Document. Tunisie: L'incroyable récit du départ de Benali

RECIT EXCLUSIF. Médias24 a rencontré deux parmi les anciens plus proches collaborateurs de Ben Ali. Contrairement à l'info qui s’est répandue, Benali ne s’est pas enfui. Il n’a pas non plus été poussé de force dans un avion. Voici la réalité telle que nous l’avons reconstituée, avec les conclusions qui nous paraissent s’imposer, 7 ans jour pour jour après la chute de Benali.

Document. Tunisie: L'incroyable récit du départ de Benali

Le 14 janvier 2018 à 0h00

Modifié le 11 avril 2021 à 2h44

RECIT EXCLUSIF. Médias24 a rencontré deux parmi les anciens plus proches collaborateurs de Ben Ali. Contrairement à l'info qui s’est répandue, Benali ne s’est pas enfui. Il n’a pas non plus été poussé de force dans un avion. Voici la réalité telle que nous l’avons reconstituée, avec les conclusions qui nous paraissent s’imposer, 7 ans jour pour jour après la chute de Benali.

Les sources de cette reconstitution sont:

- plusieurs rencontres avec l’un des plus proches collaborateurs du président Benali, qui l’a côtoyé presque tous les jours depuis son arrivée au pouvoir en 1987. Un homme qui n’a joué ni rôle politique, ni rôle sécuritaire. Une personnalité discrète, efficace, ni affairiste ni mondaine, engagée au service de son pays, qui n’a été ni enquêtée ni inquiétée après la révolution. La première rencontre date d’une quinzaine de jours après la révolution.

- deux rencontres avec l’un des chefs sécuritaires, un général connu, qui a subi une enquête de police après la révolution et a été embastillé avant d'être élargi.

- la lecture de pv d’enquêtes ainsi que d’une partie des relevés d’écoutes téléphoniques réalisées au moment de la révolution par le puissant département de la sécurité présidentielle qui comprenait 5.000 membres.

Ce récit n’est ni exhaustif ni complet. D’une part, parce que toutes les sources ne se sont pas exprimées. D’autre part, parce qu’un récit exhaustif nécessiterait au minimum plusieurs centaines de pages.

 

Au départ, un certain Bouzazizi. Il est entré dans la postérité sous le prénom de Mohamed. Il s’appelait  en réalité Tarek. En ce 17 décembre 2010, il s’immole par le feu dans la petite ville déshéritée de Sidi Bouzid dans le centre sud. L’idée répandue consiste en une réaction à la hogra, en l’occurrence une gilfe donnée par une policière suite à la saisie de sa charrette et de sa balance.

Cette immolation n’est pas la première dans une Tunisie minée par la corruption, le népotisme et l’autisme des autorités. Quelques mois auparavant, à l'été 2010, dans la ville côtière de Monastir, bourguibiste et frondeuse contre Benali, un incident similaire n’avait pas entraîné de réactions de rue.

Bouazizi est transféré à l’hôpital des brûlés dans la banlieue de Tunis. La rue de sa région gronde. Proche de cette localité, le bassin minier bouge puis se soulève. Inquiet, Benali se rend au chevet du brûlé et se fait photographier devant son lit.

Vers le 25 décembre, Benali prend quelques jours de congé aux Emirats, avec sa femme et deux de ses enfants. Le 1er janvier, il est de retour. Une autre partie de sa famille, les clans Mabrouk (Monoprix, Fourseasons, BIAT, Orange Tunisie, radio Shems, etc) et Sakhr Matri (banque et assurance Zitouna) passera une semaine dans le plus bel hôtel de Marrakech.

L’ironie de l’histoire, c’est que Sakhr, le gendre préféré de Benali, multipliera les critiques les plus féroces contre la ville ocre et le modèle marocain. Selon l’un de ses accompagnateurs qui nous l’a rapporté, il s’agissait “d’envie“. Il ne savait pas que 15 jours plus tard, il allait devoir fuir son pays pour ne pas avoir à rendre des comptes.

Le 4 janvier, Bouazizi succombe.

La révolution tunisienne démarre ainsi par un étonnant enchaînement de circonstances. La mort de Bouazizi est suivie d’un déferlement de colère populaire, d’abord dans sa région et les régions environnantes. Bientôt, les forces de sécurité ne disposent plus d’armes non létales. En attendant un approvisionnement en grenades lacrymogènes promis par la Libye et par la France, elles ont recours aux balles réelles.

Les snipers font leur apparition. Des tireurs d’élite s’installent sur les hauteurs et lors d’un cortège de protestation ou même l’enterrement d’un manifestant mort, visent un ou deux meneurs. Des médecins urgentistes sur place rapportent à Médias24 que ces snipers tiraient pour tuer, ils visaient la tête et le thorax.

Facebook est censuré dans le pays. Mais les images, photos et vidéos sont postées sur youtube. Elles sont dramatiques. Et alimentent la colère. Tous les jours, des morts tombent et la rue devient de plus en plus virulente dans ses slogans, s’en prenant désormais à la famille Trabelsi (de la femme du président Leila) et à Benali lui-même. Sporadiquement, des postes de police ont été attaqués par des manifestants.

 

> La troisième séquence après l’immolation de Bouazizi puis la colère populaire, fut l’entrée en scène de l’UGTT, LA centrale syndicale, cas unique dans le monde arabe, hyper puissante car elle a derrière elle un monopole et une longue et vraie histoire de luttes. L’UGTT organise une série de grèves générales, ville par ville. Mardi 11 janvier, c’est la grande ville industrielle et commerciale du sud, Sfax, qui est paralysée. La population est dans la rue, les slogans sont virulents contre le régime.

Mercredi 12, c’est la grève générale à Tunis. La capitale s’embrase.

A partir de mercredi en fin de journée, les événements échappent à tout contrôle.

 

> La quatrième séquence fut l’apparition des casseurs. A partir de cette nuit du mercredi 12 janvier, l’insécurité règne dans tout le pays. Pour un régime qui s’est constitué autour d’une promesse de stabilité et de sécurité (avec le développement), c’est un point de non-retour. D’abord, ce sont les maisons des familles Trabelsi et Benali qui sont attaquées, pillées et incendiées.

La superbe villa de Sakhr Matri, l’homme qui a visité Marrakech avec une moue de dédain, a été la première de la série. Cette villa de Hammamet était connue par les initiés pour les pièces archéologiques volées par son propriétaire et qui ornaient le parc, lequel abritait une énorme cage où vivait… un authentique tigre. Le tigre a été l’une des premières victimes des casseurs qui l’ont sauvagement tué.

Ensuite, ce furent en 48 heures, différentes maisons de la famille collatérale, essentiellement la famille de Leila Benali qui sont pillées. 

Morts de peur, le jeudi 13 janvier, tous les membres de la nombreuse famille se sont réfugiés dans la résidence présidentielle de Sidi Bou Said, protégée par 5 compagnies de gendarmes, où ils ont passé la nuit.

Benali multiplie les audiences, les rencontres, les réunions, il prend des initiatives, distribue de l’argent en espèces et consignera chaque somme dans des carnets personnels qui seront saisis par la Justice après la révolution. Chaque famille dont l’un des siens est mort dans les affrontements reçoit 5.000 Dinars (3.000 euros à l’époque) avant les funérailles, sommes remises en mains propres par Benali à Ali Seriati, le directeur de la sécurité présidentielle chargé de la distribution.

Benali prononcera deux discours. A chaque fois, discours, réunion, initiative, c’est “trop peu et trop tard“. Il a toujours donné l’impression de comprendre après coup et de réagir en retard.

 

> Les dernières heures

Jeudi matin 13 janvier, c’est le début des dernières 36 heures.

A 11H, les deux gendres Marouane Mabrouk et Slim Zarrouk, accompagnés de leurs épouses et filles du président, sont dans le bureau de Benali où ils passent une heure, entrecoupée de coups de fil. A chaque coup de fil, ils sortent dans le couloir.

Ils proposent de libérer les détenus emprisonnés en raison de “crimes“ liés à Internet (en fait, propos contre le régime diffusés sur le web). Benali s’exécute. Ils proposent des élections anticipées. Il acquiesce et promet un discours historique pour le soir même.

Dans une ville en couvre-feu, il reçoit une “arrafa“ (voyante) sur l’insistance de sa femme. Il prononce ensuite son premier et dernier discours en arabe dialectal. Jusqu’à la dernière minute, ses collaborateurs ignoraient s’il irait jusqu’à dénoncer sa femme, sa famille et annoncer une procédure de séparation avec elle. Le scénario a été envisagé sur l’insistance de sa propre fille (d’un premier mariage), Ghazoua.

Il n’en fut rien. Il répète “fhemtkom“ (je vous ai compris). Il annonce qu’il limoge le gouvernement, qu’il convoque des élections anticipées et libres dans un délai de six mois, qu’il n’y aura plus de violence ni de tir à balles réelles, qu’il terminera son mandat et partira, que la démocratie et la liberté de presse et d’expression sont rétablies immédiatement…

Malgré le couvre-feu, de petits cortèges, plus ou moins spontanés, plus ou moins commandés, tentent de fêter ce discours comme un événement.

Mais encore une fois, c’était trop tard.

 

> Vendredi matin 14 janvier, jour fatidique. Le couvre-feu est avancé à 17H au lieu de 18H la veille et 20H l’avant-veille.

A 10H00, Benali ordonne au général Rachid Ammar chef d’état-major de l’armée, de coordonner toutes les forces de sécurité et de s’installer au ministère de l’Intérieur. Le pays est livré à l'armée par le président lui-même.

En fin de matinée, 70.000 manifestants sont regroupés dans une masse compacte sur l’avenue Bourguiba dans le centre de Tunis, autour de ministère de l’Intérieur où ils scandent “Benali, dégage!“ Le général Ammar envoie trois unités blindées autour du palais présidentiel.

Dès le matin, Benali avait ordonné à toute la famille de Leila de quitter le pays, “de changer d’air“, selon l’expression qu’il a lui-même utilisée.

En début d’après-midi, le frère aîné de celle-ci, Belhassen, partira discrètement sur son yacht en direction de la Sardaigne. Par contre, tous les autres se regrouperont et se rendront en milieu d’après-midi, à l’aéroport de Tunis Carthage où ils s’enregistrent pour des vols vers l’Italie et la France (les premiers départs programmés).

Deux des images les plus fortes de la révolution tunisienne; la foule devant le ministère de l'Intérieur et la phrase d'Ahmed Hafnaoui, l'anonyme qui est entré dans la postérité en répétant: "nous avons passé notre vie à attendre ce moment historique".

> Au siège du ministère de l’Intérieur, le jeune colonel Samir Tarhouni dirige la brigade anti-terroriste (BAT). Sa femme travaille à l’aéroport. Au téléphone, elle lui annonce le départ imminent des Trablesia qui se trouvent dans le salon d’honneur.

Tarhouni appelle l’un de ses contacts à l’aéroport, recoupe l'info, puis convoque tous ses hommes de la BAT. Ils sont onze à précéder la troupe, dans trois voitures civiles. Les autres les rejoindront dans leurs véhicules de service.

Tarhouni n’accepte pas que dans un pays à feu et à sang, ceux qu’il considère comme responsables de la situation, puissent quitter le navire.

Armé, en tenue de la BAT, il entre à l’aéroport, interdit tout décollage à la tour de contrôle et se rend maître du salon d’honneur où il met en état d’arrestation les Trabelsia avec leurs femmes, enfants et nounous asiatiques. Il convoquera les caméras de la télévision nationale, à qui il donnera l’ordre de tout filmer. Le document a été enregistré et diffusé plusieurs semaines après la révolution. Ce fut le premier acte de rébellion ouvert et public. La rupture du bloc historique cher à Gramsci. Benali apprendra les faits sur le tarmac de l'aéroport, sans réagir.

 

A Carthage, à midi, Benali ordonne de préparer l’avion présidentiel pour un décollage à 18H en direction de Jeddah pour une “omra“, petit pèlerinage. C’est Leila, sa fille Halima et son fils Mohamed qui voyageront, accompagnés du général Ali Seriati, directeur de la sécurité présidentielle.

Benali est dans un état très agité. Selon l’un de nos interlocuteurs, il a été soumis à une très forte pression toute la journée. Cette pression provenait de Ali Seriati qui lui a annoncé qu’un hélico armé se dirigeait vers le palais pour le tuer puis qu’un bâtiment militaire en faisait de même. Benali semblait avoir peur, selon notre source.

Ces “infos“ de Seriati ont été démenties par toutes les sources militaires interrogées par la suite, tout mouvement de troupe étant contrôlé par l’armée. A ce stade, il est impossible de savoir où se situe la vérité.

A 16H30, la Tunisie annonce la fermeture de son espace aérien.

 

A 16H45, juste avant le couvre-feu, un cortège s’ébranle du palais présidentiel de Carthage. C’est Leila qui conduit le 4x4 présidentiel noir. La petite famille était passée saluer Benali mais sur l’insistance de Halima, sa fille, Benali accepte de les accompagner à l’aérodrome militaire mitoyen de l’aéroport civil Tunis Carthage. Il est en bras de chemise, il met une veste, mais pas de manteau malgré le froid de janvier, il laisse ses lunettes de vue sur son bureau, car il pense  revenir.

Le cortège est ouvert par Ali Seriati dans son Audi noire. Il “conduit et parle dans trois téléphones en même temps, je ne sais pas comment il a fait“, selon son passager que nous avons rencontré. A un rond-point, il percute par le côté arrière une BMW noire et ne ralentira même pas.

A l’aéroport, Benali monte dans l’avion pour saluer sa petite famille, Ali Seriat le suit. C’est ce dernier qui doit aller à Jeddah avec Leila. On attendait ensuite la descente de Benali, ce fut Seriati.

Le pays étant sous couvre-feu et livré à l’autorité de l’armée, Benali a été convaincu par ses enfants de les accompagner puis de revenir à Tunis dans la nuit.

A Tunis, c’est la chaîne de télévision internationale Al Arabiya, prévenue par notre confrère Soufiane Ben Farhat, qui donnera la nouvelle. “Benali a quitté le pays“. Ce qui est interprété comme une fuite.

A l’aéroport militaire, Ali Seriati se rend au mess des officiers. Il prend un café crème. Des soldats accompagnés d’un haut gradé l’arrêtent et lui enlèvent ses téléphones. Ils l’enferment dans la caserne mitoyenne, par mesure de sécurité commandée par le ministre de la défense qui a appris le départ de Benali.

Au palais présidentiel, le directeur adjoint de la sécurité présidentielle, le colonel Sik Salem, convoque littéralement le premier ministre et les présidents des deux chambres et leur ordonne de lire une déclaration décrétant une présidence transitoire assumée par le premier ministre, en raison d’une “vacance provisoire“ du pouvoir. Il expliquera que son intention était d’éviter un coup d’Etat militaire.

Dans la nuit, tous les dirigeants sont réunis au ministère de l’Intérieur où ils passent une nuit blanche. C’est là que se joue la dernière séquence.

 

En effet, Benali est arrivé à Jeddah et il demande à son commandant de bord de préparer l’avion pour le retour à Tunis. Celui-ci a regardé la télévision. Il appelle son patron direct, le PDG de Tunisair, qui lui demande d’appeler le premier ministre, désormais président provisoire.

De son côté Benali a été mis au courant par les chaînes de télévision. Il ne décolère pas. Il appelle le premier ministre qui le met en haut-parleur et lui donne du “Monsieur le président“.  Il lui répète “vous ne pouvez pas revenir, attendez un peu, si vous revenez le pays entier va brûler. Toute la population considère que vous n'êtes plus président“.

Lorsque le commandant de bord appelle le Premier ministre pour demander des instructions, celui-ci répond: “je vous passe si Ridha Grira, ministre de la Défense, c’est l’armée qui tient le pays maintenant“. Ce dernier insiste: “vous rentrez seul, avec votre équipage, vous ne ramenez pas le président, j’assume mes responsabilités“.

C’est comme ça que Benali s’est retrouvé à l’étranger, sans l’avoir vraiment voulu.

Fin décembre 2017, sur un plateau de télévision, l'avocat Imled Ben Halima: "Nous vivions mieux sous Benali"

 

> Islamisme frériste et terrorisme.

 

Dès le lendemain de la révolution, les dirigeants d'Ennahdha rentrent au pays. Ghannouchi débarque à l'aéroport au chant "Akbala al badr alayna". Après un exil de 10 à 20 ans, ils rentrent cueillir les fruits d'une révolution à laquelle ils n'ont pas participé.

Le mouvement Ennahdha a géré la Tunisie après les premières élections en octobre 2011:

-il a fait campagne pour le maintien de l'Etat civil (ou séculier).

-sitôt à la tête du gouvernement, il a pesé de tout son poids pour introduire la charia comme source principale de législation dans la nouvelle Constitution.

-il nourri une sorte de complaisance, certains diront de complicité, avec les mouvements salafistes, y compris les plus extrémistes. Ghannouchi, le leader d'Ennahdha, disait à propos des extrémistes violents: les salafistes sont nos enfants, ils me rappellent ma jeunesse.

-Ennahdha a été complice, soit par laxisme, soit directeemnt, de l'attaque contre l'ambassade américaine de Tunis en septembre 2012. Une partie de l'ambassade avait brûlé.

-double langage: ci-dessous, trois vidéos montrant le double langage de ce mouvement.

* Dans cette vidéo, Ghannouchi reçoit un groupe de jeunes salafistes et leur explique qu'Ennahdha, malgré 37% des sièges à la constituante et le contrôle de la primature, doit y aller progressivement et qu'il faut prendre son temps, que l'Etat est tenu par les "ilmaniyine" (laïques) et qu'au final, ce qui compte, ce n'est pas le contenu de la loi, mais la manière dont elle est appliquée.
 
 
 
*Dans celle ci, c'est Bechir Ben Hassan, un leader salafiste qui l'a piégé au téléphone. Ghannouchi lui explique que certes, il a promis de ne pas toucher au code du statut personnel (les droits de la femme tunisienne), mais qu'il attend le moment propice pour le faire. (Attention, le son est faible)
 
 
 
 
 
*Ci-dessous, une troisième vidéo
Elle met en scène Abdelfattah Mourou, co fondateur et vide-président d'Ennahdha qui rend visite à Tunis, dans une villa, à Wajdi Ghoneim, un redoutable orédicateur égyptien qui effectuait à l'époque une tournée en Tunisie.
Mourou est présenté par Ennahdha, comme "son" musulman laic. Le mot est utilisé par lui-même, mais uniquement en français.
Ghoneim est un trouble personnage qui appelle à l'excision des petites filles.
 
Il a effectué une tournée en Tunisie dont l'objectif était de mobiliser les Tunisiens en faveur des thèses islamistes. Il a organisé des shows dans des stades, c'est dire. Et c'était plein.
Devant les protestations des "ilmaniyine", organisées sous différentes formes, il a lancé l'expression "moutou bighaydhoukom" (crevez de rage!), qu'il lançait aux libéraux dans ses tournées et faisait répéter en choeur par les foules survoltées.
 
Ici, Ennahdha lui envoie Abdelfattah Mourou, son vice-président, pour lui demander de se calmer. La vidéo est très longue, mais ce qui est intéressant, c'est la thèse de Mourou: "pour nous, cette génération est perdue; ce sont leurs enfants qui nous intéressent et que nous allons islamiser, par la culture, les médias, l'école...".

 

 

 

> L'échec du compromis historique.

Moncef Marzouki, président de la république pendant la période 2011-2014, n'avait que des pouvoirs limités par la Constitution. Sa thèse centrale était le "compromis historique avec Ennahdha". Pour lui, il fallait que chacune des deux parties, Ennahdha d'un côté, les libéraux de l'autre, effectue un pas en direction de l'autre, notamment pour ce qui concerne la Constitution et la législation. Il disait: "on ne peut pas demander à Ennahdha d'accepter le mariage de la Tunisienne avec le non-musulman, ce serait trop leur demander". Ennahdha a fini par l'accepter, mais pas à la demande de Marzouki.

L'idée du compromis historique avec les islamistes a échoué.

Marzouki a également échoué dans ses tentatives de dialogue avec la mouvance jihadiste, dont il a reçu les représentants au palais présidentiel à deux reprises. Il a offert le pardon aux terroristes mais ils ne l'ont pas écouté.

 

> Aujourd’hui, que peut-on en dire avec le recul ?

-La révolution en Tunisie a eu lieu dans un pays où il n’y avait pas de politique. Benali disait en conseil de ministres, qu’il était le seul à exercer la politique. Les autres étaient là pour gérer.

-Il n’y avait pas de liberté d’expression. Les Tunisiens vivaient en apnée.

-La corruption était devenue endémique. Après la révolution, elle a néanmoins décuplé.

-Les Tunisiens ont cru qu’une révolution consiste à garder ce qui est bien dans une situation donnée et à améliorer ce qui n’allait pas. En fait, c’est l’inverse. Développement, stabilité, sécurité, ont été les premières victimes de la révolution.

-Les casseurs ont joué un rôle décisif, par l’insécurité qu’ils ont fait régner.

-Les révolutions arabes ont eu lieu dans des républiques, souvent 25 ans après le pic démographique qui est le pic de sortie de chômeurs diplômés et où les présidents soi-disant élus se préparaient à organiser une transition dynastique (Benali, Moubarak, Kaddafi, Assad).

-Après la révolution, dans chaque pays concerné, les deux forces les plus importantes se sont affrontées. Armée et islamistes en Egypte. En Tunisie, Islamistes et Laïcs (UGTT, rescapés de l’ancien régime, société civile). En Libye et en Syrie, les enjeux externes l’ont clairement emporté sur les enjeux internes de sorte que les deux pays ont sombré dans des guerres internes et/ou civiles.

-En Tunisie, les femmes ont joué un rôle décisif pour faire tomber les islamistes d'Ennahdha. Il en est de même pour l'UGTT et les hommes et femmes de culture. Ennahdha porte une grosse responsabilité dans l'implantation de l'islamisme en Tunisie.

 

 

Le 6 février 2013, un grand leader de la gauche tunisienne, Chokri Belaid, a été assassiné par balles. Voici selon beaucoup, un exemple des paroles qu'il a prononcées et qui ont signé son arrêt de mort. Ci-dessous, ses funérailles ont été suivies par une marée humaine, évaluée à un million de personnes.

 

 

-Les Etats-Unis ont joué un rôle certain. En l’an 2000, Madeleine Albright avait été à l’origine de la création d’une alliance pour la démocratie dans le monde. Le département d'Etat fourni d'une manière transparente financements et soutiens à des ONG travaillant en ce sens. Ces ONG vont jouer un rôle dans les révolutions colorées ainsi que dans les événements en Chine, au Liban (2005) puis dans les pays arabes. Parmi les ONG, citons FreedomHouse, International Republican Institute, USAID, UNDP, Canvas, Frontline, Open Society Institute, National endowment for democracy, National democratic institute font international affairs, Projet pour les démocraties en transition.

-D’une révolution arabe à l’autre, les Américains ont davantage de moyens en jeu, ceux-ci ont cumulé dans le cas syrien.

-L’administration démocrate américaine d’Obama était convaincue, avant les révolutions arabes, qu’il fallait changer complètement d’approche. Il fallait selon elle composer avec les islamistes et les aider à aller vers la modération, pour contrer aussi bien l’instabilité que l’extrémisme qui conduit au terrorisme. Elle était convaincue que les islamistes avaient un ancrage et une légitimité populaire et qu’il fallait faire tomber tous les régimes dictatoriaux, ainsi que ceux, fussent-ils amis, dont l’idéologie alimentait le terrorisme. L’administration américaine a fait pression sur la France pour qu’elle soutienne les islamistes arrivés au pouvoir.

-Les islamistes arrivés au pouvoir après 2011 ont montré quelques caractéristiques similaires: une faible capacité de gestion des affaires publiques, d’anticipation et de planification ; un nationalisme discutable ou relatif ; une forte solidarité horizontale avec les fréristes des autres pays; une volonté de s’installer au pouvoir pour longtemps ; un esprit de revanche ; un double discours selon la personnalité de l’interlocuteur ; un enfermement culturel.

-Aujourd’hui, la Tunisie a gagné selon ses habitants un acquis: la liberté d’expression. Au-delà, le bilan est discutable. Les caciques de l‘ancien régime sont de retour, les indicateurs économiques sont désastreux, la transition économique risque de durer encore dix à quinze ans au minimum, le terrorisme est devenu un risque structurel.

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