Quel management pour les économies émergentes?

Les 2e Rencontres internationales des sciences du management, jumelées cette année avec les 13e Journées humanisme et gestion, se sont tenues les 14 et 15 avril à Marrakech. Deux jours au cours desquels ont été dessinées les grandes lignes du management de demain.

Quel management pour les économies émergentes?

Le 17 avril 2016 à 11h36

Modifié 17 avril 2016 à 11h36

Les 2e Rencontres internationales des sciences du management, jumelées cette année avec les 13e Journées humanisme et gestion, se sont tenues les 14 et 15 avril à Marrakech. Deux jours au cours desquels ont été dessinées les grandes lignes du management de demain.

Elles ont réuni une centaine d’enseignants, de chercheurs, de chefs d’entreprise, de DRH, venus de tout le Maroc, mais aussi de France, d’Algérie ou du Canada.

La mondialisation a totalement transformé le monde de l’entreprise. Aujourd’hui, 80.000 multinationales emploient 80 millions de salariés, dans quelque 800.000 filiales. Elles assurent les 2/3 des échanges mondiaux et le chiffre d’affaires des 5 plus grandes d’entre elles est égal au PIB des 46 pays les plus pauvres!

Comme l’a souligné dès le début de son intervention Aline Scouanec, présidente AGRH (Association francophone de gestion des ressources humaines), 7 des 25 plus grosses entreprises mondiales ont, aujourd’hui, leur siège dans des pays émergents. Cela pose d’emblée le problème du management. Avec une certitude: il faut absolument éviter de reprendre les «bad practices», de se contenter d’un copier-coller des mauvaises méthodes managériales d’hier.

«On change de monde et cela a un impact sur le management» explique Aline Scouanec, qui insiste sur un point: dans une société tout numérique, qui évolue en permanence et très rapidement, il faut être capable, au niveau de l’entreprise, de répondre aux nouvelles attentes. Il faut passer d’un pouvoir centralisé à un pouvoir partagé, de l’administration du personnel à une vraie philosophie RH, en réalisant que la réussite du business passe par la réussite des collaborateurs.

Cer point de vue est largement partagé par Charles Henri Besseyre des Horts (professeur émérite à HEC Paris), pour qui les décisions devront de plus en plus se prendre sur le terrain, avec une règle de fonctionnement: «Les employés d’abord, les clients ensuite!», car si les employés sont bien dans leur peau, les clients seront satisfaits.

Et de citer l’exemple d’Accor: depuis l’arrivée d’un nouveau PDG, les mentalités du groupe sont en train de changer; tout est mis en place pour que, rapidement, les décisions puissent se prendre au niveau local, dans chaque pays, tout en respectant bien sûr les règles de base du groupe.

Philippe Clerc, président AIFIE (Association internationale francophone de l’intelligence économique), qui connaît bien le Maroc, puisqu’il est, entre autres, le fondateur de l’Université de Dakhla, rappelle aux managers présents les défis que les RH vont devoir relever dans les pays émergents: gérer la transition entre tradition et modernité; former les élites de demain; manager le saut vers le tout digital, en maîtrisant les risques; inventer un management adapté au pays concerné; identifier les métiers de demain, pour trouver à temps les talents nécessaires….

Ce que complète Muriel Morin directrice Corporate RH d’Engie, en soulignant que le grand défi des entreprises tourne autour de l’emploi, en particulier celui des jeunes, puisqu’en Afrique, 30% des jeunes sont au chômage.

«Sans oublier la place des femmes, qui devrait être beaucoup plus reconnue, surtout dans les pays émergents, insiste Muriel Morin, car elles peuvent avoir un rôle prépondérant dans les grands changements qui s’annoncent».

C'est un domaine où le Maroc a encore des progrès à faire… Doha Sahraoui, de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, donne quelques chiffres éloquents: d’après l’ONU, on retrouve en moyenne dans le monde 24% de femmes dans les équipes dirigeantes.

Dans le même temps, au Maroc, les conseils d’administration comptent moins de 10% de femmes. Et la situation ne va pas s’arranger facilement: chaque année, 100.000 femmes quittent la vie active pour rester dans leur foyer, souvent sous la pression de leur famille.

Si on ajoute que 64% des Marocains pensent que si une femme travaille, cela a une influence négative sur l’éducation des enfants et que 54% d’entre eux estiment que les hommes sont de meilleurs managers que les femmes, on voit le chemin qui reste à parcourir, d’autant plus qu’aucune loi n’impose la parité dans l’entreprise: le sort des femmes dépend donc largement du bon vouloir des RH et de l’ensemble des managers.

A moins que le changement ne soit imposé par la base… Essaid Bellal, DG du cabinet DIORH, rappelle que l’on assiste à une crise de sens, une crise de vision, une crise de gouvernance, qui fait les beaux jours de Trump aux Etats-Unis, de Podemos en Espagne, du FN ou de Nuit debout en France; sans oublier ce qui s’est passé en Grèce, en Europe de l’Est ou dans une moindre mesure, au cours du Printemps arabe: les citoyens veulent avoir leur mot à dire et cela doit interpeller aussi les managers face au salariés-citoyens: «on ne peut pas changer le monde sans se changer soi-même, sans faire preuve en permanence de respect vis-à-vis des autres».

C'est ce que Mohamed Bachiri, DG de Renault Somaca confirme, en présentant les règles fondamentales de management en vigueur chez Renault Maroc, comme veiller à l’exemplarité des cadres, à ne jamais faire de fausses promesses, à la cohérence entre le dire et le faire, à l’égalité de traitement des personnes, à la transparence des règles de fonctionnement et des résultats…

Quant à Fernando Cuevas, de l’ESC Pau, il rappelle 4 mots simples que chaque manager devrait avoir en permanence à l’esprit et employer chaque fois que nécessaire: «Bonjour» ; «S’il vous plait» ; «Merci» ; «Bravo». 4 mots-clés, qui peuvent totalement changer les relations entre managers et subordonnés et donc l’ambiance dans le service ou l’entreprise…

Ces deux journées de tables rondes et d’ateliers ont permis de larges échanges entre professionnels et chercheurs et ont mis en évidence que le management de demain ne ressemblera en rien au management d’hier : l’ère des petits chefs est bien révolue. Le capital humain est un levier de la performance et la participation de tous aux prises de décision est désormais une des clés du succès pour les entreprises.

Chafik Bentaleb,  professeur à l’Université Cadi Ayyad, président de l’Association marocaine de gestion de ressources humaines et maître d’œuvre de ces rencontres, tire pour Médias24 les conclusions des ces journées

 

Médias 24: Que retenez-vous essentiellement de ces deux journées d’échanges ?

-Chafik Bentaleb: Je retiens en premier lieu, que les différents témoignages, les différentes recherches réalisées par des chercheurs confirmés, que ce soit dans les pays du Sud ou dans les pays du Nord, aboutissent à l’idée qu’il faut inscrire les pratiques managériales dans leur contexte économique, juridique, politique et surtout culturel: la culture locale a un impact sur la manière de penser le management et la manière de le mettre en action.

Il faut donc favoriser le contexte local plutôt que de se fier à des principes universalistes du management.

-Avec néanmoins un point commun à toutes les interventions: la place essentielle aujourd’hui de l’homme dans l’entreprise, quel que soit le pays…

-Tout à fait! Cela ressort de tous les travaux. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié l’intervention de Philippe Clerc sur la chance qu’ont les pays du Sud, contrairement aux pays du Nord, de disposer d’un gisement en matière de ressources humaines, mais qu’ils doivent arriver à canaliser, à orienter. On a une chance: on a des jeunes, on a des diplômés qui sont relativement bien formés et maintenant, il faut les accompagner pour qu’ils deviennent une force de création de valeur au sein des entreprises.

-Dans les pays du Sud et notamment au Maroc, on l’a bien compris au cours des interventions, les femmes n’ont pas encore la place qu’elles méritent dans les entreprises. Comment faire évoluer la situation, sans heurter les mentalités?

-Il faut voir la réalité en face: si on reprend les statistiques de l’enseignement supérieur au Maroc, on s’aperçoit que plus de 50% des étudiants sont de sexe féminin.

Malheureusement, lorsque l’on va dans les entreprises, notamment dans les postes de responsabilité, on retrouve peu de femmes: c’est un paradoxe, qui s’explique à la fois par des freins d’ordre culturel et des freins d’ordre organisationnel, les entreprises n’ayant pas encore mis en place des dispositifs pour favoriser la montée des femmes aux postes de responsabilité. Mais également, il faut le dire, c’est un problème de société: les entreprises vous disent que ce n’est pas à elles de régler ce problème, mais à la société.

Personnellement, je crois que la responsabilité est partagée: si la société n’y arrive pas, l’entreprise a un rôle à jouer, car c’est un acteur social; elle doit donc faire la promotion de la femme.

Non pas pour faire plaisir aux femmes, mais pour «exploiter», dans le bon sens du terme, toutes les ressources existantes, masculines et féminines, sans discrimination sexuelle.

Cela dit, aujourd’hui, il y a aussi une prise de conscience par les femmes elles-mêmes, qui commencent à s’organiser en ce sens, à mettre sur la place publique ce débat de la place de la femme au sein de la société d’un point de vue politique, social, mais surtout sur le plan du management au sein des entreprises.

-En ce qui concerne le Maroc, comment voyez-vous évoluer le management en entreprise?

-Il y a l’arrivée dans les entreprises marocaines de cadres supérieurs qui sont correctement formés et qui ont également une nouvelle vision, une nouvelle conception du management.

On est en train d’abandonner le management traditionnel; on est en train de se débarrasser du management autocratique et on s’inscrit aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, dans une démarche participative.

Pour une simple raison: les cadres d’entreprise n’acceptent plus d’être traités comme on été traités leurs parents. C’est une prise de conscience du citoyen, qui exige un mode comportemental et des rapports totalement différents avec la hiérarchie, qui est dans l’obligation de répondre à cette attente/exigence.

-Ce que les Américains ou les Allemands ont compris il y a longtemps déjà, alors qu’au Maroc, il y a de la part de beaucoup de chefs d’entreprise la peur de perdre une partie de leur pouvoir…

-L’histoire de l’entreprise marocaine est une histoire assez récente. Et la grande majorité des entreprises sont familiales et encore dirigées par leurs fondateurs.

Le lien que développe le fondateur avec son entreprise est un lien davantage affectif et émotionnel et moins rationnel. L’entreprise est perçue comme un prolongement du fondateur et de sa famille. La délégation en faveur d’un «étranger à la famille» devient ainsi difficile.

En revanche, quand on est dans des entreprises dirigées par des managers non propriétaires, on est dans une autre logique, dans une autre conception du management: le poids des comportements rationnels l’emporte sur celui des agissements affectifs et émotionnels, dans la quête de la performance.


 

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