Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

De Harvard à Sciences Po, la révolte des campus pour la Palestine

Le 6 mai 2024 à 16h57

Modifié 6 mai 2024 à 16h57

Ils sont matures et précoces ces étudiants qui meublent les campus des célèbres universités américaines en soutien à la Palestine. Quelques jours après l’attaque du Hamas en octobre 2023, ils étaient déjà trente-cinq organisations d’étudiants à Harvard à adresser un courrier à l’administration pour dénoncer le génocide qui s’annonçait à Gaza. Ils y expliquaient que ce qui s’est passé n’est pas venu du néant. Ils qualifiaient Israël de régime d’Apartheid, dont la violence structure tous les aspects de l’existence palestinienne depuis soixante-quinze ans.

Parmi les groupes qui ont signé la lettre qui allait mettre le feu dans les campus américains, et bien au-delà, se trouvent les associations les Juifs de Harvard pour la libération, l’Association des étudiants de droit sud-asiatique, Justice for Palestine, ainsi que plusieurs autres groupes issus de plusieurs départements dont la Faculté de droit de Harvard. Dans leur missive on pouvait lire : nous les organisations étudiantes soussignées, tenons Israël pour entièrement responsable de la violence qui se déroule en Palestine, et attirons l’attention sur le fait que les Palestiniens vivent dans une prison à ciel ouvert et n’ont nulle part où s’enfuir.

Cette correspondance avertissait déjà de ce qui allait advenir de ces milliers de civils palestiniens contraints de subir de plein fouet la violence répressive israélienne. La maturité politique des étudiants a pu prédire, à l’avance, le massacre de masse qui pointait son nez et qui n’a épargné ni femmes, ni enfants, ni vieillards. Ces étudiants ont parfaitement appris la leçon. À chaque confrontation, Israël en sort vainqueur, recevant plus d’appuis, plus de fonds et plus d’armements, pour faire toujours plus de victimes côté palestinien.

La réponse des autorités américaines face à ces expressions démocratiques fut disproportionnée eu égard à la légitimité de leur combat. Le droit de manifester est inscrit dans la Constitution américaine, et leur soutien à la cause palestinienne, estiment-ils, est juste. Par cette justesse, ces manifestations ont essaimé à travers nombre d’universités américaines, de Boston à New York en passant par Chicago, Austin et Los Angeles. Au total, quatre-vingt campus se sont soulevés pour la Palestine. Ils ont fait aussi des émules en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France et dans bien d’autres pays.

Des manifestations qui ont essaimé jusqu’en France

Face à cette large audience, les responsables politiques comme médias américains sont montés au créneau pour s’emparer, à leur tour, de l’événement et critiquer les comportements des étudiants. Pour Joe Biden, les discussions au sein des universités devraient rester démocratiques et sereines, alors que Donald Trump a condamné le mouvement, accusant Biden d’être responsable du chaos installé dans les universités. Certains Républicains ont même exhorté le gouvernement à envoyer la garde nationale dans les campus pour mater les étudiants. Le gouverneur de Floride Ron De Santis a menacé d’expulser chaque manifestant de l’établissement universitaire.

En dépit de toutes ces menaces, les manifestations se sont multipliées aussi bien aux États-Unis que dans les pays européens, notamment en France. Certains hommes politiques, comme Bernie Sanders aux États-Unis ou Jean-Luc Mélenchon en France, ont été critiques vis-à-vis des massacres des Palestiniens et ont soutenu les étudiants dans leur combat. Dans les campus américains, les manifestants exigent, dès maintenant, l’annulation de la cérémonie que présidera Biden le 19 mai au Morhouse College d’Atlanta en Géorgie.

Pourtant, les étudiants ne réclamaient que le cessez-le-feu et la suspension des programmes d’échanges avec les universités israéliennes. C’est peut-être trop demander à une administration démocrate qui a dépêché dans plusieurs campus ses forces de l’ordre pour arrêter les faiseurs de troubles. Des professeurs qui apportaient leur soutien à leurs étudiants ont également été molestés sans scrupules. Il fallait, coûte que coûte, réduire l’intensité de ces soulèvements dans une année électorale où Biden joue son avenir.

Les Républicains ont fait de ces protestations une occasion de campagne électorale anticipée. Ils sont allés jusqu’à financer un camion flanqué d’un panneau d’affichage diffusant les photos et les noms des étudiants actifs sur les campus sous le titre : "Voici les chefs de file antisémite de Harvard". A Wall Street, des noms de manifestants ont été également diffusés pour empêcher leur futur recrutement. Dans les conseils d’administration de certaines universités, des philanthropes, hier généreux, ont annoncé leur retrait et leur décision de ne plus les financer.

Un usage extensif du récit mémoriel

Aux Etats-Unis comme en Europe, l’arme absolue pour faire mater toute contestation, ou évacuer tout opposant de la scène publique, est de l’accuser d’antisémitisme. Il suffit de brandir ce chef d’accusation à tout vent pour faire taire les manifestants et ceux qui critiquent la politique d’Israël. Sauf que de plus de responsables politiques et intellectuels prennent conscience des dangers que représente l’usage extensif du récit mémoriel sur les communautés juives elles-mêmes et sur le sort injuste réservé au peuple palestinien depuis maintenant des lustres.

Ce sont ces mêmes pratiques observées aux Etats-Unis qu’on retrouve en France. L’objectif final demeure toujours le même, réduire au silence les manifestants qui défendent la cause palestinienne. Cela a été observé aussi dans plusieurs universités françaises où on a essayé d’interdire les réunions propalestiniennes. Mais c’est surtout à l’Institut d’études politiques, Sciences Po, à Paris, où les étudiants ont subi le plus de pression et d’accusations, par l’État comme par certains médias, pour décrédibiliser leur soutien aux Palestiniens.

Il a suffi d’un malentendu entre étudiants, monté en épingle selon plusieurs sources concordantes, pour que les étudiants soient, là aussi, accusés d’antisémitisme. S’en est vite suivies des déclarations de responsables politiques. Au Conseil des ministres, le président Macron a dénoncé des propos inqualifiables et intolérables des étudiants. Son Premier ministre Gabriel Attal, lauréat de cette école, dénonçait pour sa part l’action d’une minorité agissante qui veut imposer une idéologie outre-Atlantique aux étudiants et aux enseignants.

Quant à la ministre de l’enseignement supérieur Sylvie Retailleau, au lieu d’apaiser les esprits, elle a demandé à l’étudiante de porter plainte à l’instar de sa collègue chargée de l’égalité hommes-femmes Aurore Bergé. Même la présidente du Conseil régional Valérie Pécresse s’est mêlée de l’affaire en suspendant tous les financements à Sciences Po. La seule explication qu’elle a pu fournir est qu’une minorité de radicalisés appelant à la haine antisémite, et instrumentalisée par les islamo-gauchistes, ne peuvent dicter leur loi à l’ensemble de la communauté éducative.

Que ce soit aux États-Unis ou en France, ce sont donc les mêmes méthodes appliquées pour faire taire les adversaires et les réduire au silence pour qu’ils n’évoquent plus la tragédie palestinienne. Les principaux outils utilisés dans cette répression sont la coercition par la force, les accusations à l’emporte-pièce d’antisémitisme, et enfin le nerf de la guerre : l’argent. Il suffit de couper dans les budgets et d’arrêter les aides et les subventions financières aux écoles récalcitrantes pour les mettre à genoux.

Devant l’ampleur des manifestations aux États-Unis, le Premier ministre israélien Netanyahu a osé intervenir le 24 avril dernier pour critiquer sévèrement les manifestants dans les campus américains. Il leur a demandé d’y mettre fin sans se soucier qu’il s’immisçait ainsi, et ouvertement, dans les affaires domestiques américaines. Pour lui, ce qui se passe sur les campus est terrifiant parce que des hordes antisémites ont pris le contrôle des campus et appellent à l’élimination d’Israël.

Sûr de lui, Netanyahu clamait haut et fort que les manifestants dans les campus attaquent les étudiants et les enseignants juifs. Cela rappelle, a-t-il dit, ce qui s’est passé dans les universités allemandes durant les années 1930. Il ordonne même d’y mettre un terme. En s’adressant aux étudiants américains de la sorte, il a tout simplement omis l’essentiel, à savoir le triste sort réservé aux survivants palestiniens à Gaza et en Cisjordanie qui émeut, au-delà des campus, la planète entière. C’est cette politique mortifère qu’il a initiée qui alimente l’antisémitisme de par le monde.

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