Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

À bout portant, dans le pays des droits de l’Homme

Le 18 juillet 2023 à 16h24

Modifié 18 juillet 2023 à 16h24

C’est à Nanterre, une banlieue parisienne, où Nahel, un adolescent de dix-sept ans, est abattu de sang-froid le 27 juin dernier par un policier après un refus d’obtempérer. Vive émotion, qui s’est transformée en révolte à travers la France, et ferme condamnation dans plusieurs capitales du monde. Ce crime a même perturbé l’agenda diplomatique de Macron et ternit davantage l’image du pays des droits de l’Homme.

Ce n’est pas seulement le crime en soi qui a mis le feu aux poudres. C’est surtout la manipulation des faits par la police pour camoufler ce crime, qui en est un, qui a déclenché une vague d’émeutes à travers la France. Dans le premier rapport de police, celle-ci affirmait que les agents étaient devant la voiture que conduisait Nahel, et que ce dernier allait foncer sur eux. Une vidéo de la scène, filmée à leur insu, a infirmé ce constat. Elle est devenue, le jour même, virale sur les réseaux sociaux.

Face à cette preuve irréfutable, l’enregistrement de la scène a balayé d’un coup la première version émise par la police qui évoquait un véhicule fonçant vers les agents dans l’intention de les percuter. Les images prises démontrent, au contraire, les deux policiers avec une voiture arrêtée, des policiers penchés sur le conducteur, pistolet à la main, prêts à dégainer. Pire encore, on y entend un agent prononçant la menace suivante : "Tu vas prendre une balle dans la tête."

C’est exactement cette image que la police française aurait voulu gommer de l’enregistrement. Il a suffi d’une banale vidéo d’un passant anonyme pour que la première version de la police tombe à l’eau. Son impact fut catastrophique sur l’opinion publique et sur l’État lui-même. Comment peut-on désormais faire encore confiance à des agents censés défendre la loi et les citoyens, quand ils osent manipuler et altérer la vérité, en présentant une version biaisée d’une scène qui a conduit à la mort d’un adolescent ?

C’est certainement ce mensonge, plus que le décès lui-même, qui a conduit à la révolte généralisée qui a touché tout le territoire français durant plusieurs jours. Ces protestations ont dépassé en gravité celles de 2005, restées comme une référence dans les annales du ras-le-bol des banlieues, contre les injustices et la marginalisation. Des groupes d’émeutiers ont pris le contrôle de leurs quartiers, brûlé des voitures, saccagé autant de magasins que d’administrations publiques.

Mais c’est au niveau international que ces évènements ont eu un impact corrosif sur l’image de la France, déjà détériorée par tant d’errances. Depuis des années maintenant, le monde suit avec inquiétude les débats politiques internes de ce pays, qui tournent le plus souvent sur l’Islam et les musulmans. Tous les maux du pays paraissent résulter de l’immigration devenue trop présente et trop visible. On ne compte plus les thèmes abordés sur les hijabs, niqabs et autres abayas, passant ainsi au second rang les vrais débats sur l’économie et la place de la France dans le monde.

Ces incidents, issus de la révolte des banlieues, ont bousculé l’agenda diplomatique de Macron qui ne pouvait ni honorer ses rendez-vous à l’étranger, ni recevoir d’autres chefs d’État. Il espérait tout au moins que la situation se tasserait avant la fête du 14 juillet à laquelle devait participer le Premier ministre indien Narendra Modi. Durant les émeutes, il avait déjà annulé sa visite d’État en Allemagne, une première dans les relations bilatérales depuis celle de Jacques Chirac en juin 2000.

Des capitales européennes attentives

En Allemagne, les responsables politiques contemplaient de loin la détérioration de la situation. La France est devenue pour eux un excellent laboratoire à observer, et surtout à ne pas suivre, pour éviter toute contamination au pays. Berlin s’étonnait déjà de l’impuissance de Paris à imposer sa loi sur la retraite, pourtant votée, alors que les Allemands l’avaient déjà entérinée sans trop de contraintes. A travers leur presse, les Allemands pointaient cette facilité qu’a la police française d’appuyer sur la gâchette pour assassiner froidement un jeune, et être ainsi à l’origine de la révolte.

Le chancelier allemand, qui ne cache plus ses désaccords avec Macron, s’est dit convaincu que ce dernier trouvera les moyens de faire en sorte que la situation s’améliore et se calme. Il a assuré qu’il ne s’attendait pas à ce que la France devienne si instable. "Nous devons tout faire pour que le vivre ensemble de nos sociétés fonctionne convenablement", a-t-il conseillé. Berlin, comme les autres capitales européennes, craint que ces événements aient un impact sur les autres communautés étrangères à travers toute l’Union.

Dans les autres pays européens, ces événements de révolte en France ont été exploités soit pour montrer les dangers de l’immigration, soit pour critiquer ouvertement la gestion du gouvernement français. Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a invoqué, lors du Conseil européen, les violences en France pour justifier sa politique anti-immigration. Son homologue hongrois Victor Orban a lui aussi remis en cause la politique européenne commune sur l’asile.

En Italie, où l’extrême droite coiffe le gouvernement, le vice-président du Sénat Maurizio Gasparri a taclé le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin qui, autrefois, lui donnait des conseils pour que l’Italie gère mieux les flux migratoires. "Darmanin, si tu veux un coup de main, je te donne mon numéro de téléphone sur lequel tu peux me joindre", lui a-t-il lancé avec moquerie. En Europe, là où règne l’extrême droite, les troubles en France ont été du pain béni pour justifier les politiques anti-migratoires.

Des critiques qui fusent jusqu’en dehors de l’Europe

C’est un autre son de cloche que l’on a entendu hors de l’Europe. La mort de Nahel et la répression contre les manifestants n’ont pas laissé certains gouvernements indifférents. Pour le président turc Erdoğan, les violences en France trouveraient leur origine dans le racisme culturel français qui s’est transformé en racisme institutionnel. Il a affirmé cependant que le pillage des magasins et les troubles urbains ne peuvent servir à réclamer justice. Il a conseillé les autorités françaises à tirer les leçons de cette explosion sociale.

Même son de cloche en Iran, autre pays souvent critiqué par la diplomatie française. Son gouvernement a dénoncé les relations discriminatoires entretenues par l’État français avec sa population étrangère. "Nous recommandons au gouvernement français, et à sa police, de prêter attention aux demandes des manifestants", a déclaré le gouvernement iranien. Pour tous ces pays qui subissaient les critiques de la France concernant la situation des droits de l’Homme, l’occasion était toute trouvée pour user du même subterfuge.

Toutes les critiques observées à l’égard de la France découlent naturellement des tensions politiques accumulées depuis longtemps avec Paris, et des différends bilatéraux dans lesquels la France semble empêtrée et auxquels elle paraît incapable de remédier. Certaines capitales n’ont pas hésité, elles aussi, à saisir l’occasion des révoltes en France pour lui reprocher ses contradictions et de ne pas faire assez pour protéger les communautés étrangères vivant sur son propre sol.

Une aubaine pour l’Algérie

Mais c’est à l’Algérie que la mort de Nahel et l’embrasement des quartiers de certaines villes françaises semblaient bien profiter. Alger n’a pas hésité à saisir l’origine algérienne de Nahel pour l’instrumentaliser et récupérer cette tragédie dans l’objectif de déstabiliser le gouvernement Macron. Pourtant, ce dernier a tout fait pour améliorer les relations avec les dirigeants algériens. L’annulation de la visite du président algérien à Paris, qui n’a pas pu se dérouler selon le schéma voulu par les militaires algériens, a tout fait basculer.

Le communiqué de la diplomatie algérienne, diffusé trois jours après la mort de Nahel, est on ne peut plus critique à l’égard de la France. Il commence d’abord par présenter les condoléances à la famille du défunt et leur assure que leur deuil est partagé par tous les Algériens. Il s’adresse après au gouvernement français pour lui demander d’assumer pleinement son devoir de protection et de sécurité dont doivent bénéficier les Algériens. Si le Quais d’Orsay s’est abstenu d’y répondre, les partis politiques français de droite et d’extrême droite ont, par contre,  sévèrement critiqué l’intrusion d’Alger dans les questions domestiques de l’Hexagone.

Mais en Algérie la vraie position de l’État est souvent relayée par la presse locale qui, unanimement, répand les mêmes éléments de langage et donne les véritables raisons à la position de leur gouvernement. Pour le quotidien Le Soir d’Algérie, "certains élus français veulent interdire à notre pays le droit d’exprimer solidarité et compassion envers les émigrés". Ceci n’est pas de l’ingérence selon ce journal. "L’ingérence, c’est quand la France s’attribue le droit de nous donner des leçons sur la manière de traiter certains faits politiques en Algérie."

L’ingérence, selon ce quotidien, c’est avoir le culot d’enlever en Tunisie une Franco-algérienne, Amira Bouraoui, pour la sauver, paraît-il, de la justice algérienne. Normal qu’ils se sentent concernés par le sort de cette dame, et pas normal que nous exprimions notre devoir de solidarité envers la famille de Nahel. Plusieurs organes de presse algériens, porte-parole des militaires, ont développé ouvertement la même rengaine. La position algérienne de soutien à Nahel et sa dénonciation de la répression en France n’est qu’une vengeance contre Paris.

Ce communiqué, ainsi que les critiques anti-françaises qui ont fusé à travers la presse algérienne, sont intervenus quelques semaines après que le gouvernement algérien a rétabli, par décret présidentiel, un couplet hostile à la France dans l’hymne national. Lors des manifestations et des émeutes qui se sont déclenchées en France après la mort de Nahel, de jeunes algériens affichaient fièrement le drapeau algérien pour signifier leur véritable appartenance. La France traînera, pour longtemps encore, les conséquences de sa colonisation, de sa décolonisation, et de ses largesses avec l’Algérie.

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