de Parme en trois semaines.

Savoir tout cela va-t-il consoler l’Ignorant et tous ceux qui sont tentés de se faire écrire par les autres sans se triturer les méninges en se faisant des nœuds dans le cerveau, ni avoir la bosse de l’écrivain ? A ce propos, la définition que livre Wikipédia (Thanks Wiki !) de cette dernière vaut la peine d’être rappelée, au risque de passer pour ce que j’appellerais un "Wikipédant compulsif" : "On appelle bosse d’écriture (ou boule de l’écrivain) une bosse pouvant apparaître sur (le doigt) le majeur des personnes faisant un usage régulier et intensif d’outils d’écriture tels que le stylo ou le crayon. Cette bosse peut disparaître avec la diminution de l’écriture."

Il ne faut donc pas s’inquiéter, puisqu’il suffit d’arrêter d’écrire pour en guérir. Comme l’écriture et les écrits tirés directement du cerveau diminuent de plus en plus et sont appelés à disparaître complétement, il n’y aura plus jamais ni bosse sur le doigt, ni nœuds dans le cerveau. Cependant, n’est-il pas vrai, d’après une loi biologique évolutionniste, que la disparition d’une fonction entraîne celle de l’organe ?

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